C’est à la fin du livre que l’on trouve un superbe résumé de son contenu : « Notre enquête sur les origines de Yhwh, son adoption comme dieu d’Israël, son ascension comme dieu tutélaire des royaumes d’Israël et de Juda, sa transformation en un dieu un sous Josias, puis en un dieu unique après l’effondrement de la royauté davidique et l’éclatement géographique du « peuple de Yhwh » a couvert grosso modo un millénaire, depuis la fin du XIIIè siècle avant l’ère chrétienne jusqu’à l’époque hellénistique. » (p. 319)
Cet épilogue et conclusion, (pp. 319-332) retrace la suite de l’histoire de Yhwh jusqu’à son adoption par le christianisme. Mais qu’en est-il des origines de ce dieu ? Où et quand serait-il apparu ?
À l’examen des sources bibliques, archéologiques, scriptuaires, iconographiques, on pourra « retracer le chemin d’un dieu, localisé à l’origine sans doute quelque part dans le « Sud » entre l’Égypte et le Néguev et qui est d’abord lié à la guerre et à l’orage, qui devient petit à petit le dieu d’Israël et de Jérusalem, pour demeurer, après une catastrophe majeure, la destruction de Jérusalem et de Juda, le seul dieu, créateur du ciel et de la terre, dieu invisible et transcendant, qui clame cependant qu’il entretient avec son peuple une relation particulière. » (p. 12) « C’est ainsi que l’on arrivera à retracer la carrière d’un dieu du désert vénéré par des groupes nomades qui est devenu le dieu au nom imprononçable dont nous parle la Bible hébraïque. » (p. 13)
Reprenons pas-à-pas cette histoire et tâchons de comprendre les tenants et les aboutissants de ce que Thomas Römer appelle l’invention de dieu. Il nous met toutefois en garde : « En parlant d’invention de dieu, nous n’imaginons pas que quelques Bédouins se sont un jour réunis autour d’une oasis pour créer leur dieu ou que, plus tard, des scribes ont forgé de toutes pièces Yahvé en tant que dieu tutélaire. Il faut plutôt comprendre cette « invention » comme une construction progressive issue de traditions sédimentées dont l’histoire a bouleversé les strates jusqu’à faire émerger une forme inédite. » (p. 14)
Avant toute chose, de qui parle-t-on ? Qu’est-ce que Yhwh ?
D’une part, Yhwh n’est pas le seul dieu mentionné dans la Bible. Non seulement on trouve Kemosh dans le livre des Juges, mais également d’autres dieux que les destinataires du Deutéronome sont exhortés à ne pas suivre. Mais cela est bien normal : le Moyen-orient était parsemé de nombreuses divinités et parfaitement polythéiste. D’ailleurs des toponymes judéens ou israëlites datant probablement du IIème millénaire témoignent de la présence d’autres dieux liés à la fertilité, aux moissons et aux récoltes (p. 115).
D’autre part, Yhwh est présenté comme un dieu inconnu qui se révèle à Moïse en Égypte. Il n’est donc pas présent depuis toujours !
Pour finir, le dieu de la Bible lui-même porte plusieurs noms : (p. 38-39)
- Elohim, qui porte une terminaison plurielle et peut se traduire par « dieux »
- Le « seigneur » ou « l’éternel »
- Adonay, « mon seigneur », inventé par les massorètes pour éviter de prononcer YHWH
- Has-sem, « le Nom », utilisé également par les Samaritains
- YHWH, version consonantique / tétragramme : plus tard, entre le IIIè et le Xè ap JC, les savants juifs, appelés Massorètes, mot araméen qui signifie « gardiens », ont élaboré plusieurs systèmes de vocalisation dont l’un d’eux, celui de Ben Asher, s’est finalement imposé.
