Les femmes dans la Mésopotamie, IIIè-Ier Millénaire av JC

Ah bah oui, où étaient les femmes ?

Alors, sans grande surprise, tandis que les humains mâles étaient déjà plutôt des hommes du bâtiment ou du régiment, qui allaient régulièrement emmerder le voisin pour lui prendre sa terre ou ses biens, ou encore pour lui vendre sa camelote(1), mesdames restaient au chaud et s’occupaient des choses importantes de la vie : toute la maison et toute la famille. Entretien, habillement, alimentation, gestion des stocks… mais également, rejetons divers et variés et personnes âgées (la belle-mère… ou les belles-mères). Pas mal non ?

Mais ce rôle, non négligeable et à l’abri, se paie. Oui, tout se paie. En échange, les femmes ont dû abandonner leur prétention à la liberté et à l’indépendance.

Bon à cette époque si reculée, en vrai, à part peut-être le roi (et encore), personne n’est libre ni indépendant. Chacun doit tenir son rôle. La plupart sont esclaves ou dépendants d’un maître. Le maître est lui-même dépendant du palais et / ou du temple. Les autorités religieuses dépendent de la faveur des dieux, dont on interprète les volontés par la lecture du mouvement des astres, des viscères animales, du vol des oiseaux ou des rêves [je n’ai pas dit qu’on volait des oiseaux ou des rêves^^]. Ce qui laisse la porte ouverte à pas mal d’arnaques, certes. Mais en somme, chacun est soumis à plus haut que soi, et le plus haut… reste à savoir s’il existe. Notons que la question ne se posait pas. La liberté n’est donc pas là ce qui compte. Ce qui compte, c’est le sonnant, le trébuchant.

Ce qui compte, c’est l’argent ! Le pouvoir d’achat ! La liberté des femmes ou leur indépendance, ce n’est pas vraiment le problème. Ce n’est le problème de [presque] personne ! Le nerf de la paix, c’est l’argent. Et là, on peut constater que les femmes étaient souvent exclues du système économique… mais pas toujours !

Dans le formidable livre La Mésopotamie que j’épluche en ce moment, on trouve des renseignements sur ces valeureuses oubliées de l’histoire… ainsi qu’une étude spécifique, en fin d’ouvrage, destinée à répondre à la question : mais où sont les femmes ? Ou plutôt, où furent les femmes ? [La Mésopotamie, L’apport des gender studies, pp. 978-981]

A l’époque du royaume d’UR (IIIè – Ier millénaire), les femmes travaillent. Elles sont employées en équipes de travailleuses dépendantes non seulement à moudre le grain, filer et tisser la laine, mais aussi lors de la moisson pour transporter les briques, pour le halage
des barques sur les canaux de Sumer.

Les reines et les princesses, elles, disposaient de domaines qu’elles géraient en toute indépendance.

Plus on monte dans les sphères, plus est prégnante la bipartition « fonctionnelle » qui consacre les femmes à l’économie domestique. Plus on est pauvre, plus les femmes doivent travailler. Mais l’argent gagné ne leur revient pas.

Toutefois, certaines classes intermédiaires bénéficient d’une indépendance financière. C’est le cas notamment des religieuses-naditum, héritières de leur famille et gérant leurs biens comme elles l’entendent. Les religieuses-naditumdu dieu Shamash à Sippar du XIXè, sont attestées à Babylone et Kish.

Les femmes des marchands d’Assur gèrent également les biens familiaux en l’absence de leur mari, partis négocier au loin (i.e. vendre leur camelote)

La situation n’est cependant pas stable sur deux mille ans.

Au fur et à mesure des siècles, la situation juridique des femmes s’améliorent… ou se dégradent.

Par exemple, dans les codes de Lois d’Hammurabi (1769) – un célèbre roi Babylonien – ou les lois médio-assyriennes (XIVè av JC), les femmes sont considérées comme des « mineures » légales, mais elles ont des droits, qui sont mentionnés et sauvegardés. (Cf Femmes, droit et justice dans l’Antiquité orientale. Contribution à l’étude du droit pénal au Proche-Orient, Fribourg, Academic Press, Sophie Démare-Lafont 1999)

A Sumer, au début du IIè millénaire, si les femmes bénéficiaient d’une certaine autonomie, leur situation se dégrade sous la pression masculine. Le panthéon des dieux illustre d’ailleurs cette sorte de déclassement ; les déesses féminines se trouvent reléguées au second plan, ou au plan d’ « épouse de », à l’exception d’Ishtar et de Gula (pour les malades).

Ishtar était présente partout au Moyen-Orient sous les noms d’Innana (Sumer), Istar (Babylonie, Assyrie), Shaushka (mond
e hittite et hurrite), Astarté (Phénicie) ou Ashera (Israël et Juda).

Au milieu du IIè, malgré un sévère raidissement des conditions économiques de leur survie, les femmes du nord assyrien et de l’ouest conservent une certaine autonomie ainsi que des droits légaux dans le domaine de l’autorité parentale, l’accès à l’héritage des biens immobiliers, le culte des ancêtres.

Bien plus tard, à l’époque néo-assyrienne (VIIIè), la Maison de la Reine assyrienne abritent des femmes au pouvoir économique considérable : la reine et la shakintu (administratrice royale) dirigent certaines parties du palais.

Dans la Babylonie du 1ermillénaire, les archives (nombreuses) montrent que les femmes des notables géraient toujours l’économie du foyer aidées de tout le groupe féminin, domestiques, enfants etc… et se chargeaient de la toilette, de l’habillement, de la nourriture, des enfants et des personnes âgées avec toute l’autorité de la « maîtresse de maison ».

Dans les classes moins riches, les femmes travaillaient comme main d’œuvre. Les femmes restées célibataires pouvaient être rattachées au temple tout en jouissant d’une certaine autonomie.

Finalement, avoir le pouvoir sur la maisonnée, gérer comme maîtresse de maison une aussi grande organisation relevait d’une grande responsabilité. Sans parler de la population féminine des palais (cf Nele Ziegler, Le Harem de Zimri-Lim, Florilegium Marianum IV, Paris, 1999) légèrement privilégiée, dans les maisons riches, à l’instar des maisons romaines, on  compte des esclaves, des enfants, la famille plus ou moins éloignée, les « obligés » ou clients… parasites qui, ne sachant se nourrir de son propre travail et préférant l’oisiveté venaient réclamer son dû.

Le mariage était arrangé… les femmes mourraient souvent jeunes en couche. On ne considérait les enfants que passés 7 ans. Malgré tout, celles qui survivent puis se retrouvent veuves ont intérêt à avoir fait des enfants : les fils sont chargés des soins de leur parent, et notamment de leur mère car cette dernière n’hérite pas de son mari… sans doute une précaution du gars pour ne pas se voir empoisonné, vieux et moche, par une fringante jeunette qui le prendrait en abhorration et rêverait d’indépendance. Dans d’autres pays, on brûle les veuves… c’est le rite du Sati.

Les hommes se méfient des femmes, reines du foyer.

Dans le Dialogue du Pessimiste, fin du IIè millénaire, on lit : « Ne tombe pas amoureux, ô mon maître, ne tombe pas amoureux ! La femme est un vrai puits, une citerne, une fosse, la femme est une dague de fer affilée, qui coupe la gorge de l’homme ! »

Et comme de par hasard, dans la magie, si les hommes sont de bienfaisants exorcistes, les femmes, elles, sont de vilaines sorcières.

L’histoire se souviendra cependant de trois femmes, non pas pour leur linge lavé ou la super gestion de leur maisonnée ou leur éducation exemplaire ou encore leur succulent pâté de dattes, comme de par hasard… mais pour de tout autres exploits, bizarrement.

* La fille de Sargon d’Akkad, (2324-2285), En-heduanna, est l’auteur le plus ancien que l’on connaisse. Elle écrivit de nombreux hymnes religieux et fut grande prêtresse du dieu Nanna à Ur. Elle était également le relais du pouvoir royal akkadien dans le Sud ; son père l’ayant placé là pour assurer sa présence… (et oui, faut pas rêver non plus)

* Naqi’a, VIIè siècle, épouse de Senachérib et mère d’Assarhadon : elle fut régente et reine d’Assyrie.

* Sammu-ramat, mère du roi d’Assyrie Ada-nerare III (810-783), qui a inspiré la légende de  Sémiramis.

Sémiramis passe juste pour la fondatrice de Babylone ; c’est aussi elle, les fameux jardins suspendus… de quoi se venger a posteriori de l’invisibilité des femmes…

(1) N’allez pas croire à cause du boutade que les hommes ne servaient à rien… ils ont échangé les produits locaux, comme les céréales, les tissus, contre des métaux et autres denrées qui manquaient…

Pour davantage d’informations, lisez cet article ! Quelle place occupent les femmes dans les sources cunéiformes de la pratique, de Céline Michel.

Et en bonus, deux petites cartes de dieux  !

Bourdieu, Contre-feux

Contre-feux, propos pour servir à la résistance contre l’invasion néo-libérale.

Publié chez Raisons d’agir en 1998.

Nous sommes en 2018, et Contre-feux a été publié en 1998.

Pourquoi faut-il le lire ?

Parce que c’est un peu prophétique ? Vous l’attendiez celle-là ! Trop facile.

Non, il n’existe pas de prophète. En revanche, il existe des mémoires courtes, et la nôtre accepte qu’on nous rebatte les oreilles des mêmes alertes d’un côté, et des mêmes bêtises de l’autre. Par conséquent, peu importe la date, ces textes de Bourdieu donnent autant à penser que s’ils avaient écrit hier.

Au passage, relire du Bourdieu à l’heure où on lui prête volontiers des croyances ineptes en des entités fantomatiques, ça permet de garder la tête froide, de ne pas tomber dans les travers snobs, qu’il dénonce d’ailleurs [et ça me fait jubiler, mais c’est tout personnel] dans son texte consacré à Sollers.

"Son originalité - parce qu'il en a une : il s'est fait le théoricien des vertus du reniement et de la trahison, renvoyant ainsi au dogmatisme, à l'archaïsme, voire au terrorisme, par un prodigieux renversement auto-justificateur, tous ceux qui refusent de se reconnaître dans le nouveau style libéré et revenu de tout." (p. 18)

Ce qu’il lui reproche ?

"Faire semblant d'être écrivain, ou philosophe, ou linguiste, ou tout cela à la fois, quand on n'est rien et qu'on ne sait rien de tout cela" (p. 16)

Ce qu’il reproche à Sollers en clair ? D’avoir usurpé sa place d’intellectuel, puis perverti la gauche et l’avoir détruite de l’intérieur en y distillant le cynisme stérile [et snob, la posture désabusée] et le nihilisme narcissique [hypocritement blasé] à la Cioran – ceux qui répètent que rien ne sert à rien, mais souhaitent tout de même être publiés et pensent valoir davantage que d’autres. Et par cet individualisme dissimulé, cet amour de la posture personnelle, il lui reproche d’avoir favorisé le néo-libéralisme.

Deux attitudes négatives possibles : se faire passer pour un revêche intellectuel tellement plus intelligent que la masse que rien ne le séduit [cf au-dessus]… sauf le cul   [parce qu’il faut avoir un sacré pb de gonzesse pour écrire un truc pareil… ou alors il demande à son « harem » de le traiter en bébé… ?]. Ou rentrer dans le rang, devenir un traitre à l' »esprit » de 68. Dans leur cynisme et leur lâcheté, les deux attitudes se valent.

"La réaction de panique rétrospective qu'a déterminée la crise de 68, révolution symbolique qui a secoué tous les petits porteurs de capital culturel, a créé (avec, en renfort, l'effondrement - inespéré ! - des régimes de type soviétique) les conditions favorables à la restauration culturelle aux termes de laquelle "la pensée" Science-Po" a remplacé la "pensée Mao".(p.15)

J’étais heureuse d’entendre des propos similaires chez Alain Badiou, jeudi 10 mai 2018, sur France Culture dans la Grande Table,

 "au nom de l'échec ou du fiasco du communisme étatique issu de la révolution de 1917, ils ont déclaré que cette orientation en générale était impossible."

Or l’ambition collective, le « mettre en commun », est une orientation qui s’oppose à l’individualisme. Organiser la vie en commun, c’est tout le programme de la politique, au sens propre du terme. Mais l’individu existe-t-il ? Pour vendre des choses à des individus qui nourrissent par cet avoir leur narcissisme, il est important que l’individu croit en sa propre existence… or :

 "la notion d'individu est tout à fait obscure […] aucun individu n'est en mesure de déchiffrer sa propre existence sans la médiation de l'autre, et sans la médiation des autres […] il parle une langue, c'est pas lui qui l'a inventée, il est dans une société, c'est pas lui qui l'a créée, il tombe amoureux de quelqu'un, c'est pas lui qui l'a choisi, etc. et donc l'individu se dilate nécessairement dans sa propre existence. La notion de l'atome individuel, et des atomes individuels consommateurs, salariés et concurrents, qui est quand même la vision générale du libéralisme, je la crois fausse, tout simplement, c'est une idéologie et il faut s'en débarrasser et la politique, je crois, sert à ça." (Alain Badiou)

Vous l’aurez compris, ce recueil de textes de Bourdieu est politiquement ancré et ne veut pas laisser croire que la droite et la gauche, bah c’est pareil. Ainsi distingue-t-il la « main gauche » de l’État (assistants sociaux, éducateurs, magistrats, profs et instits) de sa main droite (énarques banquiers, cabinets ministériels) (p.9) et dénonce le torpillage de cette main droite par ce qu’on appelle aujourd’hui les experts.

"Ce qui est en jeu, aujourd'hui, c'est la reconquête de la démocratie contre la technocratie : il faut en finir avec la tyrannie des "experts", style Banque mondiale ou FMI, qui imposent sans discussion les verdicts du nouveau Léviathan, "les marchés financiers", et qui n'entendent pas négocier, mais "expliquer". (p. 30 : Contre la destruction d'une civilisation, intervention en gare de Lyon, lors des grèves de décembre 1995)

Il décrit et dénonce le nouveau « mythe de la mondialisation », océan dans lequel l’individu se rattache à ses « choses » et nécessaire pour assoir un pouvoir. Le mythe de la mondialisation, ou plutôt la justification théorique des privilèges…

 "Max Weber disait que les dominants ont toujours besoin d'une "théodicée de leur privilège", ou, mieux, d'une sociodicée, c'est-à-dire d'une justification théorique du fait qu'ils sont privilégiés." donc du mythe de la mondialisation, qui permet de faire accepter ce que Bourdieu appelle "la philosophie de la compétence "selon laquelle ce sont les plus compétents qui gouvernent, et qui ont du travail, ce qui implique que ceux qui n'ont pas de travail, ne sont pas compétents. Il y a les winners et les losers, il y a la noblesse, ce que j'appelle la noblesse d'État, c'est-à-dire ces gens qui ont toutes les propriétés d'une noblesse au sens médiéval du terme et qui doivent leur autorité à l'éducation, c'est-à-dire, selon eux, à l'intelligence, conçue comme un don du Ciel, dont nous savons qu'en réalité elle est distribuée par la société, les inégalités d'intelligence étant des inégalités sociales. L'idéologie de la compétence convient très bien pour justifier une opposition qui ressemble un peu à celle des maîtres et des esclaves." (p49)
(Le mythe de la mondialisation et l'État social européen, Athènes 1996)
 "On donne [ainsi] en modèle aux travailleurs européens des pays où le salaire minimum n'existe pas, où le salaire minimum n'existe pas […] Et c'est au nom d'un tel modèle qu'on impose la flexibilité, autre mot-clé du libéralisme, c'est-à-dire le travail de nuit, le travail des week-ends, les heures de travail irrégulières, autant de choses inscrites de toute éternité dans les rêves patronaux. De façon générale, le néo-libéralisme fait revenir sous les dehors d'un message très chic et très moderne les plus vieilles idées du plus vieux patronat." (p. 39)

Très important de toujours se souvenir qu’il s’agit là, en effet, des plus vieilles idées du monde : le travail payé à la tâche… que faisions-nous de pire ? L’esclavage peut-être.

