Dieu obscur, Cruauté, sexe et violence dans l’Ancien Testament, par Thomas Römer

Dans ce court livre de 150 pages publié en 2009, l’un des objectifs de Thomas Römer consiste à s’interroger sur les épisodes de la Bible hébraïque où Dieu serait présenté comme machiste, cruel, guerrier et incompréhensible.

Il nous montre de façon claire et précise que non seulement il ne faut jamais oublier de situer le texte biblique dans sa perspective historique, mais en outre, qu’il faut comprendre que les multiples visages de Dieu contribuent à la composition d’un être suffisamment complexe pour ne jamais correspondre à des catégories humaines, trop humaines.

« Espérons pourtant que l’examen des énoncés difficiles sur Dieu a pu montrer que ces discours ont vu le jour dans des situations historiques précises. Souvent, ces textes veulent mettre leurs destinataires en garde contre des conceptions trop humaines de Dieu et insister sur les limites des discours théologiques. » (p. 143)

Dieu est-il mâle ?

Le dieu de l’ancien testament a certainement hérité des attributs de Baal, un terme générique pour désigner les dieux masculins du Proche-Orient ancien. Le Baal est un roi parmi les dieux et c’est un mâle (p. 34). YHWH est lui aussi présenté sous les traits d’un époux ou d’un amant, soit lorsqu’il séduit Israël, sa fiancée (p. 36) en Os 2, 16-17 ou Jr 2,2, soit lorsqu’il est trahi par Israël qui se vautre dans l’adultère auprès de dieux étrangers…Os 2, 15 ou Jr 3, 6-8.

Pourtant, les premières réformes du judaïsme visant le culte exclusif de YHWH ont eu à cœur d’éliminer celle qui a pu être sa déesse, sa compagne ou maîtresse, Ashera, reine du ciel. Elle est évoquée dans plusieurs passages de la Bible (p. 42), notamment en Jr 44, 17-18, tour à tour chassée du Temple, réhabilitée, regrettée, chassée à nouveau…

En Genèse 1, Dieu fait pourtant l’homme à son image, mâle et femelle (26-28). Dieu aurait-il des traits féminins ? Notons que s’il est parfois présenté comme accouchant de son peuple (Dt 32), il n’est pour autant jamais appelé « mère » mais toujours « père », comme dans beaucoup d’autres religions d’ailleurs (p. 44). C’est l’appellation que le christianisme conserve, même si YHWH ne devrait pas être défini comme un humain

(Os 11, 9) « Je suis Dieu, et non pas un être humain ».

Dieu est-il cruel ?

T.R. évoque quatre moments où Dieu se montre cruel, notamment par son silence ou ses menaces : le sacrifice loupé d’Abraham, le sacrifice réussi de Jethro (que l’on peut rapprocher de la légende grecque du sacrifice de Iphigénie par Agamemnon), le combat de Jacob et la circoncision de Moïse par sa mère, Zipporah.

Il conclut de la cruauté du dieu vétérotestamentaire

« Le comportement divin qui nous paraît aujourd’hui cruel est celui qui vient mettre en question la cruauté des hommes. Autrement dit : ces textes traitent en premier lieu de la cruauté des hommes et non de la cruauté de dieu. […] La plupart des grands textes religieux de l’humanité contiennent des récits dans lesquels une divinité s’acharne contre un homme, souvent sans raison apparente. Ces textes rappellent à l’homme la fragilité de son existence, mais aussi celle de ses conceptions théologiques. Là où Dieu apparaît comme un Dieu obscur, voire cruel, il ne reste au croyant qu’une seule solution : se mettre à l’école de Job. Celui-ci au moment même où il dénonce avec une audace inouïe la cruauté de Dieu, n’a pas d’autre recours que de s’écrier : « je sais que mon rédempteur est vivant » (Job, 19, 25) et d’en appeler ainsi à Dieu – contre Dieu. » (p. 73)

Dieu est-il despote et guerrier ?

Plusieurs passages de la bible dépeignent un Dieu guerrier, qui cherche à agrandir son territoire. Or cette figure divine, que l’on retrouve en particulier dans le Livre de Josué,  pourrait bien être largement inspirée des Assyriens.