Mais justement, comment prononcer YHWH ? En effet, cela était devenu problématique puisque les juifs avaient cessé de prononcer son nom dès le IIIè avjc ; le tétragramme YHWH était alors remplacé par theos « dieu » ou kurios, « seigneur ». (p. 39)
Plus tard, plusieurs suppositions ont été faites, parfois induites en erreur, comme celle qui conduisit à Jéhovah : au XIIIè siècle apJC, le dominicain Raimundus Marti n’avait pas compris que les voyelles d’adonay, combinées par les massorètes avec le tétragramme, indiquaient qu’il fallait prononcer « adonay » plutôt que de chercher à prononcer le nom de dieu… c’est ainsi qu’il lut yêh(o)wâh, nom qui s’est largement répandu à travers les témoins de Jéhovah. (p. 40)
Comment faire pour reconstruire la prononciation de ce tétragramme que l’on trouve par ailleurs en dehors de la Bible : YHWH est présent sur la stèle de Mesha et dans les inscriptions à Kuntillet Ajrud (p. 46) Des noms propres théophores attestent quant à eux une forme brève de Yahvé : Yirmeyahu (Jérémie), Yesa’yahu (Esaïe) ou encore Yehonatan (Jonathan). La forme courte devait se prononcer Yahu ou Yahou. (p. 41)
L’enquête que mène Th. Römer le conduit à la conclusion que la prononciation ancienne du nom de dieu d’Israël était « Yahô », autant dire que le tétragramme était à l’origine un trigramme, ce qui signifie que le W dans YHW n’avait pas valeur de consonne, mais était une mater lectionis indiquant le son « o ». La lettre h en finale du tétragramme YHWH serait alors à comprendre comme servant à l’allongement du o précédent. » (p. 46)
D’où vient alors cette prononciation Yahweh attestée surtout chez les pères de l’Église ? C’est en effet une prononciation que l’on trouve chez Clément d’Alexandrie (Iaoué) entre autres pères de l’Église. Mais il faut noter que « Presque toutes les attestations d’une prononciation du tétragramme viennent de l’époque chrétienne. » (p. 45) On peut supposer qu’« au moment de la traduction du Pentateuque en grec cette prononciation avait cours et était connue. » (p. 45) C’est peut-être à partir du jeu de mot en Exode chapitre 3, 11 que l’on suppose une prononciation Yahweh (Yahvé) car dieu dit à Moïse : « je suis qui je suis » ehyeh aser ehyeh. (p. 43) ? « Cette évolution peut s’expliquer par une hypothèse théologique qui sous-tend également le récit d’Exode 3, à savoir rendre compte de la signification du nom de Yhwh par la racine hébraïque h-y-w, « être ». La prononciation « Yahweh » correspond en effet à la vocalisation d’une forme causative de la troisième personne du masculin singulier de cette racine. Yahweh serait alors « celui qui fait être », « celui qui crée »… Cette spéculation a pu mener vers cette prononciation Yahvé, sans doute bien plus récente que Yahô ou Yahû. » (p. 47)
Quelle est véritablement l’étymologie ? La piste du verbe « être » est souvent explorée pour ces raisons. Cependant « la racine sud-sémitique qu’on pourrait mettre en rapport avec le tétragramme serait alors la racine sémitique h-w-y qui a trois significations : « désirer », « tomber », « souffler ». Les sens de « désirer » et de « tomber » sont également attestés en hébreu biblique, seul le sens de « souffler » ne l’est pas. Peut-être s’agit-il alors d’un évitement voulu à cause du nom divin. […] Yhwh serait donc celui qui souffle, qui amène le vent, un dieu de l’orage qui peut aussi inclure des aspects guerriers, et une telle caractérisation s’applique assez bien, comme on va le voir, aux fonctions primitives de Yhwh. » (p. 50)
De qui et de quoi Yhwh est-il le dieu ?
Sans conteste, il s’agit d’un dieu de la guerre et d’un dieu de l’orage. (p. 66-67) Mais il pourrait être également un dieu des steppes et des régions arides, comme en témoigneraient des sceaux en forme de scarabées, trouvés dans le Néguev et en Juda, représentant une variante du motif iconographique du « maître des animaux. » (p. 68)
Peut-on rapprocher ce dieu de Seth ? Des liens sont possibles, mais restent hypothétiques. Ils confirment néanmoins l’origine sudiste de Yhwh, son aspect guerrier et sa provenance des steppes. (p. 70)
D’où vient ce Yhwh ?
