La lune et la mystique lunaire (1)

Cet article est une recension d’un chapitre du Traité d’histoire des Religions – Mircea Eliade

Ce traité est une synthèse des éléments qui constituent les religions primitives comme récentes ; l’organisation n’est ni chronologique ni fonction des grands courants religieux que, a posteriori, nous dessinons aujourd’hui (les polythéismes, les monothéismes etc…). Chaque chapitre propose une synthèse des symboles ou éléments communs aux mythes, croyances et légendes du monde entier, et qui constituent bien souvent le substrat des religions qui, aujourd’hui encore, perdurent.

Vous lirez ici une synthèse de la première moitié du chapitre La lune et la mystique lunaire, (les 6 premières parties)

La lune et le Temps :

Dans ce Chapitre, Mircea Eliade explique que la lune est un moyen de mesure du Temps concret (par opposition au temps astronomique, pas encore observé avant le néolithique). Preuve en est la racine indo-européenne me « La plus ancinne racine indo-aryenne se rapportant aux astres est celle qui désigne la lune (cf. O; Schrader, Sprachvergl. und Urgeschichte, 2è éd., p. 443 sp ; W. Schultz, Zeitrechnung, p. 12 sq.) : c’est la racine me, qui donne en sanskrit mâmi, « je mesure ». La lune est l’instrument de mesure universel. »

Traces dans les langues indo-européennes : mâs (sanskrit), mâh (avestique), mah (vieux prussien), menu (lituanien), mêna (gothique), méne (grec), mensis (latin).

Or la lune est également, par sa naissance et sa mort que l’on peut observer – en effet, pendant 3 nuits, le ciel reste sans lune – le symbole de l’éternel retour. Elle contrôle également tous les plans cosmiques régis par la loi du devenir : eaux, pluie, végétation, fertilité.

Par analogie ou « rapports de sympathie ou d’équivalence entre ces séries de phénomènes », le même symbolisme ou la même structure relie entre eux la Lune, les Eaux, la Pluie, la fécondité des femmes, celle des animaux, la végétation, le destin des humains après la mort, les cérémonies d’initiation.

« La lune mesure, mais aussi unifie » parce que le cosmos entier est perçu comme régi par ce même dénominateur. « Tout se tient, tout se relie et constitue un ensemble de structure cosmique. » conclut Mircea Eliade.

Solidarité des épiphanies lunaires

Dans ce chapitre, Mircea Eliade rappelle à raison que l’on doit être vigilant en abordant la mystique et la symbolique archaïque et pré-néolithique : les hommes d’avant ne pensent pas comme nous. L’analogie prévaut sur l’analyse (même si, aujourd’hui encore, le procédé analogique est bien répandu). Il demeure difficile pour nous d’appréhender « toute la richesse de nuances et de correspondances qu’implique une quelconque réalité (c’est-à-dire sacralité) cosmique dans la conscience de l’homme archaïque. Pour celui-ci, un symbole lunaire (une amulette, un signe inconographique) non seulement fixe et concentre toutes les forces séléniques agissant dans tous les plans cosmiques – mais encore, l’établit, lui, homme, au cœur de ces forces, faisant croître sa vitalité, le rendant plus réel, lui garantissant une meilleure condition après la mort. »

Il faut donc prendre en compte cette globalité de la perception d’alors, qui n’est plus la nôtre aujourd’hui : « Nous explicitons causalement ce qui a été perçu intuitivement comme un ensemble ».

Ainsi donc « l’homme s’est reconnu dans la « vie » de la lune ».

La Lune et les Eaux

Les Eaux, comme on l’a vu, sont soumises au rythme de la lune : marée, pluie. On trouve des témoignages de cette croyance dans de nombreux mythes répertoriés par Eliade. De ce fait, les Eaux sont considérés comme ce qui engendre le pourrissement et permettent également la régénérescence. Les mythes concernant le déluge raconte ce cycle : « Les mythes diluviens, dans leur grande majorité, révèlent comment a survécu un individu unique, dont descend la nouvelle humanité. Quelque fois, ce survivant – homme ou femme – épouse un animal lunaire qui devient ainsi l’ancêtre mythique du clan ». Mircea Eliade cite l’exemple d’une légende dayak qui s’accouple avec un chien pour donner naissance à une nouvelle humanité. Il existe d’innombrables versions des mythes diluviens.

La Lune et la Végétation

En vertu de son pouvoir destructeur et régénérant, la lune entretient, symboliquement, un lien considéré comme organique avec la végétation. Un très grand nombre de dieux de la fertilité sont aussi des divinités lunaires : Hathor en Egype, Ishtar, Anaïtis en Iran (archaïque).

