C’est un résumé issu du confinement : je nettoie et range toute la bibliothèque et… je tombe là-dessus : Tarass Boulba, de Gogol. Jamais lu ! Je ne sais pas pourquoi, je croyais que c’était l’histoire romantique d’une femme un peu grassouillette [bouboulba…] qui vit dans la steppe… alors, c’est pas ça pas du tout !
Ça se passe au XVIème siècle. En Ukraine. Boulba, c’est un vieux papa, enfin d’une quarantaine d’années sûrement, qui, dès les premières pages, interpelle sa femme en lui criant ce charmant surnom:
« Vieille !!! »
J’adore. Je me dis que ça doit être un livre féministe.
Elle, c’est une pauvre femme faible qui chiale tout le temps, comme presque toutes les femmes de ce livre. (en fait, il n’y en a que deux : la maman et… la vilaine – patience… !) La maman, on ne la voit qu’au début, qui pleure sans discontinuer sur le retour et le départ vraiment trop rapide de ses grands gaillards de fils, Ostap et André, les seules joies de sa vie, parce que finalement, sa vie… c’est rapidement devenu pourri. Mais alors ses fils, ce sont des costauds ! Et ce sont même des cosaques !
Mais qui sont les cosaques ?
Ah… mon intuition se trouve par le plus grand des hasard confirmée – enfin presque, parce que j’imagine bien le glissement de sens de mon esprit de jadis : Gogol, Mongol, steppe… – et oui, on s’approche de la steppe vu que les cosaques étaient à l’origine les gardiens de la steppe, ses défenseurs contre l’ennemi tatar ! Attention, Tatar ne doit pas être confondu avec Tartare ! La Tartarie est le nom que les européens utilisent pour englober d’un coup d’œil lointain plusieurs pays : Sibérie, Turkestan, Mongolie, Mandchourie et parfois Tibet. Cependant, le nom Tartare proviendrait du peuples des Tatars… nous y revoilà. Les Tatars sont des turcs qui parlent le tatar…
Mais revenons aux cosaques… qui seraient quant à eux des hommes partageant un mode de vie et une fonction plutôt qu’un groupe ethnique. Et ce, bien que le roman de Gogol regorge de références à des groupes ethniques bien déterminés.
Il y a les Tartares, les Turcs et… les Juifs !
A ce sujet, notons au passage l’antisémitisme ordinaire du XIXè :
[le juif] « chercha à réprimer l’éternelle soif de l’or qui ronge le cœur du juif comme un ver » […] « Les juifs se remirent à jacasser avec beaucoup d’animation dans leur baragouin incompréhensible. »
Quant aux cosaques, ils sont dépeints comme des hommes, abrutis, ivres de guerre et d’alcool, ne vibrant que dans la perspective de gloire guerrière [c’est de la littérature masculine finalement hein ^^] mais farouchement orthodoxes :
« Eh bien, kochevoï [c’est le chef du clan], ne serait-il pas temps pour les zaporogues de se divertir un peu ? »
Alors là, c’est le héros, Tarass Boulba, qui parle au chef du clan… et quand il parle de se divertir, il parle de faire la guerre. Le chef lui répond que non, que ce n’est pas possible, qu’un accord de paix a été passé. L’autre, incrédule, s’insurge :
« Comment pas moyen ? On peut marcher contre le Turc ou contre le Tartare ! »
Et non, car les cosaques ont promis la paix au Sultan…
« Mais c’est un infidèle ! Dieu et les Saintes écritures nous ordonnent de battre les infidèles ! »
Et ça continue… [ça ne date pas d’hier !]
« Comment impossible ? Comment peux-tu dire que nous n’en avons pas le droit ? J’ai deux fils, tous les deux jeunes, ni l’un ni l’autre n’a encore été à la guerre, et tu viens me dire : pas possible ! Il ne faut donc plus que les zaporogues fassent la guerre ? »
Les Zaparogues sont des groupes de cosaques.