Alors on va me dire qu’il faudrait étudier davantage l’économie, et que d’ailleurs :

Le Prix Nobel d’économie Edmund Phelps a affirmé que l’inculture économique des Français coûtait au pays 1 point de PIB par an.

Moi, quand je lis ça, je n’en peux plus de rire. Comment a pu-t-on en arriver là ? Et calculer un tel délire ??

Si l’on peut faire de tels calculs, j’aimerais qu’on calcule également combien coûte l’inculture en général ! Celle qui permet de balayer Bourdieu d’un revers de la main en se disant « c’est obsolète, des vieilles idées« , celle qui fait oublier les acquis sociaux très récents du début du XXè (puisque les plus vieilles idées du monde ont près de 3000 ans ; il ne suffit pas d’écrire NÉO devant pour que le monde soit dupe…), celle que fabrique une école désavouée et désunie, percluse des bêtises à la mode des derniers pédagogues et qui produit des illettrés, mauvais en math, prompts à se faire avoir par n’importe quel médiocre vendeur, obsédés par l’AVOIR et prêts à laper n’importe quelle amertume pour l’AVOIR.

Le pire s’est déjà produit dans la politique puisque c’est à gauche que l’on voit fleurir la méfiance envers l’État et le mépris des services publics. Qui rêve de devenir fonctionnaire pour manifester sa solidarité avec l’ensemble des citoyens ?

"Dans une époque de crise de la confiance dans l'état et dans le bien public, on voyait fleurir deux choses : chez les dirigeants, la corruption, corrélative du déclin du respect de la chose publique, et chez les dominés, la religiosité personnelle, associée au désespoir concernant les recours temporels. De même, on a le sentiment, aujourd'hui, que le citoyen, se sentant rejeté à l'extérieur de l'État (qui, au fond, ne lui demande rien en dehors de contributions matérielles obligatoires, et surtout pas du dénouement, de l'enthousiasme), rejette l'État, le traitant comme une puissance étrangère qu'il utilise au mieux de ses intérêts." (p.12)

 

Serrez à gauche !

Évitez la gauche identitaire !

(Tant pis si vous êtes un chaton…)

 Travailleuses ! Travailleurs ! Peuple de gauche !

Ça vous faisait rire ? ça vous rappelle encore quelque chose ?

Nous, avec ma dulcinée, on s’est carrément rencontrés sur un site internet d’extrême gauche ! Sur fond d’Internationale ! C’est pour dire si on a le cœur rouge !

Et puis un matin, à force de « en même temps« , on a commencé à se demander si on pouvait encore se dire de gauche… J’ai toujours confondu ma droite et ma gauche il faut le dire, alors comme j’ai pris l’habitude de réfléchir à la main qui écrit, je vais tâcher de faire une petite mise au point, pour moi-même et peut-être pour vous…[1]

Le contexte d’origine de quelques sales gauchistes que nous fûmes / sommes encore (?)

A l’origine, je me disais de gauche pour désigner rapidement mon attachement à un ensemble de projets visant l’égalité du genre humain dans son intégralité devant l’accès aux droits et aux devoirs afférents. Qui que tu sois, tu AS (tu devrais avoir) les mêmes droits et les mêmes devoirs. Et la justice – créée selon l’appréciation de la communauté humaine du moment – doit être aveugle.

Parmi ces projets, il y avait également un espoir placé dans les progrès de la science – c’est-à-dire l’ensemble des connaissances non encore réfutées – dont l’un des rôles était à mes yeux de fournir les prémisses irréfutables – en tout cas non encore réfutées[2] – pour argumenter à la fois CONTRE les croyances imbéciles (racisme, sexisme, superstition, religions) et POUR une meilleure gestion des ressources, responsable et solidaire.

Bref, solidarité, égalité, science et laïcité (i.e. un espace commun où l’on aurait le droit à la fantaisie personnelle, après tout, dans la mesure où cela ne dérange personne…)

Je vais tâcher de montrer une partie des raisons qui morcellent, handicapent ou obèrent notre projet (ne pas rire) qui se trouve dès lors dévoyé, personnalisé, confondu… libre à vous de réagir.

Premiers émois face à l’égalitarisme (de gauche)

Un premier choc : les cercles de femmes non-mixtes et l’égalitarisme !

J’avais été invitée dans un cercle de féministes (de gauche), non-mixte, parce que j’avais osé m’insurger – gentiment, car je suis toujours polie et souriante 🙂 – contre ce procédé que je datais naïvement des calendes grecques et de leur gynécée : non-mixte… DONC ça veut dire « pas de mecs » !? Zut ! 🙁 Mais pourquoi pas de mecs ? Qu’a-t-on à dire qui nécessiterait une ambiance de secret ? Et pourquoi ce groupe, qui s’appelait, en toute simplicité, « Groupe Femmes« , souhaitait-il se regrouper entre femmes pour en réalité ne parler que d’une chose : des hommes ! Enfin pardon ! Des problèmes imputables aux hommes ! (oui les hommes ne sont pas réductibles à « une chose ») et de tout ce qu’ils font subir aux femmes au nom de leur sexe agressif !! Un « Groupe Femmes » interdit aux hommes, où on leur adresserait des reproches, comme à des divinités absentes et présentes à la fois. Je ne comprenais pas bien. On allait m’expliquer, on me proposait donc d’y aller !

Je n’ai rien compris, il faut le dire. En revanche, j’ai découvert une drôle de forme d’égalitarisme… aux forceps. Alors même que les hommes, objets de tous les opprobres, étaient absents et par conséquent, privés de droit de réponse, nous, les femmes, devions nous astreindre à un temps limité et considéré comme égal pour chacune d’entre nous. Ainsi, tour à tour, nous avons mesuré approximativement le temps de parole de nos camarade.e.s (ah ben oui dis, comment on fait pour dire que les camarades suscitées n’étaient que des femmes ?? Enfin pardon : qu’il n’y AVAIT QUE des femmes ?) et avons pris soin d’interroger coûte que coûte celles qui n’avaient rien à dire. Qui se ridiculisaient donc un peu en marmonnant un « je ne sais pas, je suis de la même opinion qu’une telle en fait… ahah 😀 » et de sourire gentiment, comme on nous l’a appris, nous la gente féminine bien élevée.

Moi qui parle sans arrêt et qui coupe la parole à tout le monde parce que ce que j’ai à dire est hyper important, tellement passionnant et instructif et essentiel, j’en suis partie extraordinairement frustrée ! Une dictature ! Tout ça pour que les femmes timides prennent l’habitude de s’exprimer en présence d’hommes…? Qui, dois-je le rappeler, étaient absents, parce qu’exclus. Moi, j’en avais mal au bide tellement je m’étais retenue ! Beaucoup souffert de me voir bridée dans la parole, moi qui n’ai justement aucun problème à couper la parole à tout le monde, femme, homme, gorille, chien, film, radio…

Un groupe de femmes où je ne pouvais pas m’exprimer librement… pour cause de temps de parole égal !??

C’est là que j’ai commencé à voir se dessiner un premier renversement : je ne suis pas si égocentrique, pas si dictateur que ça ?? (ah… on me dit à l’instant que si !) Je veux bien que tout le monde puisse s’exprimer ! Mais il y a une différence entre le droit pour tous de s’exprimer librement et l’obligation faite à tous de s’exprimer – obligation d’ailleurs impossible puisque, nous n’étions qu’un échantillon qui ne représentait ni toutes les femmes, ni tous les humains. Bref.

Je me rendais compte que l’enjeu n’était plus D’AVOIR une part égale mais D’ÊTRE une part égale. Or, si l’on peut mesurer l’avoir, comment mesurer l’être ? Voilà le jeu de piste sur lequel je me suis lancée alors…

Les croyances individuelles (« ça marche pour moi ») et les expériences personnelles

Dans le même temps, je découvrais par ma dulcinée un autre monde, celui des néo-ruraux, issus de la gauche hein ! bien sûr ! On fréquente pas n’importe qui quand même ! (alors on me demande de préciser qu’il s’agit des néo-ruraux issus de l’écologie prétendue radicale de Reporterre et Pierre Rabhi).

Moi qui croyais que les croyances stupides (enfin… celles dont on n’a aucune preuve scientifique, voire dont on a une preuve scientifique d’inefficacité…) avaient disparu, je découvrais que d’autres étranges objets d’adulation avaient fleuri… pendant que je m’énervais contre le voile, le carême ou les opus dei… La Mère Nature s’était dressée dans l’herbe et sur les plateaux ! Cette force surnaturelle, cette figure hypostasiée digne d’une caricature du pire de Bourdieu[3], une entité qui serait bienveillante, qui serait bien faite (hein ! la nature est bien faite quand même !) et qui pourrait même être reconnaissante ou vengeresse ! Ça me rappelait soudain certains auteurs du XVIIè qui expliquaient non sans rire que les moutons portaient la laine pour que l’on puisse se confectionner des pulls, nous qui n’avions point de pelure suffisante…[4]

C’est alors que je tombais à la renverse de Charybde en Scylla, de ma naïveté première dans une inquiétude grandissante. Un magnétiseur ? De la biodynamie ? L’homéopathie ?

Alors pourquoi pas… je n’ai rien contre les fantaisies personnelles, j’ai moi-même d’excellentes fantaisies personnelles… Et je n’ai rien contre les gens qui s’amusent à faire des messes noires ou des massages énergisants… mais quand ils se réunissent pour organiser la mise au pilori de la science, je m’inquiète.

Que s’est-il passé ? Pourquoi d’un coup, à gauche où la science devait nous sauver de l’obscurantisme – sur lequel, je le rappelle, les seigneurs s’appuyaient pour nous cravacher comme des tarés et grâce auquel ils nous expliquaient qu’on irait cuire en enfer si on ne bossait pas à en crever ! – pourquoi la gauche se détourne-t-elle de cet appui pourtant formidable, à portée universelle – la science est la même pour tous et partout sur la planète, c’est pas génial ça ? – au profit de petites croyances personnelles ?

Attention, je n’ai rien contre les croyances personnelles, j’ai moi-même d’excellentes croyances personnelles…

Possible que les grands groupes industriels aient tellement abusé des recherches, aient tellement corrompu certains de nos scientifiques que tous sont victimes d’anathèmes ou, du moins, fortement soupçonnés… Mais faut-il alors tout balancer à la poubelle ?

Et tout de même, si des humains scientifiques sont malhonnêtes, n’accusons pas la science – qui n’est personne (Contrairement à la nature ! ahahahah !) d’être malhonnête ! On dirait que tout le monde a oublié ce qu’est la science… ni bonne ni méchante, ni bienfaisante, ni malfaisante, elle n’est que théorie du monde objectivé, hypothèses sur les relations de cause à effet que l’on croit observer, vérification d’hypothèses, mise en place de protocoles qui permettent leur validation etc (cf l’excellent article de Virginie Tournay[5]). C’est ce qu’on fait de la science qui peut être néfaste. Restons vigilants[6]. Bref, rien de très magique… alors que s’est-il passé ?

Prenez un chewing-gum, Emile !

Moi, j’émets une hypothèse et me demande si le marketing, qui préfère mentir mille fois à mille personnes plutôt qu’une fois à mille personnes, s’est mis à s’adresser aux individus plutôt qu’aux humains. Pour servir le grand capital… pardon, pour que le marketing soit efficace, il semble nécessaire de casser un repère collectif aussi puissant que la science, tout en l’utilisant pour optimiser les produits et leur vente. Créons alors l’individu unique, flatté dans son ego jusqu’à se croire irremplaçable…[7]

Regardons un peu la publicité qu’on nous fait de notre ego. C’est notre personnalité formidable qu’on nous vend sans cesse. Chaque produit est un nouveau miroir. Il ne vous a pas échappé à quel point le marketing, parfois promoteur, est également suiveur… suiveur des dernières lubies à la mode. (Voilà venu le steak veggie de MacDo !!!… hein ? et moi en tant que carniste, j’aimerais manger de la salade de bœuf… )

Dès lors, beaucoup de choses peuvent s’expliquer… Mais laissons donc ma formidable personnalité tranquille et creusons plus loin dans l’égarement droite / gauche.

Les vilains privilégiés et la suite de l’égalitarisme

Je découvre alors par ma dulcinée une nouvelle théorie, qui confond encore davantage ÊTRE et AVOIR.

Comment s’appelle-t-elle ? La théorie des privilèges, qui consiste à examiner de quels privilèges vous êtes doté, dans votre vie, examen à partir duquel on pourrait… on pourrait quoi ? Demander de rétablir une grande égalité ? Une plus grande justice ? Ah je sens qu’on revient à l’égalitarisme du départ…

Cette théorie vous explique que si vous êtes un homme, blanc, grand, riche, hétérosexuel… ((ici un rapide topo historique)) vous êtes un privilégié. On vous accorde même des points ici pour estimer votre niveau de privilèges. Oui car on n’est pas un homme en réalité, dans cette nouvelle façon de voir les choses : on a le privilège d’être un homme. Et c’est bien différent.

Extrêmement gênant lorsque votre ami noir que vous admirez pour ses qualités intellectuelles et qui est plus riche et plus diplômé que vous, et que vous enviez peut-être un peu parce qu’il est beau et brillant, se voit affublé d’un score ridicule par rapport au vôtre. Un peu gênant… et c’est là qu’on se rend compte de l’effet pernicieux du truc, qui voudrait au départ mesurer les différences, premier pas vers l’élaboration d’un système de culpabilisation, débouchant idéalement sur un système de… compensation… !? De compensation, de quoi ?

Mais de quelle situation parle-t-on ? Parce qu’enfin, on n’est pas supérieur ou inférieur dans l’absolu ! Qui oserait sortir un truc aussi con ? Outre le fait qu’être un homme blanc n’est pas du tout un privilège en soi, n’est pas du tout un privilège absolu, il faudrait définir en quoi il demeure un privilège relatif : pour véritablement estimer le privilège que cela représente, on devrait effectuer des tests

dans toutes les situations sociales possibles sur cette planète où l’on est amené à faire un choix, où l’on est mis en concurrence… bref, faire un test scientifique avec un protocole pour prouver qu’être blanc et homme, c’est dans tous les cas de figure mieux qu’être noir et femme… de surcroît, je ne sais pas d’où viennent ces points attribués et sur quelle base ils sont calculés… Pas besoin d’en rajouter, regardez par exemple ce tableau et faites vous votre propre opinion.

Capacité d’étonnement au secours !

J’espère que vous avez conservé la capacité saine de vous étonner, et même à voix haute, et de dire « Mais WTF ? » J’espère également que tout le monde remarque l’effet pervers d’un tel calcul : cela nous conduit à penser que les privilèges auxquels auraient accès seuls les grands, hommes, blancs resteraient parfaitement inaccessibles aux autres. Cela, en fait, essentialise l’avoir… la maison ou la voiture que l’homme blanc grand a acheté n’est plus un avoir : il EST cette maison (ou cette voiture – dès lors, on comprend mieux que des imbéciles pas très beaux se sentent obligés de se maquiller avec d’énormes SUV bien plus rutilantes que leur petite personne.) Ce système parachève la grande confusion entamée entre être et avoir. Tellement happé par des préoccupations consuméristes, il pourrait même n’être plus rien sans son gros AVOIR.

Or justement, si l’on sépare d’un côté L’ÊTRE blanc, noir, grand, petit, femme, lesbienne… et de l’autre, L’AVOIR, en mettant au centre, accessible à tous le droit d’avoir et le devoir de faire, tout est plus clair. Non ?

Ça paraît simple, vu comme ça… mais en réalité, ça fait des millénaires que certains, de plus en plus nombreux, se battent pour que le droit soit L’AVOIR de tous, peu importe ce qu’il EST. On s’en fout en fait !