La relation entre Yhwh et Israël n’a pas tjrs existé. On trouve des traces d’un Yhwh bien ailleurs.
Ougarit, cité-état prospère des XIVè et XIIIè avjc livre de nombreux documents archéologiques dont un texte mythique où il est fait allusion à un banquet de El. On y lit : « le nom de mon fils, Yw – déesse/dieu(x ?) ». Ce passage pourrait être rapproché d’un passage biblique, dans sa version primitive, reconstituée sur la base de la version grecque et d’un fragment de Qumran : « Quand Elyon donna les nations en héritage, quand il répartit les hommes, il fixa les territoires des peuples suivant le nombre des fils de Dieu (El). Et la part de Yhwh est son peuple, Jacob est sa part attribuée. » […] « Cependant ce passage est peu clair et trop fragmentaire pour postuler une vénération du dieu Yhwh d’Ougarit. » (p. 52-53) On trouve aussi un Yam… une erreur de scribe ? ce qui arrivait bien souvent ! (p. 54)
Trouvé entre l’Égypte et Séïr, un papyrus égyptien de 1330-1230 présente la forme abrégée de Yhwh, à savoir Yah qui serait le nom d’un lieu.
Dans une liste d’Aménophis III de Soleb au Soudan (vers -1370), on trouve mentionné le « pays – des Shasou – Yhwh ou Yhw(h) dans le pays des Shasou. » Ainsi que dans un autre endroit à Soleb et une halle du temple de Ramsès II à Amarah Ouest. (p. 55)
Yhw3 pourrait être un terme géographique : une montagne ?
En tout cas, « les attestations archéologiques, épigraphiques et iconographiques font apparaître des Shasou dans le territoire d’Édom, de Séïr et dans l’Araba au moment de la transition entre le Bronze récent et l’âge de Fer. Et parmi ces Shasou se trouvait peut-être un groupe dont le dieu tutélaire s’appelait Yhw. Ces attestations peuvent se combiner avec une tradition biblique qui présente le dieu Yhwh comme un dieu venant du « Sud ». » (p. 57)
Mais quel Sud ? Plusieurs textes font venir Yhwh d’Edom, mis en parallèle avec Séïr. Le mot hébreu séïr, qui signifie « poilu », s’applique en tant que terme géographique à l’intérieur du territoire d’Edom à une région comportant des forêts. Séïr serait la montagne qui va du Wadi el-Hesa jusqu’au golfe d’Aqaba ; Edom l’englobe. Mais dans la bible, les deux sont souvent substituables. (p. 63)
Bref, la comparaison des quatre textes (Jg 5, 4-5 / Psaume 68, v 8-9 et 18 / Dt 33, 2 / Habaquq, chap 3) quant à la provenance de Yhwh peut être résumée ainsi : dans ces énoncés poétiques, Yhwh est « localisé » dans le sud, en territoire édomite ou, d’une manière plus générale, dans un territoire situé au sud-est de Juda. Il est fort possible que ces quatre passages poétiques reprennent une tradition ancienne selon laquelle Yhwh était une divinité liée à une montagne dans le désert, à l’est ou à l’ouest de l’Araba. » (p. 65)
Moïse et les madianites
Dans la bible, Exode, Chap 3, c’est à Moïse que Yhwh se révèle. Moïse a-t-il existé ? Force est de constater que nous n’en avons aucune trace historique. Cependant, il apparaît comme un Hébreu occupant un statut social très élevé à la cour ; ce qui le rapproche de Beya, ce Cananéen qui avait provoqué une révolte des Asiates dans la ville de Pi-Ramsès vers la fin de la XIXè dynastie. (pp. 72-73) Par ailleurs, Moïse rencontre les madianites et ils vont jouer un rôle important dans la découverte du dieu Yhwh.