Mircea Eliade ouvre une parenthèse sur les breuvages magiques qui confèrent parfois l’immortalité, du fait de la synthèse lune-eau-végétation : le soma indien ou l’haoma iranien. L’amrita, l’ambroisie (littéralement an (privé de de) brotos (mort)), comme le soma ont leur prototype céleste réservé aux dieux et héros. L’ancêtre de la potion magique…

La Lune et la Fertilité

« La fertilité des animaux comme celle des plantes est, elle aussi, soumise à la Lune. La relation entre la fécondité de la lune devient parfois quelque peu compliquée, du fait de l’apparition de nouvelles « formes religieuses » – comme la Terre-Mère, les divinités agraires, etc. »

La corne, la fameuse corne d’abondance, est un symbole lunaire de fécondité : « Il est certain que la corne de bovidé est devenue symbole lunaire parce qu’elle rappelle un croissant, c’est-à-dire ‘évolution astrale totale » (Hentze, Mythes et symboles, 96).

Le Serpent : les mythes et légendes relatifs au serpent sont très répandus et très nombreux. Retenons qu’il est parfois « l’époux de toutes les femmes » « Le symbolisme du serpent est d’une polyvalence troublante, mais tous les symboles convergent vers une même idée centrale : il est immortel parce qu’il se régénère, donc c’est une « force » de la lune, et, comme tel, il distribue fécondité, science (prophétie) et même immortalité. D’innombrables mythes évoquent le funeste épisode où le serpent a ravi l’immortalité accordée à l’homme par la divinité. Mais ce sont là des variantes tardives d’un mythe archaïque dans lequel le serpent (ou un monstre marin) garde la source sacrée et celle de l’immortalité (arbre de Vie, Fontaine de Jouvence, Pomme d’or).

Quant au serpent époux de toutes les femmes, on observe une résurgence de cette probable croyance pré-néolithique dans de nombreuses légendes, à ceci près que, de l’ennemi de l’homme-mâle il devient l’ennemi de l’humanité, par un retournement curieux.

« Le cycle menstruel a sans doute contribué à rendre populaire la croyance selon laquelle la lune est le premier époux des femmes. »

Les civilisations amérindiennes présentent le double symbolisme du serpent décoré de « losanges ». « Cet ensemble a sans aucun doute un sens érotique, cependant la coexistence du serpent (phallus) et des losanges formule tout à la fois une idée de dualisme et de réintégration qui est par excellence lunaire, car nous retrouvons ce même motif dans l’iconographie lunaire de la « pluie », de « la lumière et l’obscurité », etc. (Hentze, Objets rituels, 27 sp. et Mythes, 140 sq.).

La Lune, la Femme et le Serpent

Si le serpent est l’époux de toutes les femmes, il est possible qu’il soit devenu une personnification masculine, comme la lune. « La Lune peut avoir aussi une personnification masculine et ophidienne, mais ces personnifications (qui se sont souvent détachées de l’ensemble initial pour suivre une carrière autonome dans le mythe et dans la légende) sont dues en dernier examen à la conception de la lune comme source des réalités vivantes et comme fondement de la fertilité et de la régénération périodique. »

« Les relations entre la femme et le serpent sont multiformes, mais elles ne peuvent en aucun cas être globalement expliquées au moyen d’un symbolisme érotique simpliste. »

la signification de la régénération pourrait être une des plus importantes : « Le serpent est un animal qui se « transforme ». Gressman (Mytische Reste in der Paradieserzählung, « Archiv f. Relig. », X, p. 345-367) a voulu reconnaître en Eve une déesse phénicienne archaïque du monde souterrain, personnifiée par le serpent. On connaît des divinités méditerranéennes représentées tenant un serpent à la main (Artémis arcadienne, Hécate, Perséphone, etc.)

Les cheveux des femmes dans de nombreuses légendes se transforment en serpent, quand elles meurent, quand les cheveux sont sous terre ou bien quand elles sont sous l’influence de la lune.

Le serpent et le savoir : Comme il vit sous terre, il incarne (entre autres bêtes !) l’esprit des morts : « le serpent connaît tous les secrets, est la source de la sagesse, entrevoit le futur. »

Enfin et pour conclure cette partie, retenons : « En tant qu’attribut de la Grande Déesse, le serpent conserve son caractère lunaire (de régénération cyclique) joint au caractère tellurique. » (tellurique : relatif à la terre)

Lien vers La Lune et la mystique lunaire (2) : http://laetitia-pille.com/la-lune-et-la-mystique-lunaire-2