Le sexe et ses atours

Retour sur les féministes tirées par les cheveux et leurs pièges

Ah les féministes… dont je suis pourtant (mais c’est désormais comme une vaste famille où tout le monde se déteste on dirait), comme je suis de gauche… Ne revenons pas encore sur les polémiques MeToo et Balance ton porc.

Moi j’ai vu avec horreur fleurir les mots féminicide, manterrupting, manspreading… (Enfin je mens… en vrai, j’étais hilare). Si vous tuez votre femme, ce n’est pas parce que vous êtes un gros con lâche et violent, c’est parce que vous êtes un homme et qu’elle est une femme : c’est un féminicide. Si vous vous disputez avec elle, ce n’est pas parce que vous êtes un gros nul en communication, c’est parce que vous êtes misogyne. Si vous lui coupez la parole, c’est pas parce que vous êtes grossier, c’est du manterrupting. D’ailleurs, si vous êtes grossier et que vous ne savez pas vous tenir, si vous n’avez aucune conscience de votre corps et de la place qu’il prend, notamment dans les transports au commun, c’est du manspreading : vous le faites exprès parce que vous êtes un homme.

L’homme serait-il, par essence, un bourreau de femmes par misogynie intrinsèque ou un éternel gros con lâche et violent, nul en communication, grossier et qui n’a aucune conscience de son corps ? Je ne sais pas moi, je pose la question ? !

Mais revenons à l’éternel féminin (fake qui dure depuis une éternité…). Sur les plateaux télé, il faut désormais interroger les femmes à égalité car, par essence, la parole des femmes serait représentative d’une autre parole étiquetée féminine. Et dois-je poursuivre avec l’écriture inclusive dont j’ai déjà longuement parlé (Contre l’abus d’inclusivité dans l’écriture) : Si vous êtes une femme auteur, il faut aussi l’écrire « auteurE » et d’ailleurs… il existe même des sujets de thèse sur l’écriture féminine… Il y a vingt ans, quand j’ai découvert ça, j’étais déjà outrée! Je sentais que cela signifiait « il y a une pensée universelle, et au sein d’elle, il y a une pensée différente, féminine« . Ou encore : une femme ne peut pas penser autrement qu’en tant que femme. Une femme fait une science de femme, des récits de femme… Une femme est une femme avant d’être un humain ! C’est ce que je n’aime pas dans l’écriture inclusive. Que dirait-on si on étudiait l’écriture des gens noirs… ??? Le renvoi à une nature dite « féminine ». Moi, j’avais envie de faire une thèse sur l’écriture masculine, de chanter le mystère et l’éternel masculin. Malheureusement, je manquais de temps à perdre à l’époque (Alors que revoilà la sous-préfette… : Lire encore ça et ça)

Certain.e.s person.nes (ahahah) voudraient voir dans l’éternel féminin d’éternelles victimes (du patriarcat pour ne pas le nommer) et se présentent désormais à tout bout de champs comme des victimes, se drapant dès lors dans une nouvelle identité, un habit qui devrait attirer sur elles la commisération de tous les autres. Soit parce qu’elles (je parle des personnes hein !) s’en veulent d’être au fond tellement privilégiées (si t’es pas d’accord, c’est que tu n’as pas passé le test au-dessus, espèce de blanc riche et dominant…!) qu’il faut bien trouver des raisons de se plaindre, soit parce qu’elles n’assument pas du tout d’avoir fait un choix un peu bête ou d’avoir trop bu ou d’avoir manqué de répartie… bien sûr je ne parle pas des viols, qui sont des crimes. Je parle par exemple des relations sexuelles, dont, après coup, on n’est pas très fier (accord avec ON impersonnel), et qu’on regrette… alors on se demande si on était vraiment consentent.

Je crois qu’on devrait surtout se poser cette question passionnante du consentement quand on se précipite comme un débile sur le dernier I Phone hyper cher… était-on vraiment consent ? De faire cet achat polluant et qui n’apporte pas à grand chose, finalement…? Des victimes, oui, du marketing…

En regardant les débats qui fleurissent partout, et croyez-moi, j’en ai vu, d’abord parce que j’adore les débats, ensuite parce que j’adore les débats de femmes, parce que nous les femmes… nous le charme…

(à poil Juglio…) 

ensuite parce que, bizarrement, quand ça parle de femmes, je me sens concernéE. Je me suis demandée si je n’y retrouvais pas le même biais : sous couvert de recherche d’égalité, on assiste (encore) à un processus d’essentialisation. Qui êtes-vous ? Une femme. Et surtout et avant tout une femme. D’ailleurs, le marketing vous le répète : vous vend des crèmes de femmes, des vêtements de femmes, des chaussures de femmes… On ne cesse de vous le répéter sans cesse : vous êtes AVANT TOUT une femme. Mais moi, je ne sais pas vraiment ce qu’est être une femme, et je n’y pense pas toute la journée, à part quand je regarde dans ma culotte, mais je ne fais pas ça à longueur de temps.

Qu’est-ce que c’est être une femme ? Est-ce être un non-homme ? Est-ce que c’est être autre ? Le deuxième sexe ? Et les humains se divisent-ils en toute occasion en deux genres ?

Binaire et non-binaire

L’écriture inclusive me dérange avant toute chose parce qu’elle veut que je présente visiblement mon sexe AVANT (ou en même temps que – selon la formule jupitérienne) toute autre information, et trimballent dans son sac en –e toutes les représentations qui vont avec. Je suis écrivaine ? ça veut dire écrivain + femme. Ah bon ? ça vaut cocktail pertinent ? J’écris comme une femme, c’est ça ?

Alors loin de moi l’idée de nier des différences. J’ai moi-même d’excellentes différences personnelles. D’ailleurs, pour tout dire, le point de vue scientifique des études en biologie sur la question me laisse parfaitement tranquille. Quand je vois ici (TED Franck Ramus, à 8’48) ce que montre la science au sujet de nos différences, au lieu de râler, réjouissez-vous d’être des femmes.

Néanmoins, depuis longtemps, comme je parle de cul, comme je coupe la parole, comme j’ai une sexualité libérée, on me dit « mais toi t’es un vrai mec… » ah bon. J’encaisse. J’en apprends ainsi davantage sur la personne qui m’assène de tels jugements. OK : c’est ce que ça veut dire pour mon interlocuteur. Quand il me dit ça, il me dit « Pour moi, un vrai mec, c’est quelqu’un qui parle de cul, qui coupe la parole et a une sexualité libérée. »

J’ai toujours accueilli avec beaucoup de moqueries les remarques du genre « Oh tu as peur d’une araignée, tu es bien une fille ! » « Oh tu es une infidèle chronique, t’es un vrai (connard de) mec ! ». Cela m’a appris très tôt à quel point c’était ridicule et à quel point je ne voulais pas accorder d’importance à ces catégories simplistes.

 

Mais qu’est-ce qui me gêne là-dedans ? Je veux dire dans le fait qu’on me dise « T’es une fille, c’est pour ça que tu mets du rose. Mais quand tu dis des gros mots, t’es plutôt un mec. » Exactement la même chose que ce qui me gêne dans l’écriture inclusive : ça n’a aucun intérêt.

En fait, je ne me sens pas toujours « femme » ! C’est même assez souvent le dernier de mes soucis. Attention, je ne me sens pas homme pour autant ! Juste, je me fous de mon sexe la plupart du temps ! Je me sens femme quand on me complimente en tant que femme ou qu’on m’insulte en tant que femme – ce qui n’arrive pas très souvent – on ne me dit pas souvent « Pour une femme, tu es belle ! » ni même « Pour une femme, tu es assez stupide ». Je me sens femme – parfois – quand je fais l’amour avec un homme (un vrai hein…^^). Sorti de là, je n’y pense pas souvent.

Moi qui ai pu avoir des relations sexuelles avec des femmes (avec lesquelles je me sentais femme ou de sexe sans importance) ou avec des couples hétérosexuels (avec lesquels… pareil), je ne me sens pas vraiment appartenir à un genre… Et si ce sentiment de non appartenance permanente à un genre était justement celui en vertu duquel les humains se sentent tous ensemble concernés par la lutte pour obtenir l’égalité des droits pour TOUT LE MONDE ? Car bien avant de se sentir homme ou femme, ne nous sentons-nous pas surtout des êtres humains ?

Je ne me suis jamais sentie contrainte de correspondre à un genre. Je sais que j’ai le droit, à égalité avec les hommes, de porter des robes et du rouge à lèvre. C’est pas de ma faute si la grande majorité d’entre eux ne souhaite pas user de ce droit…^^

Et vous, vous êtes QUEER ?

C’est alors que ma dulcinée – décidément Muse Égérie – me montre encore une nouvelle théorie, une nouvelle façon de voir le monde, émanant des études de genre (gender studies) et provenant des États-Unis (ici le même rapide topo historique, au cas où vous l’auriez sauté !

)

Pour sortir de cet étroit carcan homme/femme, Mars/Vénus, ces théories proposent une multitude de genres possibles. Le principe est clair : il faut réussir à distinguer le sexe du genre. S’il n’existe que deux sexes en biologie – bon, bien sûr il y a les hermaphrodites, hein !? Mais on va rester simple – on pourrait tout de même se « sentir » homme alors même qu’on a un sexe de femme, et « femme » tandis qu’on a un sexe d’homme. Enfin… j’écris « qu’on A » : le verbe AVOIR est sûrement inopportun. Le « tandis que » implique aussi qu’il y a une opposition. Bref, ma formulation est maladroite. Elle est maladroite parce qu’elle dessine un monde binaire : certains se sentent tout autre chose… en réalité, le panel est énorme et je vous laisse le découvrir. (Merci FM 😉 Quand j’ai découvert ces théories, il m’a semblé qu’elles provenaient au départ d’une envie désespérée (et que je trouve juste !) de s’extirper de ce choix binaire : être homme ou être femme, puisque à l’option « être homme » correspondrait toute une série d’injonctions sociales et biologiques, tandis qu’à l’option « être femme » correspondrait… justement !? Quoi ? S’agit-il des injonctions sociales et biologiques inverses ? Opposées ? être une femme, est-ce avant tout ne pas être un homme ? Ou bien est-ce être tout autre chose ?

Pour brouiller les pistes, en outre, ces théories expliquent volontiers qu’il n’existe pas vraiment de fondements biologiques à l’être femme ou l’être homme. Chacun aurait le droit d’être ce qu’il veut… femme, homme le lendemain, chat, tigre…

Après tout, le changement, n’est-ce pas… Héraclite disait déjà, non pas le changement c’est maintenant… mais le changement, c’est tout le temps !!!

"Une seule chose est constante, permanente, c'est le changement".

Et moi ça me va bien !

Mais pour se définir « non-binaire », ou « gender fluid » – c’est-à-dire variablement homme, femme ou autre – ne doit-on pas justement s’appuyer sur une définition de base de ce qu’est une femme, un homme… ? Alors moi, j’aimerais savoir ce que c’est. Il me semble que pour se dire « non-binaire », il faut au contraire vraiment avoir intégré une sorte de binarité homme / femme, celle justement contre laquelle ces théories semblent lutter, et qui, à mon avis, n’a guère plus d’intérêt que « les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus », manuel de vie en commun pour les imbéciles qui auraient du mal à communiquer simplement.

Moi, personnellement, alors que je suis rousse et plutôt pulpeuse, à l’intérieur de moi, figurez-vous que je me sens plutôt blonde aux cheveux courts avec un corps androgyne et musclé. Bizarre non ? Mais après tout, beaucoup de brunes se sentent blondes… et se décolorent… beaucoup de gros se sentent minces et font des régimes… beaucoup se sentent bruns et sont bruns… certains se sentent blancs et sont noirs… certains ne pensent pas toute la journée à leur couleur de peau… certains sont des hommes et se sentent lesbiennes : c’est-à-dire qu’ils se sentent femmes et homosexuelles. En affinant un peu, on pourrait d’ailleurs tâcher de distinguer se sentir de se vouloir autre que ce à quoi notre apparence nous assigne, aux yeux des autres, dans les catégories sociales héritées par l’histoire. Certains, comme moi, se sentent légèrement autre, mais ont appris à s’accepter parce que finalement, leur apparence était aimée et désirée des autres. C’est plus facile. Je soutiens les autres dans leur lutte de se faire accepter tels qu’ils souhaitent être et je bénis la science de parfois pouvoir leur permettre de changer de sexe.

Finalement, je reprends ma question de départ : ne serait-ce pas justement en vertu de cette sensation plus ou moins forte de frontière artificielle entre les genres que la lutte pour une égalité des droits est possible ?

« Je me suis enfin sentie femme » ?

Bien sûr, nous sommes heureuses qu’aujourd’hui personne ne nous oblige à porter des robes – tandis que les hommes, eux, subissent encore une pression sociale importante qui les empêche d’en porter !! Nous pouvons jouer au foot comme à la barbie. Et nous devons faire taire ceux qui nous traitent de « garçon manqué » – cette immonde expression qui implique qu’un sexe serait comme l’autre, mais en raté – à coup de pelles, même si ce serait peu « féminin ».

Attention : si on vous dit homme et que vous vous sentez une femme au fond de vous, suffira-t-il de porter une robe pour l’être vraiment ? Je veux dire : avoir l’apparence d’une femme, c’est suffisant ?

Je persiste donc : je ne sais pas trop quoi mettre derrière « se sentir femme », par exemple. Et pourtant je suis une femme. Est-ce que le « se sentir femme » pour une femme est équivalent au « se sentir femme » pour un homme qui se sentirait une femme ? J’ouvre juste un débat, j’aimerais des réponses. Car j’ai bien peur qu’on revienne immanquablement sur les clichés liés aux deux sexes que justement ce phénomène ou ces théories queer cherchaient à évacuer. (ici une excellente critique) et pour en savoir plus sur les raisons biologiques du pourquoi éventuellement on pourrait se sentir comme ci ou comme ça)

1) Pourquoi deux sexes ?

D’abord, d’où ça vient cette partition du monde en deux ?

En réalité, ce serait une vraie révolution que de la mettre à bat ! Sachez que le monde divisé en deux l’est depuis fort longtemps. Je n’enfoncerai pas des portes ouvertes avec le yin et le yang, le lingam et yoni… et leur complétude devant l’éternel. Je parlerai plutôt des listes d’opposés (appelées sustoichiai) établies par nos ancêtres les grecs… qui opposaient invariablement le sec à l’humide, la droite à la gauche, le soleil à la lune, le blanc au noir… et je vous le donne Emile, l’homme à la femme !!

Bien sûr, l’opposition lumière vs ténèbres et bien vs mal bien plus ancienne et répandue sur la planète, est venue mettre son grain de sel. Et les valeurs morales avec… et devinez  de quel côté on a mis femme vs homme ? Et bien pas respectivement en tout cas. Or, c’est justement là qu’il faut lutter : le principe analogique qui remplace tout effort de rigueur intellectuelle et érige de façon illogique ou sophistique des valeurs…

Mais avant de vouloir briser ces colonnes d’opposés, il faudrait bien circonscrire l’utilité réelle de la partition binaire du monde, et bien la ramener à ce qu’elle est aujourd’hui : faire des prévisions économiques, marketing, évaluer combien auront besoin d’un gynécologue, combien de cancer du sein probables etc. Il est aussi probable qu’il n’y ait pas de volonté malfaisante d’un ordre supérieur quelconque… juste la simple nécessité d’équiper, de pourvoir correctement ou à peu près, de prédire peut-être les crèches etc.

Mais ce n’est pas gênant qu’il ait deux sexes ou 47… Admettons qu’il n’y ait que deux sexes et trente six mille genres (c’est quand même un peu ce que la science semble montrer, il y a majoritairement deux sexe) l’important c’est de ne pas attribuer à l’un ou l’autre, de valeur supérieure, de droits plus grands ou plus puissants.

C’est ce que Franck Ramus explique très clairement à la suite de cet article ici.