Qui étaient les madianites ? « On peut dire que les madianites étaient organisés d’une manière tribale et peu hiérarchisée (bien que certains textes bibliques parlent, de façon anachronique, de rois madianites). Selon Exode 2, ils élevaient du bétail (voir aussi Jdt 2, 26) et certains clans étaient apparemment nomades ou semi-nomades (Ha, 3,7). D’autres étaient sédentaires et pratiquaient l’agriculture autour des oasis. Ils étaient également impliqués dans l’exploitation des mines d’or et de cuivre ainsi que dans des activités commerciales. » (p. 79)
Dans la bible, les Madiân sont présentés parfois négativement, souvent positivement. Le papyrus Anastasi VI mentionne les Shasou d’Édom : or dans la Genèse, on insiste sur la fratrie entre Jacob (Israël) et Ésaü (Édom). Ces textes donnent l’impression d’un lien privilégié entre Israël et Édom par rapport aux autres voisins. En Dt 2,5 il est dit que c’est Yhwh qui a donné Séïr aux fils d’Ésaü (pp. 91-92). Les madianites seraient-ils des Shasou d’Edom ?
« En résumé, le dossier sur Moïse et Madiân confirme les indications fournies par les textes évoquant une provenance sudiste de Yhwh et peut-être son lien avec les Shasou, des tribus semi-nomades parmi lesquelles on peut compter les Madianites et les Qénites. Nous avons déjà vu que Juges 5 fait venir Yhwh de Séïr. […] Il est plus difficile de savoir quelle vraisemblance historique on peut attribuer aux récits sur Moïse et Madiân. Moïse fut peut-être le chef d’un groupe de ‘apiru qui, sorti d’Égypte, a rencontré Yhwh à Madiân et l’a ensuite fait connaître à d’autres tribus dans le Sud. Cette question sera reprise dans la suite de l’enquête. » (p. 93)
Comment Yhwh devint-il le dieu d’Israël ?
En Exode 19-24, Yhwh devient le dieu d’Israël à la suite d’une révélation sur le mont Sinaï et à la conclusion d’une alliance ou d’un contrat : Moïse est le médiateur entre Yhwh et son peuple. (p. 95) Yhwh n’a donc pas toujours été le dieu d’Israël. De qui était-il le dieu et quel était le dieu d’Israël alors ?
Israël contient le nom de EL. Le sens premier de Israël serait « Que El combatte » (forme verbale de la racine s-r-h, « battre, combattre » à la troisième personne de la conjugaison à préformantes dans la forme du jussif (injonction). (pp. 96-97) D’autres suppositions : « El est juste », à partir de y-s-r « être juste ». Ou encore s-r-r « régner, gouverner » : « qu’El règne ». (p. 98)
« L’explication populaire à l’aide de la racine s-r-h « se battre » dans les textes de Genèse 32 et Osée 12 a pu supplanter l’étymologie originelle au moment où Yhwh, dieu guerrier, devint le dieu tutélaire du groupe Israël. La racine de « régner », « s’imposer comme maître » convient mieux pour El, le chef des panthéons et le roi des dieux. » (p. 98)
La stèle de Merneptah (1210-1205) mentionne un Israël, qui a été détruit par les égyptiens – semence ou blé qui n’est plus – et la Syrie réduite à néant. Cet Israël est le nom d’un groupe qui se trouvait en Syrie, sans doute dans la région montagneuse d’Ephraïm : « apparemment, « Israël » est un groupe dont le nom est connu des Égyptiens et qui est considéré par eux comme un facteur potentiel de désordre, mais aussi comme un ennemi important contre lequel il faut s’assurer une victoire rapide. […] Une question demeure : ce groupe, dont le nom indique que ceux qui le portent rendaient d’abord un culte au dieu El, chef des panthéons cananéens, vénérait-il déjà le dieu Yhwh ? » (p. 103)
En tout cas, ce qu’on peut dire, c’est que la bible garde des traces indéniables d’un culte de El : « La vénération d’une divinité de type El, précédant celle de Yhwh, se reflète partiellement dans l’histoire patriarcale et, notamment, dans celle de Jacob qui, en luttant avec « dieu » et en changeant de nom, devient « Israël ». (p. 104) Et on trouve dans la Genèse toute une série d’épithètes pour El (cf pp. 105-109), dont le plus connu et répandu est El Shadday : soit de l’akkadien sadu « montagne » (« celui de la montagne ») soit l’étymologie rabbinique « celui qui se suffit à lui-même » mais il s’agit clairement d’une spéculation théologique. La version grecque propose pantokrator, le « tout-puissant ». (pp. 108-109)