« Depuis le règne de Tiglath-Piléser (745 – 727), le Levant est intégré dans l’Empire assyrien. Le royaume d’Israël doit payer des tributs dès 738 et, dès 722 (chute de Samarie), il perd son autonomie et se transforme en province assyrienne. Le roi de Juda, quant à lui, devient vassal du roi assyrien en 734. Les petits Etats de la Syrie-Palestine sont alors soumis à la pax assyrica, qui est une sorte de marché commun avant l’heure. La création d’une vraie infrastructure (routes servant à des fins militaires et commerciales, système de communication entre le centre et la périphérie) est à l’origine d’une mobilité sans pareille dans l’histoire de la Mésopotamie. A cela s’ajoutent d’autres innovations : l’enrôlement des soldats des pays annexés dans l’armée assyrienne et la déportation d’une partie des populations soumises. En fait, ces déportations concernaient surtout l’intelligentsia (fonctionnaires, scribes, militaires importants, prêtres, artisans d’élite) et cela dans le but d’empêcher l’organisation de soulèvements éventuels. Ces déportés furent « remplacés » soit par des fonctionnaires assyriens, soit par d’autres groupes étrangers qui ne pouvaient que collaborer avec l’administration assyrienne sur place. L’omniprésence de la culture et de la propagande assyrienne provoqua un « choc culturel » en Israël et en Juda, comme dans les petits royaumes voisins, qui, jusque-là, avaient été à l’abri de la grande politique internationale. Les Assyriens diffusaient des documents juridiques et de propagande dans lesquels le roi d’Assyrie exigeait la soumission totale de ses vassaux et où l’on célébrait les victoires assyriennes et l’extermination de tous les ennemis d’Assur. «  (pp. 76 – 77)

Et presque tout est dit, à tel point que pour Thomas Römer, sans les assyriens, il n’y aurait probablement pas eu de Bible !

En effet, il semblerait que pour la rédaction d’un premier noyau au VIIè, les intellectuels judéens furent fortement imprégnés de l’idéologie assyrienne : ils auraient même copié le style de la propagande assyrienne pour détourner le sens général des textes en leur faveur, remplaçant par exemple le nom du roi d’Assur par YHWH.

Dieu est-il moralisateur et l’homme pêcheur ?

L’idée que l’homme serait pêcheur depuis les origines, cette théorie du péché originel provient de Paul (Romains 5, 12-21 ; 7, 13-23) mais elle ne se trouve pas vraiment dans la Genèse.

Quel est alors véritablement le rôle du serpent soi-disant tentateur ? On peut imaginer qu’il obéit aux ordres de dieu ! (p. 97)

« Le serpent est un animal important et ambigu dans de nombreuses mythologies. Pour les anciens, il est associé à l’immortalité puisqu’il mue et paraît ainsi pouvoir inverser le processus de vieillissement. » (p. 97)

Dans ce récit, il semble évident que dieu s’attend à la désobéissance. Il n’évoque d’ailleurs pas ce qui se passera si Adam et Ève obéissent au commandement. Il n’informe des suites que de la désobéissance !

En fait, il s’agit pour l’homme de conquérir sa liberté, son libre arbitre :

« C’est dieu lui-même qui pousse l’homme à assumer sa liberté, en transgressant son commandement. Donc, cette liberté n’est pas absolue, puisque Dieu « manipule » en quelque sorte la situation. » (p. 99)

Mesurer à quel point, dans la Bible, Dieu est responsable ou à l’initiative de ce qui se trame tout en laissant l’homme seul face à ses décisions est particulièrement difficile.

Dieu est-il violent et vengeur ?

Dans la Genèse, Abel et Caïn sont en rivalité : ils font l’expérience de l’inégalité à cause de la préférence de YHWH. Ils font l’expérience de l’arbitraire divin : la vie n’est pas « juste ». C’est en Genèse 4, 7 que le mot « péché » apparaît pour la première fois, et ce n’est pas à propos de la pomme, mais bien à propos de la transgression d’un interdit divin : le vrai péché est de laisser libre cours à la violence. Pourtant, dans les Psaumes, notamment, on trouve non seulement des témoignages de la vengeance divine (Ps 136, v. 1.17-18) mais également des appels à la vengeance (Ps 58, v. 7.11-12)