2) Le rejet

Le deuxième point, c’est le rejet. Bien entendu, comme je le disais, mon sentiment d’être androgyne, et le fait que je ne le sois pas du tout en apparence, ne m’a jamais causé aucun problème ni même aucun sentiment de rejet. C’est bien plus facile d’accepter son image quand les autres semblent l’apprécier. J’aurais pu non seulement me sentir autre, mais également haïr mon apparence et l’effet que je produis sur les autres. J’aurais pu aussi, indépendamment de tout cela, être frappée de paranoïa et penser que les autres me haïssent à cause de ce que je me sens. Il est fort probable que dévastée par un tel sentiment de rejet de la part des autres, une sourde colère aurait nourri ce projet d’aller inventer de nouvelles catégories. Car enfin, ne sont-ce pas de nouvelles cases dans lesquelles moi, par exemple, je ne me retrouve pas… mais je m’en moque.

C’est plutôt chouette de pouvoir se teindre les cheveux, suivre un régime ou changer de sexe. Et si d’un côté la société riche dans laquelle nous vivons peut prendre en compte comment vous vous sentez, d’un autre côté, elle peut même vous foutre la paix quant à la sexualité à la quelle vous aspirez – en sachant que ces deux paramètres peuvent varier au fil du temps… – c’est pas formidable ? C’est plutôt chouette de vivre dans un pays où votre sexualité peut être librement exprimée, assumée, vécue.

Mais au-delà de tout cela, n’est-ce pas simplement un problème de confusion entre ÊTRE et AVOIR, comme je le suggérais en haut? Car enfin, qui empêche qui d’être qui ? Personne ne peut vous empêcher d’être ce que vous êtes ! Et vous êtes les seuls à savoir ce que vous voulez être !

Demander le droit égal de porter des robes, des pantalons, du maquillage, des cheveux noirs ou un pénis. Le même droit pour tous… dans la limite de la science disponible – et défendue pour ce qu’elle est et ce qu’elle nous apporte… OK ! Et là, j’en profite pour rappeler que OUF la science est là pour aider ce qui souhaitent changer de sexe. (Et OUF la richesse est là aussi dans nos pays de privilégiés, mais j’y reviendrai…)

Bref. Les théories queer offrent une telle variété de choix d’être au monde qu’on a envie de dire : « bah oui ! Vous êtes en effet un être particulier ! Oui, en effet, vous êtes différent du voisin ! Personne n’a d’ailleurs jamais prétendu le contraire ! Mais va-t-on créer 9 milliards de cases pour que chacun ait la sienne ? Et surtout : pour quoi faire ? »

Avec l’émergence et la revendication de telles préoccupations personnelles – du genre, je me sens une licorne, je me sens un hobbit – on risque de perdre de vue le projet d’égalité des droits (et des devoirs).

Entendons-nous bien, je n’ai rien contre les préoccupations personnelles ! J’ai moi-même d’excellentes préoccupations personnelles…

Mais pour qu’une économie de marché fonctionne bien, il y a peut-être un grand intérêt à ce que d’une part les voix universalistes de la science soient fortement contestées, et que d’autres part, les voix individuelles de l’être, qui se revendiquent si fortement autre et ayant le droit d’être autre, aient besoin de consommer (du média, du cheveu bleu, du sexe pas pareil…) pour se sentir exister. Soit trimballer fièrement et customiser leur être si particulier.

Mais alors quels rapports avec droite / gauche ? J’y viens…

 

1) Identitarisme et droit au particularisme (le séparatisme…) versus universalisme

Alors voilà que les revendications de reconnaissance de particularismes, qu’ils soient sexuels, religieux, régionaux, culinaires… m’apparaissent comme autant de déclinaisons de l’identitarisme qui ne fascinait pourtant que la droite, en principe… L’universalisme est-il devenu ringard ? C’est ce que cet article excellent se demande.

 

2) DOXA versus LOGOS

C’est là qu’il faudrait rappeler les frontières qui ont pourtant bien été délimitées et définies il y a plus de 2000 ans, entre le terrain de l’épistémè et la doxa, la doxa étant l’opinion (personnelle, particulière, non scientifique), l’épistémè étant le terrain de la science, de ce qui a vocation à être partagé sur le plan universel. Faire la différence entre ce que je pense dans mon coin, ce à quoi j’aspire, mes rêves et mes fantaisies, et après tout, j’ai bien le droit de prier le père noël… et l’espace public, partageable, de la pensée à vocation objective, universelle. Le vieux rêve de la science en somme… en admettant que bien entendu, on se trompe sans cesse. L’histoire de la science nous apprend que des savoirs autrefois considérés comme irréfutables et universels (le Soleil tourne autour de la Terre qui est plate, en outre) sont aujourd’hui relégués au rang des vieilles lunes. La vocation universelle de la science ne pourra être remise en cause et taxée de « masculine, blanche et occidentale » que lorsque les femmes noires, par exemple, transportées en avion, en tomberont… ou que leur téléphone ne fonctionnera bizarrement pas dans leur main. (Ah… on me dit que c’est de la technologie, pas de la science… mais la technologie, c’est juste l’application concrète des théories scientifiques dans le monde réel. Leur vérification en quelque sorte.)

D’un côté la doxa, de l’autre, l’épistémè, ou le LOGOS, qui, parmi ses multiples sens, signifie aussi DISCOURS. Oui, pour parler ensemble, penser ensemble, il faudrait parvenir à distinguer et isoler en tant que telle la DOXA qu’on nourrit en nous.

3) Liberté versus égalité ?

Moi j’ai longtemps pensé qu’un être de droite croyait à la méritocratie et à la responsabilité individuelle, qui vont de pair : chacun a le sort qu’il mérite, ceux qui ont moins de chance n’ont qu’à faire des efforts pour s’en sortir. Un être de gauche croit plutôt que chacun subit un peu les conditions de son environnement. On peut essayer de pourvoir au moins la santé, l’éducation de qualité pour tous… pour compenser les inégalités de naissance et d’environnement.

Macron a dit à des enfants « La gauche lutte pour l’égalité, la droite pour la liberté ». Quelle blague soit dit en passant… la liberté de qui ? L’égalité de quoi ? En filigrane, on pourrait aisément penser : les mecs de gauche sont débiles de lutter pour que les humains soient égaux ! C’est impossible ! Et qui souhaiterait un monde uniforme ? Quant à la liberté… de quoi faire ? De nuire ? D’empoisonner ? D’exploiter ?

4) Libre arbitre vs Déterminisme

Alors finalement ? Bref. Être de gauche, ce serait par exemple commencer par accepter les blessures narcissiques successives que la science nous a infligées : nous ne sommes pas le centre de l’Univers, nous descendons du singe, nous ne maîtrisons pas nos pulsions… et il n’y a pas d’âme, mais une forme de déterminisme.

Toute la question est de parvenir à reconnaître l’existence du déterminisme (d’un point de vue scientifique) sans pour autant cesser de se battre pour des idéaux, plus de justice, d’égalité et de liberté (celle qui permet justement de se battre… par exemple, et qui n’aliène pas dans les carcans de groupe)

Attention, si les choses s’enchaînent telles qu’elles ne peuvent s’enchaîner autrement, cela ne signifie pas, ni qu’elles poursuivent un dessein quelconque, ni même que vous êtes prisonnier d’un destin. En effet, comme vous ne pourrez jamais mesurer – ni même connaître – l’ensemble des paramètres qui font de vous ce que vous êtes, calmez-vous ! Vous conserverez toujours l’illusion de choisir de porter une robe ou un pantalon. Mais sachons que la liberté dont se vantent certaines personnes, liberté-chérie grâce à laquelle ils se gargarisent et s’enorgueillissent d’avoir réussi, se baladent dans un gros SUV… cette liberté est une illusion.

Être de gauche pourrait donc revenir à choisir de lutter POUR – enfin, croire (et assumer la croyance ) qu’on choisit de lutter POUR :

– un partage des richesses et des ressources dans le cadre d’une gestion raisonnable (Res publica)

– une distribution équitable en fonction des besoins établis scientifiquement (et non en fonction des envies) (égalité)

– une égalité des droits et des devoirs indépendante de la diversité de base pour préserver – justement – cette diversité (liberté)

– un renvoi aux fantaisies et goûts personnels les croyances (en médecine comme en religion)

– une vocation universelle (Logos / Epistémè) qui empêche toute revendication communautaire ou identitaire…

 

Faites comme moi, fuyez la nouvelle gauche identitaire !

(Ah oui au fait, ma dulcinée, mon égérie, c’est un homme, un « vrai » ! Mais qu’est-ce donc ?)

 

 


 

 

 

[1] Donc il n’y aura pas trop de références à des maîtres à penser parce que… ni dieu ni maître, bordel ! 😀

[2] Selon la définition de Karl Popper « Tant qu’une théorie réfutable n’est pas réfutée, elle est dite « corroborée ». Pour Popper, la corroboration remplace la vérification. Le but est de s’approcher de connaissances aussi vraies que possible. Cette approche du vrai ou  » vérissimilitude » remplace la Vérité absolue. » (https://philosciences.com/Pss/philosophie-et-science/methode-scientifique-paradigme-scientifique/112-karl-popper-et-les-criteres-de-la-scientificite)

[3] Pour Bourdieu, tellement caricaturé qu’on en vient à se méfier, cf Le Danger sociologique.

[4] C’est la version champêtre de la téléologie selon Leibniz, pourtant réfutée depuis des siècles…

[5] HuffPost du 25 février : https://www.huffingtonpost.fr/virginie-tournay/ne-nous-reposons-pas-sur-nos-lauriers-en-france-la-culture-scientifique-est-a-reconquerir_a_23369215/

[6] Pour contrebalancer, je renvoie aussi à cet excellente interview de Frédéric Lordon où, à l’occasion de la présentation de son livre Capitalisme, désir et servitude. il explique à quel niveau il peut être censé, aussi, de se méfier de la science… je pourrais aussi renvoyer à ma thèse sur l’idéologie dans les discours scientifiques (et en mathématique en particulier, et depuis l’antiquité en sus, mais ce serait beaucoup trop long, et il faut attendre qu’elle soit publiée… et en outre, j’aime bien Lordon 😉 https://www.youtube.com/watch?v=u_CgyMe6Qd4&t=1232s

[7] Cette hypothèse me vient de l’Ere du vide, de Lipovetsky, que j’ai eu la chance de lire très jeune et qui m’a continuellement marquée

[8] Allez passer le test sur http://www.checkmyprivilege.com

[9] http://knowyourmeme.com/memes/check-your-privilege

[10] D’ailleurs, on comprend mieux dès lors que des imbéciles pas très beaux se sentent obligés de se maquiller avec d’énormes SUV bien plus rutilantes que leur petite personne.

[11] J’auto-promeus mes propres articles…

[12] Le cerveau a-t-il un sexe, Franck Ramus : https://www.youtube.com/watch?v=jXUS0MRcFWM

[13] https://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_queer et pour aller plus loin http://interligne.co/faq/que-signifie-le-terme-allosexuel-queer/

[14] Voici un excellent article : https://rebellyon.info/Critique-du-genre-et-de-la-theorie

[15] Et pour en savoir plus sur les raisons biologiques sur pourquoi éventuellement on pourrait se sentir comme ci ou comme ça : La tronche en biais : Biologie et orientation sexuelle. https://www.youtube.com/watch?v=h6L7-7zLgkg

[16] Voici un très bon article : http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/ecueils-debat-differences-cognitives-cerebrales-sexes

[17] https://usbeketrica.com/article/universel-est-il-ringard

[18] Il faudrait approfondir, ensemble (j’adore le collectif) les points bien précis suivants :

* être libéral et croire au libre arbitre (Max Weber / le mérite et le protestantisme)

* être anti-libéral mais responsable : est-ce possible ? (déterminisme)

* être anti-libéral et libre : est-ce possible ?

 

Peggy Sastre, Comment l’amour empoisonne les femmes…

« Non non non ! je ne marie pas, ni avec un prince, ni avec un roi ! »

D’aussi loin que je me souvienne, dès l’âge de 6 ans, je précisais fièrement à qui voulait bien l’entendre que jamais, au grand jamais, je ne me marierai… Pour moi, dans le couple, il y avait un petit et un grand, un faible et un fort. Un Laurel et un Hardy. Je voyais bien qu’immanquablement, la femme devait être le petit faible. Je prenais littéralement ombrage de cette perspective : il faudrait que je choisisse un homme pour qu’il soit mon parèdre, en plus grand, plus fort, plus riche…?

Pourtant dans mon entourage direct, ma mère, ma tante, mes grands-mères, c’étaient elles qui décidaient de tout et administraient sans erreur le quotidien et la trajectoire de chacun. Mon père lui-même recommandait d’acquérir avant tout sin indépendance financière. D’où venait donc ma crainte ?

Le livre de Peggy Sastre aborde précisément cette question : on pourrait d’ailleurs lui reprocher un titre, certes accrocheur, mais faussement évocateur. Elle aurait dû l’intituler :

Comment les femmes s’empoisonnent elles-mêmes

En choisissant d’être le petit faible…

Car enfin, il n’est que très peu question d’amour dans ces quelques pages. Si ce n’est pour l’aborder d’un point de vue hormonal qui, alors, bombarde autant les hommes que les femmes… empoisonne tout autant les porteurs de pénis que les porteuses de vagin.

Le féminisme de Peggy Sastre m’a plu car il ne prend pas les femmes pour des connes. Ni pour les éternelles victimes de méchants garçons qui seraient plus forts que nous et auraient gagné la bataille… et puis d’ailleurs, quelle bataille ?

Peggy Sastre promeut un autre point de vue sur les femmes. Elles ne seraient pas les éternelles victimes que certains se plairaient à voir en elles. Elles ne seraient pas non plus tombées en servitude volontaire.

Son hypothèse est la suivante : elles auraient trouvé des avantages à la situation de couple – ce truc qui me fai.sai.t (Ah finalement cette écriture inclusive, c’est pratique ! 😀 ) horreur. Ce livre regroupe des arguments biologiques & statistiques qui étayent cette hypothèse (renversante pour certain.e.s).

D’ailleurs, comme une affreuse opportuniste, à la fin de ma lecture, je l’avoue, j’ai pensé : voici enfin des excuses biologiques pour ne pas sortir les poubelles (enfin… je ne l’ai jamais fait en vrai) et pour hurler à la mort au moindre insecte un peu moche…

Bon j’avoue, je pensais y trouver – comme le titre semble le promettre – une recette pour être moins empoisonnée par l’amour (cf le titre explicite), ne plus attendre un texto mignon par exemple, ou une soirée romantique comme j’avais imaginée, et par la même occasion, ne plus empoisonner mon chéri par des exigences surréalistes… ce n’est pas ce que j’ai trouvé. En revanche, j’ai trouvé des conseils que je m’applique déjà depuis mon refus de me marier, à savoir :

  1. Ne pas à tout prix être un cordon bleu et une fée du logis pour espérer « garder son mec ». J’ai toujours dit : « Mais je ne veux pas « garder mon mec » grâce à de telles qualités ! Qu’il se casse donc ! Moi, je n’aurai pas ces qualités. »
  2. Ne pas réclamer une parité folle qui m’obligerait à faire des vidanges, changer des pneus, tenir la porte trop lourde, couper du bois, ouvrir des pots de confiture, écraser des bestioles immondes…
  3. N’épouser personne. Ne surtout pas épouser un plus gros salaire que le mien.
  4. Se détourner des bad boys et autres catégories de connards.
  5. Travailler pour n’avoir besoin d’aucun mec. Mais conserver le plaisir de fréquenter qui je veux et gratuitement…

Reprenons dans l’ordre :

  1. Accepter la saleté pour cesser d’être esclave

D’après les statistiques et la biologie relevés par Peggy Sastre, les femmes seraient naturellement portées à prendre soin de leur environnement, à en conserver la propreté, par intérêt primaire : elles sont plus facilement sujettes à chopper des merdes… (biologie). Assumer cette hyper sensibilité (faite d’une plus grande vulnérabilité à la saleté et d’une plus grande perception de cette saleté) permet en même temps de se dédouaner du partage injuste des tâches dégueulasse de la société… en effet, la proportion des femmes éboueurs est mince. (D’ailleurs, on ne les a pas entendues se battre pour dire éboueuse…)

(61) "Lorsque la charge pathogénique est trop importante pour être atténuée par leurs petits bras, les femmes se détournent des activités les plus risquées pour leur organisme et celui de leur descendance. Ainsi, aux Etats-Unis, entre 2010 et 2014, si les femmes constituaient 46,2% de la population active, elles ne représentaient que 30% des professionnels du nettoyage. Des chiffres encore plus bas à mesure que les professions gagnent en densité de malpropreté : dans le secteur du ramassage et du traitement des déchets, seuls 14,4% des professionnels sont des femmes ; parmi les personnes qui entretiennent les égouts, elles constituent 13,8% de la main-d'œuvre, tandis qu'elles ne sont que 4,5% à travailler dans des stations d'épuration et 4,7% dans la lutte contre les nuisibles, comme la dératisation."