Dans la bible, les relations entre Jacob (Israël) et son frère Esaü (Édom) sont très complexes : « Si l’on datait l’histoire de Jacob du temps de la royauté israëlite, on avait du mal à expliquer une relation étroite entre Jacob (Israël) et Esaü (Édom) à cette époque. Pour cette raison, on a récemment fait remarquer que les relations tendues et néanmoins proches entre les deux frères font sens à l’époque babylonienne ou perse, période où Jacob est devenu l’ancêtre de « tout Israël » (incluant donc Juda) dans un sens théologique. Faut-il alors situer les récits d’hostilité de cette époque ? Notre enquête pourrait pointer vers une tout autre solution : si Yhwh était localisé chez les Édomites, le lien entre Jacob et Ésaü pourrait refléter un savoir sur l’adoption par les « fils de Jacob » d’un Yhwh lié d’abord à Ésaü. Cette spéculation reçoit une certaine confirmation des inscriptions de Kuntillet Ajrud maintenant publiées dans le rapport complet des fouilles. On y rencontre à la fois un « Yhwh de Samarie », donc d’Israël, et un « Yhwh de Têman », du Sud. » (p. 110) Comment cette adoption se serait-elle produite ?
« Admettons qu’un dieu Yhwh ait été localisé sur une montagne dans le territoire d’Édom ou de Madiân et qu’il ait été adopté par un de ces groupes que les Égyptiens appellent Shasou ou Hapiru. » En Exode 5 et 3, il est fait mention d’un Yhwh auquel les Hébreux doivent désormais rendre un culte : « s’agit-il alors du souvenir selon lequel un groupe de Shasou/Hapiru aurait fait la connaissance de Yhwh lors d’un séjour dans le territoire de Madiân/Édom ? » (p. 111)
Cette rencontre est peut-être ce qui est relatée dans la révélation au Sinaï. « Ces textes de l’Exode pourraient alors conserver la trace d’un rituel où un groupe de Shasou/Hapiru se constitue, via un médiateur, comme ‘am Yhwh, peuple d’un dieu guerrier à qui il attribue la victoire contre l’Égypte. Ce groupe a ensuite introduit ce dieu Yhwh dans la région de Benjamin et Éphraïm où se trouve Israël. » (p. 113)
L’entrée de Yhwh à Jérusalem
Avant Jérusalem, on trouve des traces de Yhwh à Silo : attesté par les textes tardifs dans ce site occupé au IIème millénaire, qui devient important au milieu du XIIè et du XIè (p. 116) : « Silo fut apparemment un sanctuaire yahwiste important, contenant peut-être même une statue de Yhwh, et il est possible que ce soit par le biais de ce lieu saint (ou par le prophète Samuel) que Yhwh devint ensuite le dieu de Saül. » (p. 117)
L’historicité des trois premiers rois d’Israël est largement contestée : sauf la fameuse stèle de Tel Dan du VIIIè dont un fragment rédigé en araméen précisant que le roi de Damas a vaincu une coalition israélito-judéenne : il vainc « la maison de David » (p. 118) et encore, l’hypothèse n’est pas totalement convaincante, il semble que Saül David et Salomon sont plutôt construits comme des figures types par les rédacteurs bibliques. (p. 118)
Avant d’arriver à Jérusalem, Yhwh est lié à l’arche (le mot hébreu ‘aron signifie « boite, coffre ») (p. 120), qui serait comme un sanctuaire de guerre transportable ; « on peut la rapprocher soit des coffres sacrés attestés dans l’iconographies égyptienne, soit des étendards de guerre assyriens ou d’autres représentant également la divinité. » (p. 122)
A l’analyse des textes Dt 10, 1-5 et 1 R 8,9, « on peut imaginer que l’arche transportait deux bétyles (pierres sacrées) ou deux statues symbolisant Yhwh et sa parèdre Ashéra, ou une statue représentant Yhwh tout seul. » (p. 123)
Jérusalem existe depuis le XVIIIè et signifie probablement « fondation de Shalem » : Shalimu est attesté dans les textes d’Ougarit comme divinité du crépuscule. C’est une ville cananéenne qui décline dans la deuxième partie du deuxième millénaire. (p. 124) « lorsqu’il entre à Jérusalem et trouve sa place dans le temple, Yhwh n’y est pas immédiatement la divinité principale. Il le deviendra durant les siècles suivants, où deux royaumes se revendiquent de Yhwh. » (p. 137)