Et il faut lui répéter encore, à Tarass, car il est sacrément têtu…
« Il faut donc, selon toi, que nos forces se perdent dans l’inaction, que le cosaque crève comme un chien sans avoir accompli une bonne œuvre [comprenez : faire la guerre contre les infidèles], que ni la patrie, ni chrétienté n’en tirent aucun profit ? Pourquoi vivons-nous donc, pourquoi, diable, vivons-nous ? Explique-moi un peu ! Tu es un homme intelligent, ce n’est pas pour rien qu’on t’a élu kochevoï, explique-moi, pourquoi vivons-vous ? »
Oui oui oui… tu as bien compris ! Je ne peux m’empêcher de penser à ça :
[ah oui c’est peut-être même un roman masculiniste ?]
Là, je crois que tout est dit. Alors la suite est simple : le vieux kochevoï, finalement pas si intelligent, puisque pas d’accord avec Tarass, est destitué et remplacé par un vieux cosaque « plus malin » qui entraîne tout le monde dans la guerre contre les catholiques polonais. Ils sont ivres de joie !
Le cosaque est un pieux fanatique, mais en cela, il suit la divine volonté du peuple :
« C’est chose connue, et les saintes écritures le confirment, que la voix du peuple est la voix de Dieu. »
Ivres de joie, c’est peu dire. Pour fêter ça, le camp des cosaques se murgent copieusement la gueule, et ce sous la plume légèrement admirative et complaisante de l’auteur, puis s’en vont tuer et massacrer tout ce qui bouge, notamment les enfants et les femmes, auxquelles ils « coupent les seins ».
Malheureusement, l’un des fils du valeureux (et brutal) Tarass, André, tombe amoureux d’une très belle jeune vierge [dixit multis temporibus]. Au début du livre, il s’en souvient. Au beau milieu des mésaventures hasardeuses où vous porte la guerre [que j’ai bien connue n’est-ce pas], il la retrouve éplorée et désespérée, affamée par l’armée des cosaques sanguinaires. C’est donc la deuxième femme du roman, et c’est celle qui va perdre André ! puisque pour elle et ses beaux yeux, son sein blanc (n’en a-t-elle qu’un seul ?) et ses épaules d’albâtre, il renie sa famille et son clan… Amour impossible, larmes, sang, secret… etc. blabla…
Quand son père, Tarass, l’apprend, il jure de le tuer de ses mains ! Et quand, au beau milieu des mésaventures hasardeuses où vous porte la guerre, il se retrouve nez-à-nez avec son traitre de fils, bah il le tue.
Dans la foulée, son deuxième fils, Ostap, est fait prisonnier !
Quelle journée de merde !
Plus tard, Ostap est torturé en place public et mis à mort, sous les yeux de son père, déguisé, pour l’occasion, en simple quidam… [pléonasme ^^]
Pour finir Tarass est rattrapé par ses ennemis et brûlé vif. Mais jusqu’à la fin, même brûlant vif, même ses deux fils morts, même contemplant au loin la défaite de ses camarades, Tarass persévère dans sa foi et son nationalisme :
Le cosaque, c’est un russe magnifique !
« D’autres pays aussi ont vu de ces fraternités, mais ils n’ont jamais su ce que c’est que la camaraderie en pays russe ! […] Ils nous sont pareils, mais ce n’est toujours pas ça ! Non, frères, nourrir des sentiments semblables à ceux que nous éprouvons l’un pour l’autre, n’est pas donné à tout le monde ! Ces sentiments ne viennent ni de la tête ni du raisonnement, mais de tout ce que Dieu a mis en nous ! Ah ! … s’exclama Tarass avec un large geste de la main, la moustache tremblante d’émotion : Non ! de pareils sentiments ne seront jamais connus des autres ! […] il reste quand même au fond du cœur le plus lâche, de celui-là même qui se traîne aux pieds des grands seigneurs, une parcelle de sentiment national russe qui se réveillera un jour ! »
« Pensez-vous qu’il y a une chose au monde dont le cosaque ait peur ? Attendez ! Le temps viendra où vous apprendrez à vos dépens ce que c’est que la foi russe ! Les peuples voisins et lointains sentent déjà ce moment approcher : il nous viendra du pays russe un tsar à nous et nulle force au monde ne saura lui résister ! … […] y a-t-il des flammes, des tortures, y a-t-il des forces au monde qui puissent vaincre la force russe ! »
Bref, Tarass est incorrigible…
Et Gogol, écrivain russe-ukrainien, a 26 ans quand il écrit ce livre, et ne fait que témoigner du nationalisme à variations romantiques dont étaient pétris tous les pays de cette période du début du XIXè siècle.