 

  1. Ne pas trop hurler pour accéder à une totale parité, hein !

Ce qui conduit au second point : les études statistiques montrent qu’une majorité de femmes choisissent les métiers où l’on doit faire montre d’aptitudes artistiques, sociales ou conventionnelles, tandis que les hommes préfèreraient le réalisme et l’investigation… Même (et peut-être surtout) dans les pays où l’égalité des droits est acquise ! Pourquoi faire mentir ces statistiques ? Et pourquoi les femmes semblent blessées de ce fait ?

J’ajouterais moi, que personne n’est obligé de penser que le réalisme et l’investigation ont une valeur supérieure aux aptitudes sociales, artistiques ou conventionnelles. Par exemple, pour la survie de la société, qu’est-ce qui est le plus important ? Celui qui aide et gère les aspects humains de la communauté ou celui qui part à la recherche de nouvelles baies peut-être mortelles ? Mais P.S. prend garde de rappeler qu’en aucun cas les statistiques ne figent personne dans aucun rôle.

(69) "Mais ce compartimentage n'a évidemment rien d'une frontière infranchissable dans un sens comme dans l'autre, foi de femme pas loin d'être révulsée par une bonne part de la pâte humaine qui peut se mouler dans les catégories d'intérêts statistiquement les plus adaptées à son sexe. Ce qui ne m'empêche pas de concevoir que d'autres femmes, même en nombre, puissent être satisfaites de poursuivre des intérêts conformes" à leur genre sans que cela relève d'un péril mortel pour l'égalité en droits de tous les individus."

Ce qui importe, c’est de conserver le choix, le même droit pour tout le monde. Foutons la paix aux femmes qui préfèrent être infirmières, médecins, prof plutôt que traders ou banquier, plutôt que de faire le coq important déguisé en pingouin toute la journée…

(73) "Oui, il existe de nombreuses femmes obsédées par le ménage, et les soins à apporter à leurs enfants. Pourquoi ? Parce qu'une telle configuration cognitive leur a été avantageuse durant les centaines de milliers d'années où diminuer sa charge pathogénique et s'assurer que sa descendance ne meure pas de faim allaient leur permettre de mieux perpétuer leurs gènes par rapport à celles qui s'en moquaient. […] La majorité des féministes a beau trépigner en affirmant que ces différences n'ont "rien d'inné", leur base biologique est aujourd'hui indéniable. […] Alors mesdames, au lieu de jouer au gendarme du quotidien […] pourquoi ne pas vous policer vous-mêmes et envisager de vous libérer de vos hormones ?"

Oui… alors là réside l’un des rares conseils en rapport direct avec le titre, si tant est que l’on confonde volontiers mariage (ou vie commune) et amour, ce qui n’est pas mon cas.

"une telle configuration cognitive leur a été avantageuse"

Il peut être difficile de prouver cela… c’est une hypothèse provenant de la théorie évolutionniste. Je partage cet hypothétique point de vue sur le monde, mais comment en prouver la validité ?

Je trouve en tout cas cette hypothèse plaisante car il est plus séduisant de penser que les femmes ont été plus malignes que les hommes… plutôt que bêtement asservies.

  1. Se marier avec des gentils moins riches

Mais P.S. va plus loin. Sa critique du mariage accusent les femmes de trouver un intérêt à vivre à la charge de leur mari… en optant volontairement pour l’hypergamie (77)… (= le mariage au-dessus : le goût du plus vieux, du plus riche, du plus diplômé, le couple étant perçu alors comme un ascenseur social…)

Des femmes chercheraient dans l’homme « ce qu’elles pensaient ne pas avoir par elles-mêmes » (78)

(78) "Parce qu'elles les transforment à la fois en monnaie et en produit de leur propre échange, l'hypergamie et la dépendance qui lui est intrinsèquement associée imposent aux femmes une indispensable retenue."

Ce choix d’hypergamie les entraînerait en effet à devenir de prudes dames : comme elles dépendent de leur mari, il leur devient nécessaire que toutes les femmes fassent de même. Celles qui seraient par trop indépendantes pourraient mettre en péril leur propre équilibre (combine)… Voilà pourquoi P.S. pense que les femmes sont les premières à se montrer conservatrices (et religieuses)… et c’est un peu vrai, malheureusement.

P.S. ajoute l’hypothèse de Mikhail Stern puis la commente :

(108) "L'amour n'est qu'un besoin physiologique qu'il faut satisfaire, aussi simplement que la soif et la faim." Chez les femmes, rien n'enfreint peut-être autant les bonnes mœurs que la multiplication des partenaires sexuels en dehors de tout projet conjugal. Une réprobation qui est moins "imposée" d'en haut par un quelconque système patriarcal dont l'existence attend encore d'être attestée qu'elle n'est conduite et justifiée par et pour les femmes elles-mêmes."
  1. Arrêter d’aller vers des cons…

(80) « Les mecs, c’est que des salauds, surtout ceux qui m’attirent. »

Le désir d’hypergamie pousserait les femmes à choisir des connards… le garde du corps viril, peut-être violent et qui gagne davantage.

(80) "C'est un choix matrimonial en lien direct avec le degré de vulnérabilité que les femmes s'assignent, comme le veut l'hypothèse dite du garde du corps, formulée pour la première fois par Wilson et Mesnick."

 

  1. Être indépendante sur le plan financier

Reste que pour P.S., la véritable tragédie, c’est celle de la dépendance financière…

Si vous travaillez pour être indépendante, si vous ne vous liez pas bêtement à un imbécile qui ne fera pas la vaisselle, à vous la sexualité libre et le lavage de vos propres culottes.

 

Conclusion

 

J’ai bien aimé cette lecture qui m’ôte tout complexe lié à mes incompétences notoires en matière de conduite, de bricolage, de mécanique etc. tout en me rendant très fière de constater que je suis parfaitement indépendante et libre d’aimer qui je veux, que j’ai bien réalisé mes rêves d’enfant et très fière de ma fille qui montre un goût très prononcé pour la mécanique et le bricolage ! 🙂

Je regrette un peu que ce livre parle des femmes comme s’il s’agissait de toutes les femmes du monde, alors que dans certains pays, je serais probablement lapidée, moi avec mon mode de vie, tout comme Peggy Sastre elle-même. Là où le droit n’est pas le même pour tout le monde, les conseils de Peggy Sastre ne sont tout simplement pas applicables. J’aimerais qu’on interroge davantage les hommes de ces pays esclavagistes et des raisons pour lesquelles ils ne s’y trouvent pas si mal.

Je me souviens d’étudiants angolais (mâles exclusivement) qui m’expliquaient – à trente d’accords comme un seul homme – qu’ils n’épouseraient jamais une femme au salaire supérieur au leur. Pourquoi ? Parce qu’elle aurait la liberté de partir s’ils déconnaient trop… J’avais alors rétorqué qu’ils risquaient de passer leur vie avec une femme qui ne les aimerait pas vraiment et qui resterait par crainte de connaître la faim. Je les piquais au vif : n’avaient-ils pas un peu plus d’estime d’eux-mêmes ? N’avaient-ils pas un peu plus d’orgueil ? Ne pouvaient-ils imaginer qu’une femme restât à leur côté, amoureuse parce qu’ils étaient des mecs extraordinaires ? C’était quand même un challenge supérieur, non ? Alors messieurs, les forts en investigations et prise de risque, qu’attendez-vous ?

 

Masculin par défaut, féminin par qualité [3/3]

Autant en emporte le mâle !

[Troisième volet contre l’écriture inclusive]

 

Et tandis que tous les mercredis depuis le mois de mai 2017, les iraniennes se battent pour ôter le hijab, nous – pardon – certaines d’entre nouEs se battent encore pour rallonger d’un .e [petite queue en forme de tire-bouchon] les mots qui nouEs désignent

Quelques nouveaux arguments à débattre…

Prenons d’abord celui du « C’était mieux avant… »

Oui car il paraît qu’avant (mais quand ?), on disait poétesse, philosophesse, scientifiquesse… et on accordait au plus proche, au plus joli, fût-il féminin, d’ailleurs, le féminin n’est-il pas, par essence, plus joli ?

Non, bien sûr.

Mais revenons un peu à cette période dorée, cette idyllique époque donc, qu’on nouEs dépeint, où un preux chevalier nouEs aurait dit :

« Votre altesse, je vouE envoie de doux baisers et de chastes caresses empreintEs de tact et de légèretéE ! Loin de moi le projet immonde ou le désir frénétique et animal de vouE pilonner à vouE saccager le sarcophage ou vouE ravager jusqu’à l’occiput [1]! Je saurai contenir par devers moi toute ma répugnante virilité, celle qui, passées quelque mille années, détruira pourtant notre planète ^^…[2] « 

Mais bon sang, que lui a-t-elle donc répondu à ce chevalier pour que finalement, alors même qu’il baignait dans cet environnement égalitaire, produit de sa langue, il se rebelle et s’unisse à ses congénères pour… l’emporter – de force – sur le féminin ?? On nouEs dépeint pourtant les hommes de cette époque idyllique comme pétris de bons sentiments à notre égard, si respectueux et emplis jusqu’au fond de leur âme (car ils en avaient une, à l’époque !) de l’esprit d’égalité entre les sexes ! N’est-ce pas ? Alors que s’est-il passé ? Comment a pu-t-on en arriver là ?Comment sont-ils subitement devenus, dans un tel contexte prétendument égalitaire, les horribles machos que nous croisons aujourd’hui, qui répandent leurs cuisses et leurs couilles jusque sur les banquettes de métro, nouEs coupent la parole sans arrêt et tirent à eux sans vergogne la couverture économique pendant qu’on se gèle les pieds ??? (Avez-vouE froid aux pieds la nuit ? ne vous demandez plus pourquoi… c’est le résultat de millénaire de couverture tirée par les hommes, à notre détriment !)

Bref… si l’époque d’avant le vilain Beauzée [3] avait vraiment existé et si la langue, prétendument égalitaire de l’époque, avait vraiment influencé tous les cerveaux qui la pratiquaient, alors pourquoi et comment l’un d’eux, grammairien de surcroît, aurait trouvé la force de tout pervertir en changeant simplement les énoncés ? Comment aurait-il pu imposer cette… chose ? Pardon : ce truc ?

«Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle» [4]

En voilà une belle connerie. Vous remarquerez que le « à cause » implique que ledit Beauzée s’appuie sur un fait, une doxa, une opinion visiblement répandue…

Bref. Ne devrions-nous pas, à notre tour, supprimer cette règle fausse ? Ne suffirait-il pas de dire :

« Le masculin n’a pas de marque propre. C’est neutre, masculin par défaut, féminin par qualité… »

Justement, parlons maintenant de la qualité. A l’heure où chacun revendique la liberté de choisir son sexe et où l’on trouve un peu infâmant, voire discriminant de devoir le cocher, F ou M, les mêmes qui revendiquent le genre, plutôt que le sexe, parce qu’elles.ils ne voient pas en quoi le sexe serait, parmi les données physiques, l’aspect le plus pertinent pour différencier et hiérarchiser le masculin et le féminin [5] …

[Et oui ? Et j’en conviens volontiers ! Je suis bien d’accord : En effet, je ne suis pas possesseur d’un ordinateur en tant que femme, je ne suis pas automobiliste en tant que femme, je ne suis pas professeur en tant que femme…]

… les mêmes, dis-je, voudraient nouEs forcer à mettre un signe distinctif ? nous forcer à inscrire notre sexe sur notre figure, sur tous les mots qui nous désignent ? Parce que le monde doit savoir qu’on s’exprime en tant que nouEs ? Parce qu’il y a deux castes, deux façons de voir le monde et qu’elles doivent cohabiter l’une plantée à côté de l’autre ? Parce qu’il y a une façon d’être au monde homme et une façon d’être au monde femme ?

Ne sommes-nous pas en train de faire marche-arrière ?

Il faudrait représenter davantage les femmes qui réussissent… dans les professions jusqu’alors occupées – voire, colonisées !!!! – par ces *** hommes blancs, me dit-on. Mais quid des noir[e]s ? Les noirs-médecins ? Les maghrébins-avocats ? Les noirEs-policières ? Les maghrébines-chercheuses en astrophysique ? N’y a-t-il pas urgence à rendre visibles ces minorités invisibles ?

Ah… on me dira que c’est stigmatisant. Et puis, qu’un avocat soit noir ou blanc, qu’est-ce que cela change à sa profession ? Suis-je en train de signaler que c’est particulièrement bien d’être maghrébin-chercheur et pas maghrébin-voleur ? Suis-je en train de signaler que c’est particulièrement rare d’être noire-ministre et pas noire-femme de ménage? Admettre et souligner que c’est rare et bien, n’est-ce pas laisser entendre que c’est bien que ce soit rare ?

En tout cas, voilà bien deux adjectifs que moi, je n’aimerais pas voir coller à mes fesses quand j’exerce ma profession.

De grâce, changeons l’énoncé stupide et périmé de la règle de Beauzée… le masculin ne l’emporte pas.

UN = homme ou femme ou indifférent

UNE = femme

Il vaudrait mieux inventer un genre supplémentaire pour les français qui n’ont pas la chance d’avoir le trou de l’italien grâce auquel se trouvent véritablement opposés unO à unA. Pas moyen aux hommes français de faire remarquer au monde qu’ils ne sont qu’entre couilles. D’ailleurs, quand cela leur arrive, ne ressentent-ils pas l’impérieuse nécessité de nouEs le faire remarquer ?

Et s’ils sont des vedettes depuis quelques millénaires, nous avons, sans nous ajouter une queue de tire-bouchon, les moyens de rester des altesses.

[1] Oui, car à cette époque-là sans doute, l’homme n’avait pas encore inventé le vagin ^^^  Voilà ci-dessous un article complètement fou…

Le vagin n’est pas un organe sexuel. (Pas plus que l’anus ou la bouche).

[2] Oui car il paraît que le maquillage, les tampons, les serviettes, les gels douche, le shampoing Allô et la mode ne contribuent en rien à la destruction de notre éco-système. Le problème c’est les hommes avec leur voiture et leur sexe. http://www.madmoizelle.com/hommes-ecologie-virilite-872245

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Beauzée.

[4] Grammaire générale de Beauzée (1767)

[5] Delphy 2001, p.243

Masculin par défaut, féminin par qualité [1/3]


Partie [1/2] Cinglons des mouches !

 Le masculin est le grand oublié de la langue française !

Le masculin ne l’emporte pas sur le féminin… Le masculin, c’est par défaut qu’il l’est !

A vrai dire, quand il y a un homme, c’est flou ! Un seul homme dans un groupe, et tous les sexes disparaissent. Mais le sien n’apparaît jamais ! Regardons plutôt…

Cet homme est achevé, il n’est pas aimé.

É est la marque du participe.

Si c’était la marque du masculin, alors ÉE serait la marque d’un masculin doté d’un E ; le féminin serait le masculin et un supplément… d’âme… féminine ?