Le culte de Yhwh en Israël
L’idée d’un grand royaume uni sous David et Salomon relève de l’imagination, même s’il est possible qu’à un moment des parties de Juda, de Benjamin et d’Éphraïm se soient trouvés unies autour d’un roi et d’un dieu tutélaire. (p. 141) La Bible invoque ensuite un schisme entre le royaume du nord, Israël et celui du Sud, Juda. Ce qui est raconté au sujet des rois du Nord ne correspond sûrement pas à la réalité de leurs véritables réussites ou échecs politiques. (p. 140) mais sert d’explication à la chute d’Israël :
« L’histoire des deux royaumes d’Israël et de Juda est relatée dans une perspective « sudiste », c’est-à-dire judéenne. […] La chute d’Israël en 722 avant notre ère est expliquée comme la sanction divine du « péché de Jéroboam », à savoir le culte de Yhwh sous forme de taureau. » (p. 139)
Or, sur le plan historique, Israël était sans doute celle des deux monarchies la plus florissante avant 722 « alors que Juda était une petite entité qui semble souvent avoir été en position de vassal du « grand frère » nordiste. » (p. 141)
« Très souvent les spécialistes pensent que le culte de Yhwh en Juda était fortement distinct de celui d’Israël : le Yhwh d’Israël aurait plutôt été vénéré sur le modèle de Baal, c’est-à-dire comme une divinité de l’orage et de la fertilité, alors que, dans le Sud, il aurait intégré les traits solaires de l’ancienne divinité tutélaire de Jérusalem. Il faut préciser et relativiser tout cela. » (p. 142) « Il ne fait pas de doute que Yhwh a été vénéré en Israël, à Béthel et plus tard sans doute aussi à Dan, sous la forme d’un taureau à la manière de Baal à Ougarit. » (p. 146)
La stèle de Mesha, datée du IXè et qui relate la victoire de Mesha au cours de sa révolte contre le royaume d’Israël après la mort du roi Akhab, mentionne et donc atteste de l’existence d’un Yhwh dans le nord. (p. 152)
« Yhwh était donc vénéré dans le royaume du Nord sous les traits d’un taureau ou d’une manière anthropomorphe sous la forme d’un dieu de l’orage. Des sanctuaires yahwistes existaient à Samarie, Béthel, Dan, Sichem, ainsi qu’en Transjordanie […] il ne fait également aucun doute que Yhwh ne fut pas vénéré dans le royaume du Nord d’une manière exclusive. » (p. 153)
En résumé, « en Israël, Yhwh devient définitivement la divinité la plus importante avec le putch de Jéhu. Yhwh a d’abord été vénéré dans le Nord surtout comme un « baal », c’est-à-dire un dieu de l’orage ressemblant à certains égards au dieu Baal d’Ougarit. Il n’a pas été le seul dieu vénéré en Israël ; peut-être a-t-il d’abord été subordonné à El (notamment dans le cas du sanctuaire de Béthel). Sous les Omrides, deux Baalim se faisaient concurrence : le baal phénicien (peut-être Milqart) et le baal Yhwh. Par la suite, Yhwh intégra apparemment les traits d’El ainsi que les traits solaires : il devint un baal shamen, un « seigneur du ciel ». Jusqu’à la chute de Samarie en 722 avant notre ère, le culte de Yhwh n’était pas exclusif, comme le montre le prisme de Nimroud, dans lequel Sargon II relate la prise de la capitale du royaume du Nord : « je comptai pour prisonniers 27 280 personnes ainsi que leurs chars et les dieux en qui ils se confiaient. » (p. 163)
Le culte de Yhwh en Juda
« Contrairement au Nord (Israël), la vénération de Yhwh à Jérusalem sous un aspect bovin ne semble pas attestée. Dans la capitale du royaume de Juda, Yhwh apparaît surtout comme une figure royale, siégeant sur un trône, rappelant davantage le dieu El. » (p. 165)
On note une diversité de sanctuaires yahwistes en Juda : la Bible évoque des bâmôt, des « hauts lieux ». Dans le nord, mais encore plus fréquemment dans le sud, mais également des sanctuaires à ciel ouvert, dans lesquels se trouvaient une ou plusieurs stèles (massebôt) et une asherah (arbre ou poteau sacré), comme le montre ce passage du premier livre des Rois.