« Dieu ! Casse- leur les dents dans la gueule ! […] Le juste se réjouira en voyant la vengeance : il lavera ses pieds dans le sang des méchants. Et les hommes diront : ‘’ Oui, le juste fructifie ; oui, il y a un Dieu qui juge sur la terre.’’ »

Néanmoins, il sait aussi, à d’autres endroits, conseiller la clémence

(Lv 19, 18) « Ne te venge pas et ne sois pas rancunier à l’égard du prochain. »

et se montrer lui-même sous un jour pacifique :

(Os 11, 9) « Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère […] car je suis Dieu et non pas un homme, je ne viendrai pas avec fureur. »

Dieu est-il compréhensible ?

Derrière toutes ces questions, c’est la question du mal qui taraudent certains passages de la Bible. Dieu est responsable du mal sur terre, puisqu’il est le créateur de tout ! Un Dieu qui punit et se venge, mais qui parfois se tait, ou dispense des messages contradictoires n’apparaît guère compréhensible. C’est dans Job et le Qohéleth que sont soulevées ces questions.

Job est harcelé de malheurs, comme autant d’épreuves envoyées par Dieu, et s’interroge, se plaint même du silence divin. Ce qu’il faut apprendre, c’est que l’on ne doit pas chercher à comprendre. C’est bien ce que tente d’illustrer le Qohéleth.

(Qo 6, 10-11) « On sait ce que c’est l’homme : il ne peut entrer en procès avec plus fort que lui. Quand il y a des paroles en abondance, elles font abonder la vanité »

Et vanité, tout n’est que vanité est le leitmotiv bien connu du Qoléleth, qui signifie « celui qui s’adresse à la foule » et que l’on traduit généralement par l’Écclésiaste – à ne pas confondre avec l’Écclésiastique, appelé aussi le Siracide, livre de l’Ancien Testament reconnu par les juifs alexandrins, les chrétiens orthodoxes et les catholiques.`

« Job et le Qohélteh veulent surtout nous apprendre à sortir de l’automatisme d’une pensée rétributive. » (p. 139)
 « Nous avons vu que la conception traditionnelle israëlite expliquait le malheur et la souffrance, en règle générale, comme sanction divine des fautes d’un individu et d’un peuple. Le livre de Job et de Qohéleth ont cassé cette explication basée sur l’idée de la rétribution. Se pose alors la question du « statut » du mal par rapport au Dieu unique, créateur de l’univers. » (pp. 136-137)

La Genèse aurait tendance à exclure le mal de la création divine. Cela pourrait pousser les croyants à croire en un dualisme bien mal, dans lequel le mal serait une autre entité, comme Satan. Est-il une hypostase de la colère divine ? On le trouve notamment en Chronique.

« L’insistance sur Satan comme protagoniste du mal induit néanmoins une tendance au dualisme où le mal apparaît comme virtuellement aussi puissant que le Dieu créateur du bien. » (p. 138)

Pour contrer une éventuelle pente dualiste, le Deutéro-Esaïe avait pourtant écrit :

« Je suis YHWH, il n’y en a pas d’autre, je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le shalom et le mal, moi, YHWH, je fais tout cela. » (45, 5-7)

Conclusion

Thomas Römer a voulu montrer diverses facettes du Dieu de l’Ancien Testament.

« Il va de soi que les chrétiens liront toujours la Bible hébraïque autrement que les juifs. Mais il serait souhaitable que les chrétiens prennent au sérieux le fait que leur Ancien Testament est plus qu’un simple prologue. Le Dieu que la Bible hébraïque présente aux juifs, aux chrétiens, à l’humanité entière n’a pas fini de nous interroger, de nous étonner et de remettre en question des discours théologiques trop bien rodés. » (p. 146)

Publié par

laetitia

Autrice ! de formation en Lettres Classiques, Docteur en linguistique, prof de Français Lettres Classiques, actuellement d'expression écrite et orale. Je souhaite mettre à disposition de tous des cours, des avis et Compte-rendus de lecture, des extraits de mes romans, des articles de linguistique, des recherches en mythologie et religion… et les liens vers la chaine "La Boule Athée" que je co-créai avec mon ex- compagnon et ami.

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