Où est la marque de l’homme ? C’est l’absence de marque qui nous indique que c’est un homme. C’est un homme… par défaut !

Où sont les hommes ? Le masculin brille par son absence.

N’est-ce pas un scandaleux procès d’intention que véhicule la langue depuis quelques siècles que nous ne parlons plus latin ?

Cette femme est heureuse.

Là oui, on sait que c’est une femme : la langue s’allonge pour saisir le féminin : –se !

Je propose donc, pour une totale égalité, qu’on rajoute un signe ressemblant à ce qui les distingue de nous, le dessin d’un sexe masculin : o!o

Cet homme est achevéo!o, il n’est pas aiméo!o. Cette femme est aimée.

Chacun sa marque. Jusqu’ici tout va bien, mais…

Il y a des gens cinglés.

Là, on ne sait pas s’il n’y a des hommes ! Et si quelques femmes se cachaient là-dedans ? En tout cas, ils sont plusieurs.

Nous pourrions donc avoir 3 écritures sans ambiguïté :

Il y a des gens cinglé-e-o!o- s. (des femmes et des hommes le sont)

Il y a des gens cinglé-e-s. (des femmes le sont)

Il y a des gens cinglé-o!o-s. (des hommes le sont)

 On sait qu’il y a des hommes et des femmes.

Oui, mais combien ? Peut-être les hommes cinglés sont-ils plus nombreux que les femmes ? Peut-être sont-elles en minorité ? Il faudrait le préciser :

Ecrivons leur nombre :

Il y a des gens cinglé-5e-3o!o-s

 Zut, il y a plus de femmes. En outre, Robert, qui est un gros masculiniste, a une couille plus grosse que l’autre et il tient à ce que ça se sache. Mais c’est le seul. Celui qui a trois couilles préfère que cela n’apparaisse pas dans l’écriture. Et ma foidéfaillante, il a droit à cette discrétion. Ce qui donne :

Il y a des gens cinglé-5e-2o!o+1o!O-s

Toutefois, il nous reste un problème d’interprétation : Cingler, c’est au sens figuré qui veut dire « fou » ou au sens propre qui veut dire « frappé » avec des ceintures, des baguettes ou des… verges ?

On peut le préciser avec un pr pour propre et fig pour figuré. Pas de problème.

Il y a des gens cinglépr-5e-2o!o+1o!O-s

 Oh, mais je ne l’avais pas vu ! IL Y A pire : IL Y A « il y a » !! et « il nous reste », et « Il faut »… pourquoi cet impersonnel usurpe-t-il le « Il » en principe masculin ? Le masculin est-il l’égal de l’impersonnel ? Du flou ? De l’indéterminé ? C’était déjà masculin par défaut… voilà que c’est rien ou masculin ou neutre ou impersonnel ou indéterminé… tout ceci étant considéré comme équivalent… le masculin est noyé. Corrigeons :

Je propose que IL l’indéterminé soit marqué d’un phallus barré ilo!o tandis que Ilo!o sera la marque de IL=garçon. Oui, on peut lire Lolo… ce qui n’est pas hyper viril.

Ilo!o y a des gens cinglépr-5e-2o!o+1o!O-s

La suite sans rire 

Masculin par défaut, féminin par qualité [2/3]

Partie [2/2] : Soyons un peu sérieux… ou : si l’on veut cesser de cingler des mouches…

 

  1. D’où vient cette absence de masculin ?

Un peu d’étymologie et quelques nouvelles des peuplades ancienne-o!o-s (oui car elles étaient constituée-o!o-s d’hommes aussi…)

La forme « aimé » vient du latin amatus (où le masculin -us est bien visible) ou amata (où le -a féminin est bien visible). Il existe même le neutre amatum, où le neutre en -um est bien visible.

La finale (-us ou –a ou -um) est tombée avec le temps et c’est amat– seul qui a donné aimé.

Aimé n’est donc pas vraiment la forme du masculin à proprement parler… c’est la forme du participe passé. Elle n’indique le masculin que par défaut du féminin : comme nous ne marquons pas le masculin, c’est masculin par défaut.

On va m’objecter que –us, c’est deux lettres tandis que -a, c’en n’est qu’une ? Que -ος en grec, c’est également deux lettres tandis que -η ou – α n’en sont qu’une. Mais il s’agissait souvent de voyelles dites longues, comptant ainsi deux temps. En outre, cette finale du féminin a une très longue histoire, bien plus longue que la finale du masculin, tellement brève que d’ailleurs, elle a disparu, comme nous l’avons noté.

Dans les langues anciennes comme le latin, le grec ou le sanskrit, où tout est détaillé et précisé, sans équivoque, genre, nombre, cas… où l’on accorde parfois avec le nom le plus proche, l’on peut cependant rappeler à notre souvenir la place des hommes… omnipotents, omniprésents, qui avaient droit de vie et de mort sur leur épouse et leurs enfants etc.

Dans la langue chinoise, « elle » et « il » se disent tous deux ! Parfaite égalité. Ils s’écrivent différemment cependant : le signe pour tâ 她 « femme » comporte deux signes « humain-féminin », le signe pour 他 « homme » contient « humain-masculin » ! Parfaite égalité. Mieux ! Le fameux « bonjour » chinois nihaô nǐ 你hǎo 好inscrit le signe féminin dans le dessin  » beau, bon »… « Bonjour » évoque le bien fait féminin. On aurait donc pu imaginer qu’à force de désigner indifféremment par des femmes et des hommes, les locuteurs chinois auraient acquis par conditionnement une parfaite vision égalitaire des sexes. Voire une légère préférence pour les femmes, sculptée qu’elle serait par l’image du féminin toujours positif dans le « bonjour » répété quotidiennement… Qu’en est-il réellement des femmes dans la société chinoise ?

Y a-t-il vraiment un lien à cet endroit de la langue, entre la langue et la pensée, le fonctionnement de la société ?

  1. Les formes dites féminines…

Que veut dire « femme » ? d’où vient ce mot ? Il signifie littéralement « qui allaite » (racine indo-européenne *dhe-). Or, aujourd’hui, n’est pas non-femme qui n’allaite pas… une telle signification explicite au vu et su de tous serait scandaleuse ! Heureusement, tout le monde ou presque a oublié l’étymologie de « femme ». Cependant, au nom de ce passé, doit-on s’appeler « humaine » ? Par souci de stricte égalité ? Ou doit-on envisager la possibilité de l’oubli de cette première signification… et que le signe désormais passé en langue ne véhicule plus vraiment l’idéologie qui s’y accollait jadis ?

N’oublions pas dans notre grande générosité que vir, qui signifie « homme » en latin au sens sexué du terme, et qui a donné viril en français, implique la notion de force. Autrement dit, les faiblards sont bannis du genre. Est-ce là aussi bien juste ? Parlons des couillus, justement.

Les langues véhiculent des idéaux. Quand elles véhiculent des tabous ou des formes de dénigrements, ça saute aux yeux. Par exemple, un couillon est un imbécile. Ça vient de « couille », qui sont de petites sacoches[1] tandis que « testicules » sont les témoins (testis). Témoin de quoi ? de la virginité. Cela conduit certains chercheurs à supposer que coexistèrent dans l’antiquité deux formes d’une même langue, celle des femmes et celle des hommes. Pour les femmes grecques, la couille est une ὄρχις, « ce qui est distant », voire « ce qui pendouille » (*or-ghi, *er- « être relâché, être distant ») – on le retrouve dans orchidée. Suivant la même hypothèse, en grec, le sein μαζός (mazos) ou μαστός (mastos) aurait été créé du point de vue de la femme, la mère nourrice tandis que les hommes le désignent du nom de στηνίον (stênion) ou στῆθος (stêthos, que l’on retrouve dans stethoscope) qui signifient « gonflement »…[2]

Dans son article « Les catégories du genre et les conceptions indo-européennes », Meillet remarque que les langues indo-européennes distinguaient un genre animé d’un genre inanimé – et c’est tout ! Par la suite, dans le déploiement de ces catégories animé / inanimé, on note que bien souvent, l’animé est devenu féminin. Par exemple, udan désigne l’eau en tant qu’élément physique tandis que le mot âpah « eau » en sanskrit renvoie à l’eau en tant qu’élément divin, magique. La nature sacrée, le féminin créateur etc.

Pour nous faire encore plaisir à nous, les femmes… notons également que les noms d’action (indo-européen en -ti) sont pour la plupart dès l’origine des noms féminins. Les femmes portent en leurs noms la création, la procréation, l’ajout / le supplément (uxor « épouse » en latin [3]) ou le nourrissage, ainsi que l’action… ce qui est loin d’être dévalorisant dans une société de chasseurs-cueilleurs telle qu’elle dut être durant des millénaires… ce qui était bien plus essentiel à la survie que d’aller faire le guignol en assemblée ou de se coller des plumes dans les poils pour faire le paon.

Dans notre monde – heureusement souvent profane, nous nous offusquons de la portée symbolique d’éléments hérités de l’histoire de notre langue en oubliant son histoire et comment elle s’est formée.

Or, il peut être bon de garder une trace de ce passé sexiste, c’est-à-dire où chacun avait un rôle assigné selon son sexe et d’avoir à l’œil ce témoignage pour ne pas oublier d’où nous venons et pour éviter d’y retourner !

  1. Un peu d’explication sur l’écriture

Une chose est la langue, une autre est son écriture. Or, dans ce domaine, personne n’a jamais fait compliqué quand on peut faire simple.

Les choix d’écriture de nos langues ont répondu à ce besoin de simplification et de rapidité. Le devanagari, qui a permis de noter le sanskrit, avait occulté les voyelles dans ses premières formes, tout comme l’écriture de l’hébreu ou de l’arabe. C’est à cause des risques de confusion pour interpréter les textes religieux que l’on a cherché le moyen de les faire apparaître.

En français moderne, c’est l’appendice masculin qui a sauté (désolée messieurs) : soit c’est féminin et on note, soit c’est masculin et on ne le précise pas. Pourtant, s’il y a une langue qui aime conserver des traces et des traces (et les TH et les PH), c’est bien le français !! Alors quid du phallus ?

 

Conclusion

On ne peut pas modifier une langue par décret. On peut obliger des enfants à l’écrire de telle ou telle façon, mais ils rencontrent déjà de grandes difficultés dans cet apprentissage. Quand on voit émerger les systèmes d’abréviation… les sms… on constate que les locuteurs souhaitent par dessus tout aller vite en laissant le soin au contexte de décrypter les ambiguïtés.

On peut en revanche obliger à voter des lois qui garantissent l’égalité des hommes et des femmes devant la loi, devant leurs droits et leurs devoirs.

La politesse et le respect ne résident pas dans ces écritures hésitantes et compliquées de l’identité sexuelle. Il paraît qu’on a plein de sexes d’ailleurs… comment les représenter tous ?

C’est le vœu fou de faire correspondre exactement le signe et le signifié… ce qui est un doux rêve absurde.

 

[1] « Couille » vient de l’occitan colha, provenant du latin coleus (culleus) « bourse, petit sac ».

[2] Revue des études arméniennes, 1984, pp. 317-325, Le langage des femmes en indo-européen d’après les isoglosses arméniennes, grecques et albanaises, de Knobloch,

[3] Revue philologique, LVII, 1983, pp.13-19, Une hypothèse sur uxor, Pierre Flobert.

Pour mémoire, mon mémoire de DEA sur la racine *Gen (engendrer) et les racines liées à la famille ici.

Homo Sapiens, une brève histoire de l’humanité

Voici le livre à lire de toute urgence !

D’abord, parce qu’il aborde l’humanité de ses débuts à aujourd’hui, adoptant d’emblée une vision du monde en la dépouillant de certaines croyances qui emprisonnent ou aveuglent, croyances dont la définition – large – sera développée tout le long.

« Il y a environ 13,5 milliards d’années, la matière, l’énergie, le temps et l’espace apparaissaient […] Voici près de 70 000 ans, des organismes appartenant à l’espèce Homo Sapiens commencèrent à former des structures encore plus élaborées : les cultures. Le développement ultérieur de ces cultures humaines est ce qu’on appelle l’histoire. »

Avec beaucoup d’ironie, de petites histoires et d’analogies particulièrement stimulantes, percutantes et pertinentes, l’auteur nous raconte cette histoire qui conduit cet « animal insignifiant » à Frankenstein…

Son point de vue sur la Révolution agricole puis la Révolution scientifique présente des pistes d’explications et d’interrogations sur les étapes de la formation de cette humanité dont nous faisons partie aujourd’hui et qui passe par son unification, probablement nécessaire à sa survie. Il retrace ce que l’anthropologie est en mesure d’expliquer sur ce qui nous a conduit jusqu’à aujourd’hui en passant par des détours anecdotiques jubilatoires.

La théorie du commérage (p.35), la nécessité de mentir ou de parler de choses qui n’existent pas, par exemple, pourraient expliquer le développement du Langage.

« Le secret réside probablement dans l’apparition de la fiction. De grands nombres d’inconnus peuvent coopérer avec succès en croyant à des mythes communs. »

En passant par l’histoire de Peugeot – ou plutôt le mythe Peugeot revisité, l’auteur explique comment les humains se sont réunis en communauté autour de leurs amis, ennemis imaginaires et inventions…

« Pourtant, aucune de ces choses n’existe hors des histoires que les gens inventent et se racontent les uns aux autres. Il n’y a pas de dieux dans l’univers, pas de nations, pas d’argent, pas de droits de l’homme, ni lois ni justice hors de l’imagination commune des êtres humains. » (p. 40)

C’est l’histoire que nous raconte cet auteur. Mais il précise qu’une réalité imaginaire n’est pas un mensonge et elle existe bel et bien :

« Personne ne mentait quand, en 2011, les Nations unies exigèrent du gouvernement libyen qu’il respecte les droits de l’homme de ses concitoyens, alors même que les Nations unies, la Libye et les droits de l’homme sont des fictions nées de notre imagination fertile. » (p. 45)

Poursuivant ce fil directeur, vous y trouverez de belles explications sur le passage d’une société de fourrage à l’agriculture et le lien avec les problèmes d’obésité que certains rencontrent aujourd’hui. Le « gène de la goinfrerie » (p. 56) aurait guidé nos instincts durant 60 000 ans : un arbre gorgé de fruits doit être rapidement englouti par la tribu avant d’être englouti par une bande de macaques concurrente. Alors aujourd’hui, comment pourrait-on se débarrasser de 60 000 ans de goinfrerie lorsque nous nous retrouvons plantés dans un supermarché surabondant ?

Vous y apprendrez comment l’humanité peut se qualifier de serial killer écologique… avant la révolution agricole, l’homo sapiens avait déjà causé la disparition de la très grande majorité des espèces de sa planète.

À propos de cette Révolution agricole, qualifiée par l’auteur de « la plus grande escroquerie de l’histoire », vous nuancerez ou changerez peut-être votre point de vue : Les fourrageurs disparaissent… « Tout changea voici environ 10 000 ans, quand les Sapiens se mirent à consacrer la quasi-totalité de leur temps et de leurs efforts à manipuler la vie d’un petit nombre d’espèces animales et végétales. De l’aurore au crépuscule, ils se mirent à semer des graines, à arroser les plantes, à arracher les mauvaises herbes et à conduire des troupeaux vers des pâturages de choix. Un travail qui, dans leur idée, devait leur assurer plus de fruits, de grains et de viande. »

En réalité, la mortalité augmente. Mais elle est compensée par un grand essor de la natalité. Naquit avec la révolution agricole l’illusion de la propriété (le blé nécessite du travail et il se stocke, donc il peut être volé), mais également la croyance selon laquelle, plus tu travailles, plus tu as, et donc, plus tu es heureux. Les sapiens deviennent esclaves de cette croyance.

A la faveur d’une telle croyance, ce sont des élites autoproclamées qui s’autorisent à ne pas travailler la terre.