On trouve des représentations d’un Yhwh assis sur des chérubins, ou kerubin : leur fonction est de protéger mais ils peuvent également symboliser le mélange, le désordre, le chaos que la divinité ou roi doit dominer ou combattre (p. 174) On trouve également un Yhwh des armées (p. 178) ou Yhwh représenté comme roi.
Yhwh Melek et Molek : Molek se prononçait melek (« roi ») et constituait un titre pour Yhwh. Il est possible que les sacrifices d’enfants lui aient été offerts en tant que Yhwh-Melek. Melek est employé plus de 50 fois dans la bible pour caractériser Yhwh. (p. 182) Pour en savoir davantage sur cet aspect compliqué de la divinité :
L’ascension de Yhwh à Jérusalem : « Yhwh n’a pas été vénéré seul. Selon notre enquête, il a sans doute d’abord cohabité dans le temple avec une divinité solaire à laquelle il était peut-être subordonné ». (p. 167). « Lors de cette ascension, Yhwh a sans doute repris les traits et les fonctions du dieu solaire avec lequel il cohabitait jusque-là à Jérusalem. L’importance du culte solaire à Jérusalem peut, entre autres, s’expliquer par l’influence égyptienne. Le transfert des traits solaires sur Yhwh apparaît dans des noms propres théophores, dans l’iconographie et dans des descriptions des manifestations de Yhwh. » (p. 171) et par exemple sur des sceaux du VIIIè montrant un scarabée ailé qui porte le disque solaire avec inscrit « Yhwh est ma lumière ».
El et Yhwh à Jérusalem : Gen 14, Abraham rencontre le prêtre d’El Elyon à Salem (=Jérusalem) : « dans le texte massorétique, ce dieu est identique à Yhwh, ce qui ne semble pas encore être le cas dans le texte hébreu à partir duquel la version grecque a été élaborée. Il est donc possible que ce passage très récent garde encore le souvenir du fait d’une divinité du nom d’El Elyon » (p. 167) dont on dit plus loin (verset 6) que tous les dieux sont des fils d’El Elyon. (p. 169)
Yhwh et la mort : À Ougarit, la Mer et la Mort sont les grands ennemis de Baal. On trouve dans la bible des textes qui présupposent une situation similaire pour Yhwh. (p. 183)
En résumé, « On constate que, dans le royaume de Juda, durant les IXè et VIIIè, Yhwh devint le roi principal, dieu de la dynastie davidique et dieu national de Juda. Il absorba les fonctions du dieu solaire et combina les fonctions de deux types de dieux, El et Baal. Le temple de Jérusalem était le centre de la royauté de Yhwh, bien qu’il existât d’autres sanctuaires Yahwistes et, dans les campagnes surtout, les bâmot. Yhwh affirma aussi, vers la fin du VIIIè, sa supériorité sur le dieu des enfers. On lui offrait aussi, durant des crises militaires, des sacrifices humains. Était-il alors vénéré à Jérusalem d’une manière visible ou invisible ? Et était-il seul dans le temple ? » (p. 185)
La statue de Yhwh en Juda
« Évidemment, aucun texte biblique ne nous raconte l’existence d’une statue de Yhwh dans le temple de Jérusalem ou ailleurs dans le royaume de Juda, contrairement aux taureaux du royaume d’Israël fréquemment critiqués. Cela s’explique par la perspective judéenne et théologique des éditeurs et rédacteurs des livres bibliques qui voulaient suggérer que le culte judéen, « légitime », de Yhwh n’avait jamais comporté de représentations de ce dieu. Or, à y regarder de plus près, il existe cependant un bon nombre d’indices qui rendent plus plausible le fait que l’interdit des représentations de Yhwh ait constitué une innovation et qu’ait bien existé une statue de Yhwh dans le temple de Jérusalem ou ailleurs. » (p. 194)