« Jusqu’à la fin des Temps modernes, plus de 90% des hommes étaient des paysans qui se levaient chaque matin pour cultiver la terre à la sueur de leur front. L’excédent produit nourrissait l’infime minorité de l’élite qui remplit les livres de l’histoire : rois, officiels, soldats, prêtres, artistes et penseurs. L’histoire est une chose que fort peu de gens ont faite pendant que tous les autres labouraient les champs et portaient des seaux d’eau. » (p. 129)

Cette élite ne peut émerger qu’à condition que les humains constituent une communauté de croyants volontaires. Diogène qui ne voulait que la lumière du soleil passe pour un original : les cyniques ne bâtissent pas d’empire. Pour les autres,

« Comment amener les gens à croire à un ordre imaginaire comme le christianisme, la démocratie ou le capitalisme ? Premièrement, vous ne voulez pas admettre que l’ordre est imaginaire. Vous protestez toujours que l’ordre qui soutient la société est une réalité objective créée par les grands dieux ou les lois de la nature. Les gens sont inégaux : non parce qu’Hammurabi l’a dit, mais parce qu’Enlil et Marduk l’ont décrété. Les gens sont égaux : ce n’est pas Thomas Jefferson qui l’a it, mais Dieu qui les a créés ainsi. Le marché est le meilleur système économique : ce n’est pas Adam Smith qui l’a dit, ce sont les lois immuables de la nature. » (p. 140)

Pourquoi ? Parce que l’ordre imaginaire est incorporé au monde matériel, parce qu’il façonne nos désirs – nous ne sommes pas libres de désirer ce que nous désirons, parce que cet ordre imaginaire est intersubjectif (ou collectivement subjectif). (pp. 141-146) Et malgré toute cette imagination, l’histoire montre qu’il n’y a pas de justice, pas même de progrès vers la justice (pp. 163-191). En effet, ceux qui se conforment à l’ordre imaginaire ne sont pas nécessairement récompensés.

Pour finir, des ordres imaginaires qui nous gouvernent, le credo capitaliste est le dernier en date et aujourd’hui le plus puissant. L’auteur en démonte les mécanismes profonds.

« La croyance du capitalisme en une croissance économique perpétuelle va contre tout ce que nous savons ou presque de l’univers. Ce serait pure folie pour une société de loups que de croire que l’offre de moutons ne cessera de croître. » (p. 369) … et pourtant… « En 1500, la production mondiale de biens et de services se situait autour de 250 milliards de dollars ; aujourd’hui, elle tourne autour de 60 billions de dollars. » (p. 357) Malheureusement, sans doute à cause du gène de la goinfrerie, cet excédent n’est pas redistribué…

Au détour de cette lecture instructive, notamment au sujet des rapports entre l’impérialisme et le capitalisme, vous apprendrez quelques petites anecdotes amusantes, par exemple :

« La première fois qu’ils arrivèrent [Les Espagnols] au Mexique, des indigènes porteurs de brûleurs d’encens furent chargés de les accompagner dans tous leurs déplacements. Les Espagnols crurent à une marque d’honneur divin. Nous savons par des sources indigènes que les autochtones trouvaient insupportable l’odeur des nouveaux venus. » (p. 343)

Ou encore, la légende (ou l’histoire vraie ?) selon laquelle Amstrong et Aldrin, en 1969 s’apprêtaient à mettre un pied sur la Lune, un indigène américain leur aurait confié un message à transmettre aux esprits de notre satellite… Amstrong et Aldrin ne comprenaient pas cette langue tribale et apprirent par cœur le message sans en saisir le sens. A leur retour, la tâche dûment effectuée, ils firent traduire le fameux message qui disait : « Ne croyez pas un seul mot de ce qu’ils vous racontent. Ils sont venus voler vos terres. » (p. 335)

Alors, chers amis, lisez ce livre !!!!!!

Christine de Pizan : La Cité des Dames (et clin d’œil vers Polyen)

Pourquoi le lire ce livre ? (et quelles précautions prendre ?)

 » hélas ! mon Dieu ! pourquoi ne pas m’avoir fait naître mâle afin que mes inclinations aillent à ton service, que je ne me trompe en rien et que j’aie cette grande perfection que les hommes disent avoir ! Mais puisque tu ne l’as pas voulu, et que tu n’as pas étendu ta bonté jusqu’à moi, pardonne ma faiblesse en ton service, Seigneur Dieu, et daigne le recevoir ; car le serviteur qui reçoit le moins de son seigneur est le moins obligé en son service. » (37)

Voici ce que l’on trouve dès les premières pages de La Cité des Dames*, livre pourtant étiqueté « féministe », et l’un des premiers… Que penser de cela ? Ironie ? Espièglerie ? Sincère désolation ? Ironie sûrement pour « cette grande perfection que les hommes disent avoir », et nous le comprendrons aisément par la suite.

La Cité des Dames de Christine de Pizan (XIVè siècle) représente à mes yeux une belle illustration de ce que peut être la révolte puissante confinée dans un cadre restreint. C. de P. s’élève avec force contre la misogynie de son époque qui dépeint les femmes comme des êtres, bien sûr, inférieurs, auxquels l’instruction serait nuisible, qui cultiveraient l’art de la dissimulation, du mensonge, de la frivolité et qui ne sauraient afficher que peur, fuite et lâcheté devant les grandes difficultés sociales ou privées. Pour contrer ces attaques nombreuses et transhistoriques, elle va puiser dans les légendes, l’hagiographie, les mythes et l’histoire, antique en particulier. La solide érudition qui la nourrit est l’argument le plus fort en faveur des capacités intellectuelles des femmes. De même, il lui a fallu un grand courage pour se tourner vers son Dieu en dépit des hommes, qui s’érigent en obstacles et intermédiaires incontournables et pour contester et proposer une autre interprétation des écritures – certes, d’une façon indirecte, par la bouche de figures allégoriques la Droiture, la Justice et la Raison :

 » Là il [Dieu] l’ [Adam] endormit et forma le corps de la femme d’une de ses côtes, signifiant par là qu’elle devait être à ses côtés comme une compagne , et non point à ses pieds comme une esclave – et qu’il devait l’aimer comme sa propre chair. […] Mais il y a des fous pour croire, lorsqu’ils entendent dire que Dieu fit l’homme à son image, qu’il s’agit du corps physique. Cela est faux, car Dieu n’avait point encore pris corps humain ! Il s’agit de l’âme, au contraire, laquelle est consciente réfléchissante et durera éternellement à l’image de Dieu. Et cette âme, Dieu la créa aussi bonne, aussi noble, identique dans le corps de la femme comme dans celui de l’homme.  » (55)

Elle revisite même la chute que nous aurait causée le péché d’Ève :

 » Si quelqu’un voulait avancer, à cause d’Ève, que c’est par la femme qu’il tomba, je répondrais qu’il gagna un rang bien plus haut par Marie que celui qu’il avait perdu par Ève. Car jamais l’humanité n’aurait été réunie à la Divinité si Ève n’avait péché. Hommes et femmes doivent louer cette faute grâce à laquelle un si grand honneur leur est advenu ; en effet, plus la nature humaine est tombée bas par la créature, plus haut elle a été relevée par le Créateur. » (55)

On peut voir ici comme le point de vue de C. de P. est renversant, voire subversif, en tout cas libéré du dogme autoritaire en vigueur.

Malgré tout, C. de P. ne cherche pas à dépeindre en miroir un double féminin des mâles qualités qu’une tradition chrétienne semble refuser aux femmes. Elle cherche au contraire à multiplier les exemples de femmes qui se sont montrées courageuses, chastes, bonnes, endurantes et pour finir, dévouées martyres devant Dieu. Il existe certes des mauvaises femmes, mais il en existe davantage de bonnes ; et il existe encore davantage d’hommes mauvais. Les hommes n’ont pas à donner de leçon aux femmes ; voici en somme l’un des messages principaux de C. de P.

Ainsi donc, C. de P. entre volontiers dans l’idée que les hommes ne pleurent pas tandis que les femmes semblent être faites pour cela (58) ; mais elle fait de ce prétendu défaut un atout :

« Oh ! de combien de bienfaits Dieu n’a-t-il pas comblé les larmes de femme. Il ne dédaigna point celles de ladite Marie-Madeleine ; elles lui plurent tant, au contraire, qu’il lui pardonna ses péchés, et qu’elle mérita par ses pleurs d’être reçue glorieusement au royaume des cieux. » (58)

  1. de P. n’échappe pas à une forme d’essentialisme qui prétend décrire ce que seraient les femmes « par nature ». Par exemple, au sujet de la vengeance de Bérénice :

« Bérénice en conçut une telle douleur que son immense chagrin chassa en elle toute peur féminine. » (90)

Voilà donc quelques illustrations de la façon dont C. de P. opère un retournement de valeurs tout en restant ancrée dans une foi toute chrétienne, sans voir ce que celle-ci impose lui aussi comme modèle de ce que doit être la femme. Néanmoins, saluons déjà les nouveaux horizons qu’elle offre en son temps et dont nous allons présenter quelques extraits, en partant de ses réquisitoires pour les femmes, puis contre les hommes, pour terminer par les marques de son christianisme forcené.

Son éloge des femmes :

Parmi les modèles de femme, on trouve celui de virago, qui signifie étymologiquement « femme guerrière, femme robuste et gaillarde, guerrière, héroïne » qui est particulièrement intéressant pour la part de virilité qu’elle attribue aux femmes comme une qualité. Est cité en exemple l’histoire Didon que chacun connait et dont C. de P. loue les actions politiques et guerrières. Pour la vengeance, nous avons évoqué Bérénice, mais C. de P. cite également Fredegonde, Sémiramis ou Artémise (sur lesquelles nous reviendrons plus bas) et qui fait dire à C. de P. :

« Et n’en déplaise aux hommes, il ne fait aucun doute que de telles femmes sont bien nombreuses. Certes, il y a des femmes sottes, mais beaucoup ont davantage d’intelligence, l’esprit plus vif et plus perspicace qu’une foule d’hommes ; tu le sais bien. Et si leurs maris leur faisaient confiance ou avaient autant de jugement qu’elles, cela ne pourrait être qu’à leur avantage.  » (66)

A la suite de Didon, c’est Ops ou Oppis qui est louée pour s’être opposée à son mari, ce dernier prévoyant de mettre à mort ses fils. Notons que l’histoire de Saturne et Jupiter est ici racontée comme la légende bien connue du roi de Crête, nommé justement Saturne, époux et frère de Ops et fils, tout comme elle, d’Uranus et Vesta. Les trois fils sauvés sont… Jupiter, Neptune et Pluton. Le mythe grec bien connu d’Ouranos et Gaïa, parents de Chronos (Saturne) et Rhéa, eux-mêmes parents de Zeus, Héra, Poséidon, Hadès se retrouve ici commuer en légende aux accents historiques. On y retrouve ce témoignage d’hommes qui dévorent ou souhaitent tuer leurs enfants, par crainte de la rivalité et de leur propre disparition.

  1. de P. ne cesse – à raison – de louer l’intelligence des femmes, bien plus que leur ruse (contrairement à Polyen, sur lequel nous reviendrons plus bas) et mêle légendes, mythes et histoires pour justifier son propos. À titre d’exemples, l’écriture et l’agriculture y sont les inventions des femmes : Carmenta, fille du roi d’Arcadie, appelé Pallas, serait cette femme, d’une grande érudition, qui aurait inventé l’écriture – certes, C. de P. prétend que Carmenta connaissait à fond la littérature grecque mais :

« Il lui sembla donc qu’il serait indigne de la grandeur romaine, car cet empire était appelé à régner sur le monde entier, d’employer les caractères d’un alphabet barbare et inférieur, emprunté à l’étranger. Pour mieux révéler aux siècles futurs sa perspicacité et l’excellence de son génie, elle se mit au travail et inventa un alphabet original dont les caractères sont bien différents de ceux en usage ailleurs, c’est-à-dire notre a, b, c, l’ordre alphabétique latin, la formation des mots, la distinction entre voyelles et consonnes, et toutes les bases de la grammaire. » (100)

La légende d’Athéna est revisitée pour devenir celle d’une vierge d’origine grecque, qu’elle appelle Minerve – l’une de ses autres appellations en somme. C’est elle qui aurait inventé les caractères grecs, les chiffres, l’art du calcul, mais également le tissage et le métier à tisser, les techniques pour extraire l’huile mais également, et C. de P. le souligne comme une incongruité :

 » Cette femme fit encore plus, chose dont on pourrait s’étonner à juste titre, car ce n’est pas dans la nature d’une femme de réfléchir à de tels problèmes ; ce fut elle en effet qui inventa l’art et la technique du harnais et des armures en fer et en acier que les chevaliers et soldats portent à la guerre pour protéger leurs corps.  » (102)

Notons que les déesses et dieux de l’antiquité grecque sont bien évidemment présentés comme des humains tellement héroïques ou extraordinaires qu’ils furent divinisés – peut-être fut-ce ainsi, mais telle est en tout cas l’interprétation d’une partie des croyances des anciens par C. de P.

 » À sa mort, les Athéniens élevèrent un temple qu’ils lui dédièrent. Dans ce temple, ils dressèrent une statue à l’effigie d’une vierge, qui représentait la Sagesse et la Chevalerie.  » (102)

Ainsi Cérès à son tour est présentée comme une ancienne reine de Sicile (103) qui aurait découvert et développé la science de l’agriculture. De même Isis pour les jardins et l’entretien des plantes.

Dans le monde réel, sont citées certaines princesses comme Zénobie, qui aurait pris le célèbre Longus pour apprendre la philosophie et connaissait les sciences des Égyptiens, savait le latin et le grec ; Probe la romaine est également citée comme auteur et compilatrice de génie, appelée aussi Proba Falconia (http://siefar.org/dictionnaire/fr/Proba_Falconia) dont l’existence est attestée au IVe et qui fut particulièrement lue au XVIè. Parmi les érudites et poétesses, C. de P. ne manque pas de citer Sapho, dont elle dit même :

 » Horace rappelle à ce sujet qu’à la mort de Platon, ce très grand philosophe et le maître même d’Aristote, on trouva sous son oreiller un recueil des poèmes de Sapho.  » (96)

En s’appuyant sur ces exemples, C. de P. explique que les femmes doivent étudier car l’étude anoblit l’âme, y compris celle des femmes :

 » […] les opinions des hommes ne sont pas toutes fondées sur la raison, car ceux-ci ont bien tort. On ne saurait admettre que la connaissance des sciences morales, lesquelles enseignent précisément la vertu, corrompe les mœurs. Il est hors de doute, au contraire, qu’elle les améliore et les ennoblit.  » (178)

Ce qu’elle avait justifié par anticipation quelques pages auparavant :

« Comme je te l’ai indiqué tout à l’heure, les femmes ayant le corps plus délicat que les hommes, plus faible et moins apte à certaines tâches, elles ont l’intelligence plus vive et plus pénétrante là où elles s’appliquent.  » (92)

son CONTRE hommes :

La critique des hommes ne s’arrête pas là et C. de P. sème partout dans son ouvrage des remarques pertinentes sur l’injustice faite aux femmes.

Elle dénonce deux auteurs en particulier pour leur grande injustice : Mathéole et Ovide. Ainsi les avertit-elle :

« Reviens donc à toi et reprends tes esprits et ne t’inquiète plus pour de telles billevesées [celles de Mathéole] ; sache qu’une diffamation catégorique des femmes ne saurait les atteindre, mais se retourne toujours contre son auteur.  » (40)

  1. de P. va plus loin et l’on croirait entendre quelques arguments actuels contre les véhémentes féministes. Si les hommes s’en prennent ainsi aux femmes, c’est par jalousie et en raison de l’infirmité et de l’impuissance qui les frappe parfois :

 » Le langage de ces vieillards est communément lubrique et malhonnête, comme tu peux justement le constater chez ce Mathéole qui se donne lui-même pour un vieillard plein de concupiscence mais impuissant ; son exemple te montre bien la vérité de mes dires, et je peux t’assurer qu’il en va ainsi de beaucoup d’autres. » (50)

De même en va-t-il d’Ovide ou de Cecco d’Ascoli (52-53).

En vérité, les hommes sont des ingrats :

 » On voit bien l’ingratitude de ceux qui tiennent de tels propos ! Ils ressemblent à ceux qui vivent des biens d’autrui et, ne sachant d’où viennent leurs richesses, ne songent jamais à remercier personne (106). […] Les exemples ne manquent pas où les malheurs les plus divers se sont abattus sur des hommes qui dédaignaient les conseils de leurs excellentes et prudentes épouses. Toutefois, ceux qui refusent les bons conseils ne sont pas à plaindre quand le malheur les frappe.  » (166)

Si les hommes sont opposés à l’instruction des femmes, c’est parce qu’ils craignent d’être supplantés par elles. Pour augmenter encore leur difficulté, ils sont plus exigeants avec elles qu’ils ne le sont avec les hommes :

 » Les hommes sont-ils donc à ce point courageux que l’inconstance leur est tout à fait étrangère ou presque , eux qui accusent tant les femmes de légèreté et de faiblesse ? Mais s’ils manquent de fermeté eux-mêmes, n’est-ce pas honteux de reprocher à autrui ses propres vices et d’exiger une vertu à laquelle on ne saurait prétendre ?  » (190)

A partir de là, C. de P. cite un grand nombre d’exemples d’hommes qui ne furent ni vertueux, ni chastes, ni courageux et plutôt dangereux (232) ; elle puise notamment chez les empereurs romains et dans leur légende (192-195). Finalement, si la force revient aux hommes, l’intelligence reviendrait aux femmes (62, 66, 92), alors qu’ils se taisent ! et l’injonction de C. de P. est surprenante mais vraiment ainsi formulée :

 » Qu’ils se taisent donc ! Qu’ils se taisent dorénavant, ces clercs qui médisent des femmes ! Qu’ils se taisent, tous leurs complices et alliés qui en disent du mal ou qui en parlent dans leurs écrits ou leurs poèmes ! Qu’ils baissent les yeux de honte d’avoir tant osé mentir dans leurs livres, quand on voit que la vérité va à l’encontre de ce qu’ils disent, puisque la noble Carmenta a été pour eux une maîtresse d’école – cela ils ne peuvent le nier – et qu’ils reçurent de sa haute intelligence la leçon dont ils s’honorent tant et s’enorgueillissent, j’entends la noble écriture latine.  » (108)

 » […] il me semble que la philosophie d’Aristote, qui a pourtant été si utile à l’esprit humain et dont on fait si grand cas – à juste titre d’ailleurs -, pas plus que tous les autres philosophes qui aient existé, n’a apporté ni n’apportera jamais autant d’avantages à l’humanité que les inventions dues au génie de ces femmes.  » (109)

et pour finir

 » Qu’ils aillent donc se coucher, qu’ils se taisent enfin, Mathéole et tous les médisants qui ont menti en calomniant les femmes par jalousie !  » (155)

Son CHRISTIANISME forcené

Si ces sursauts et cette révolte féministe nous font plaisir, n’oublions pas cependant que C. de P. s’exprime dans le cadre restreint du christianisme au sein duquel sont valorisées la piété filiale, la chasteté, la virginité, la transmission de la parole divine. Notons que ces qualités présentées comme attendues d’une femme, d’une femme chrétienne, correspondent tout à fait à l’idéal de la femme tel qu’il est dépeint dans l’antiquité grecque et romaine ; ces idéaux correspondent peut-être au carcan dans lequel les sociétés ont voulu enfermer les femmes, et ce quelle que soit la croyance en vigueur, paganisme ou christianisme. Même si l’on pense que le christianisme a apporté une certaine idée d’égalité devant dieu entre les hommes et les femmes, les peuples qui ont hérité de ces modèles étaient fortement pétris de cet idéal féminin que C. de P. valorise à son tour.

Les femmes sont pieuses ; une jeune fille allaite sa mère emprisonnée (142) ; elles sont bonnes, douces et justes (158) ; les Amazones elles-mêmes, pourtant guerrières et virago, sont citées comme exemples de chasteté et de farouche virginité (77, 81, 131, 180-184) ; pour finir, elles sont d’exemplaires martyres de la foi chrétienne et parviennent même, par leur goût du sacrifice, à pousser leur environnement, bourreaux y compris, à la conversion au message du Christ et à la « bonne parole ». La fin de la Cité des Dames, la troisième partie, est censée représenter le toit, l’auréole de cette Cité des Dames que C. de P. se propose de construire de manière allégorique. En lisant cette hagiographie qui mêle Catherine, Marguerite, Lucie, Martine, Lucie, Justine, Théodosie, Barbe, Dorothée, Fauste, Benoite, Eulalie, Martre, Foi, Marcienne, Euphémie, Blandine, Félicité, Juliette, Marine, Euphrosine, Anastasie, Théodote, Nathalie, Affre, Hélène, Plautille, Basilice et pour finir Sainte Christine !!… on ne peut que noter les thèmes récurrents qui montrent la cruautés des hommes, mécréants, à l’égard des vierges saintes que l’on souhaite violer ou convertir de force. Elles subissent toutes sorte d’humiliation et de torture et affichent face à ces mauvais traitements un comportement indifférent ou gai. Toutes jurent leur foi et ne se parjurent jamais, jusqu’à la mort…

Conclusion

Ma lecture enthousiaste a été déçue par deux passages néanmoins, le premier où C. de P. explique que sa propre mère l’aurait volontiers confinée dans l’ignorance :

 » Ton père [c’est l’allégorie qui parle à Christine], grand astronome et philosophe, ne pensait pas que les sciences puissent corrompre les femmes ; il se réjouissait au contraire – tu le sais bien – de voir tes dispositions pour les lettres. Ce sont les préjugés féminins de ta mère qui t’ont empêchée, dans ta jeunesse, d’approfondir et d’étendre tes connaissances car elle voulait te confiner dans les travaux de l’aiguille qui sont l’occupation coutumière des femmes.  » (180)

Que dire des « préjugés féminins » ? Que l’ignorance s’est ainsi transmise de mère en fille ? Mais les travaux de l’aiguille sont-ils si méprisables qu’ils « confinent » ?

Dans la même veine et finalement parce qu’il n’y a pas d’autre destin que le mariage pour une femme – à moins que ce passage ne soit pas authentique – C. de P. conseille, à la fin de son livre, les femmes mariées…

Les bien mariées doivent chérir leur mari car ils se font rares, les hommes de qualité. Si c’est un homme médiocre, il faut remercier le ciel qu’il ne soit pire… Cependant,

 » celle dont le mari est pervers, félon et méchant doit faire tout son possible pour le supporter, afin de l’arracher à sa perversité et le ramener, si elle le peut, sur le chemin de la raison et de la bonté ; et si, malgré tous ses efforts, le mari s’obstine dans le mal, son âme sera récompensée de cette courageuse patience, et tous la béniront et prendront sa défense.  » (276)

La femme est celle qui doit sauver, quitte à en mourir. Elle sera récompensée dans une autre vie.

Malgré tout, j’ai beaucoup apprécié ce livre et le recommande. Si certaines histoires – notamment dans l’hagiographie – sont d’une étonnante cruauté (arrachement de seins, décapitation, meurtre des enfants etc…), d’autres sont vraiment rocambolesques, voire picaresques, comme celle de Grisélidis digne d’un passage de Lesage ou celle de Florence et l’herbe magique.

* Édition Stock / Moyen âge, 1986-2000

Pizan vs Polyen

 

Polyen, le célèbre historien compilateur, avocat et rhéteur de langue grecque, consigne au IIè s. les exploits des femmes. A la différence de C. de P., il ne s’appuie que sur des exemples historiques ou légendaires à l’exclusion de la mythologie : la frontière semble claire pour cet écrivain. En outre, et c’est une différence non des moindres, Polyen ne cherche pas à défendre les femmes contre une calomnie signalée ; une légère condescendance habite son travail et il cherche à montrer que certaines femmes sont parfois capables de courage et de ruse. Ce sont autant d’exceptions qui confirment la règle. Sont relevés ci-dessous les personnages légendaires communs à Polyen et C. de P. pour lesquels le point de vue est fort différent.

Artémise

Chez Polyen (VIII, 53, 4), Artémise est surtout d’une grande ruse : elle a su prendre Latmos par surprise en rusant avec l’usage des drapeaux. En revanche, pour C. de P. (85-86), elle est avant tout la femme fidèle et dévouée de Mausole, au nom duquel elle a su défendre Halicarnasse contre les Perses. Pour Polyen, cette femme est surtout d’une grande ruse

Clélie

Pour C. de P. (90-91), Clélie s’échappe de sa captivité et permet aux autres vierges prisonnières comme elle de fuir le roi qui les tenait en otages. Pour Polyen (VIII, 31), elle franchit à cheval (alors qu’elle n’avait jamais monté) le Tibre plusieurs fois pour ramener une à une ses compagnes d’infortune.

Coriolan

Coriolan est le fils qui voulait faire la guerre (4ème roi de Rome, figure légendaire) ; chassé chez les Tyrrhéniens, il envisage de revenir marcher sur Rome et détruire la ville. Mais sa mère Véturie le supplie de renoncer pour que Rome ne soit pas détruite. Ce qui relève du chantage et de la culpabilisation pour Polyen (VIII, 25, 3) est considéré comme sagesse et piété pour C. de P.

Porcia

Pour C. de P., Porcia (162) essaie de détourner Brutus son mari du meurtre de César. Elle se coupe au rasoir pour montrer à son mari le mal qu’elle se fera s’il se rend coupable du meurtre de César Elle n’y parvient pas et se suicide en avalant du charbon, mort paradoxale, comme le souligne Christine, puisqu’elle s’éteint en avalant du feu.

Chez Polyen (VIII, 32) la version est bien différente : elle se couperait au rasoir pour montrer sa résistance à la douleur et la torture. Elle est donc digne de recueillir et conserver le secret de l’assassinat prévu de César. Polyen insiste ici sur le courage et le sang froid comme l’obstination.

Sémiramis

Tandis que C. de P. (68-70) dit d’elle qu’elle était fille de Saturne et donc sœur de Jupiter, Polyen ne dit rien mais les deux, (Polyen VIII, 26) résument les exploits notamment guerriers pour parvenir à l’épisode où elle sort de sa salle de bain en cheveux et part faire la guerre. Chez Pizan, on trouve l’anecdote selon laquelle elle aurait épousé son propre fils…

Diderot sur les femmes

Voici condensé un aperçu de l’aperçu des hommes pourtant éclairés d’une époque, les Lumières, sur… les femmes ! Cette catégorie qui leur semble apparemment si mystérieuse, insondable, parfois ridicule, souvent lascive et oisive – pourtant à cette époque, 98% des français étaient paysans, donc je crois bien que 98% des femmes au moins avaient une activité… et quelle activité !!!college_francais_maupassant_peinture_08

Après quelques saynètes rocambolesques, Diderot s’adresse directement à son lecteur pour critiquer La Dissertation sur les femmes de Thomas, qui n’a pas laissé de grandes traces par chez nous…

Comme toujours et par son ironie mordante, Diderot nous invite à suivre ce que lui, Diderot, aurait écrit au sujet des femmes… et il commence fort car lui prétend qu’il se serait

« occupé avec plus d’intérêt et de chaleur du seul être de la nature qui nous rende sentiment pour sentiment, et qui soit heureux du bonheur qu’il nous fait. »

La femme serait-elle le meilleur ami de l’homme ?images

Puis on (re)découvre avec agacement les éternels poncifs féminins:

« J’ai vu l’amour, la jalousie, la superstition, la colère, portés dans les femmes à un point que l’homme n’éprouva jamais. »

Et comment se fait-ce ?

« Les distractions d’une vie occupée et contentieuse rompent nos passions [nous les hommes]. La femme couve les siennes : c’est un point fixe, sur lequel son oisiveté ou la frivolité de ses fonctions tient son regard sans cesse attaché. »

Et oui, les femmes ne font rien, ou rien de très intéressant.

Au lit, les pauvres, elles n’ont guère de plaisir. « Notre organe est plus indulgent » dit Diderot. Comprenez que les hommes peuvent jouir de n’importe quelle femme… tandis que les femmes peuvent avoir du dégoût pour un homme qu’on leur impose. Non mais sans blague ! Quelle sensiblerie !

Reprenons sur l’hystérie féminine, générée par son oisiveté grande, mère de tous les vices. D’ailleurs, a-t-on jamais vu pythonisse homme ? Jamais. Ainsi voit-on souvent les femmes se parer de l’orgueil le plus théâtral et des troubles de l’émotivité les plus exacerbés.

Mais au final, malgré sa verve ironique et ses tours de passe-passe, Diderot se montre touché. D’abord par une fragilité supposée du corps féminin, qui, contre toute logique selon lui, est pourtant vouée à porter la vie…

« Il n’y a peut-être pas de joie comparable à celle de la mère qui voit son premier-né : mais ce moment sera payé bien cher. »

Voici alors dépeint par Diderot le cruel destin de toutes les femmes :

« la beauté passe ; arrivent les années de l’abandon, de l’humeur et de l’ennui. C’est par le malaise que Nature les a disposées à devenir mères ; c’est par une maladie longue et dangereuse qu’on leur ôte le pouvoir de l’être. Qu’est-ce qu’alors qu’une femme ? Négligée de son époux, délaissée de ses enfants, nulle dans la société, la dévotion est son unique et dernière ressources. Dans presque toutes les contrées, la cruauté des lois civiles s’est réunie contre les femmes à la cruauté de la nature. Elles ont été traitées comme des enfants imbéciles. »

UnknownTenons-le pour dit par Diderot : si les femmes ont contribué à rendre pérenne la religion, c’est contraintes par un despotisme masculin tyrannique. Pour parfaire le tableau, il rapporte le récit d’une femme indienne d’Amazonie, réduite en esclavage auprès de son époux et qui conclut :

« Mais notre plus grand malheur, tu ne saurais le connaître. Il est triste pour la pauvre indienne de servir son mari comme une esclave, aux champs accablée de sueurs, et au logis privée de repos ; mais il est affreux de le voir, au bout de vingt ans, prendre une autre femme plus jeune, qui n’a point de jugement. Il s’attache à elle. Elle nous frappe, elle frappe nos enfants, elle nous commande, elle nous traite comme ses servantes… »

Sur ce témoignage et bien d’autres observations, Diderot tire une mise en garde terrible contre l’amour et conjure les femmes d’être prudente. Quand elles entendent « Je t’aime », elle devrait entendre :

« Si vous vouliez me sacrifier votre innocence et vos mœurs ; perdre le respect que vous vous portez à vous-même, et que vous obtenez des autres ; marcher les yeux baissés dans la société, […] ; renoncer à tout état honnête ; faire mourir vos parents de douleur et m’accorder un moment de plaisir, je vous en serai vraiment obligé. »

Diderot s’insurge contre l’injustice faite aux femmes :

« Femmes, que je vous plains ! Il n’y avait qu’un dédommagement, à vos maux ; et si j’avais été législateur, peut-être l’eussiez-vous obtenu. Affranchies de toute servitude, vous auriez été sacrées en quelque endroit que vous eussiez paru. »

A la toute fin, Diderot reproche à Thomas son ingratitude pour n’avoir soufflé mot des avantages du commerce (=de la fréquentation) des femmes pour un homme de lettres car, dit-il :

« Quand elles ont du génie, je leur en crois l’empreinte plus originale qu’en nous. »

Denis Diderot

Sur les femmes et autres textes

Folio-Gallimard 2013

Et merci à mon amie Marie-Noëlle pour m’avoir permis cette lecture…!

Pour la blague cachée, imaginons un monde  tellement matriarcal que les hommes en seraient réduits à être tour à tour les objets du désir ou  les sujets repoussoirs des femmes… cliquez ici.