Le premier indice de cela, c’est l’interdiction même de créer des idoles ou des images (cf Décalogue ou chap 4 du Deutéronome). Mais a posteriori, des passages de la bible expliquent que les malheurs qui surviennent sont les conséquences de la désobéissance à cette interdiction : l’exil et la déportation arriveront justement parce que le peuple a fabriqué une statue divine. (p. 198) « selon cette relecture de l’histoire d’Israël et de Juda dans le chapitre 4 du Deutéronome, la catastrophe de la destruction de Jérusalem et de l’exil par les Babyloniens en 587 est arrivée à cause d’une ou des statues de Yhwh. » (p. 198) et en effet, des textes suggèrent l’existence d’une statue ou de statues de Yhwh dans le royaume de Juda durant l’époque monarchique (p. 208) En outre, une pièce d’argent judéenne représente Yhwh de façon stéréotypée (p. 193) et date du IVè : elle « atteste qu’on pouvait encore au IVè avant notre ère concevoir la possibilité de le représenter. » (p. 210) L’interdit des images s’impose donc et on substitue à la statue de Yhwh sa « gloire » ou un chandelier. « mais la substitution la plus importante fut le rouleau de la Torah qui, par la mise par écrit de la relation entre Yhwh et Israël, rendait visible la parole du dieu désormais invisible. » (p. 211)
Yhwh et son Ashéra
« Il est très plausible que Yhwh ait eu, en Juda, et sans doute aussi en Israël, une déesse qui lui ait été associée. » (p. 213)
« Les origines de la déesse Ashérah sont probablement ouest-sémitiques, même si elle est attestée pour la première fois en Mésopotamie, à l’époque de Hammourabi (XVIIIè s av notre ère). En akkadien et en hittite, elle apparaît comme Asratum, Asiratu et Asirtu. » […] mais la source principale reste au deuxième millénaire les textes ougaritiques, notamment dans le cycle de Baal où elle est présentée comme la mère de tous les deux. (p. 214)
« le mot ashérah apparaît 40 fois dans les textes bibliques, le plus souvent avec l’article, dont 22 fois au pluriel, dont 19 fois au pluriel masculin ! Une invention artificielle des rédacteurs pour éviter toute allusion à la déesse ? (p. 215) Les textes bibliques ne font pas de lien direct entre Ashérah et Yhwh : au contraire, certains textes l’associent plutôt à Baal, alors que les textes ougaritiques en faisaient l’épouse de El. (p. 216)
« Contrairement aux textes bibliques, un lien étroit entre Yhwh et Ashérah est attestée par les inscriptions des sites de Kuntillet Ajrud et Khirbet el-Qom : deux personnages dessinés sous l’inscription Pithos pourraient bien représenter Yhwh (de Samarie) et son Ashérah. (p. 218) « Même si le dossier iconographique ne permet pas de trancher définitivement, les inscriptions ne laissent aucun doute quant à l’existence d’une Ashérah associée à Yhwh. » (p. 220) D’autres traces ont été découvertes (pp. 221-224). « Bien que les rédacteurs bibliques critiquent les rois qui auraient favorisé la vénération d’Ashérah, il fait peu de doute que, jusqu’à la fin du VIIè siècle avant notre ère, ce culte jouait un rôle important. Ashérah était associée à Yhwh, peut-être dans le temple de Jérusalem, via une statue placée à côté de la sienne. » (p. 225)
Il existait en Juda au VIIè un culte de la « Reine du Ciel », d’ailleurs sévèrement critiqué en Jérémie chap 44, v17-18. Il s’agissait peut-être d’une manifestation de la déesse Ashérah. « L’importance des femmes dans le culte d’Ashérah est attestée dans la notice de 2R 23, 6-7 selon laquelle les femmes tissaient dans le temple de Jérusalem des robes pour Ashérah. » (p. 226)
« En résumé, la déesse Ashérah a été associée à Yhwh comme parèdre mais elle était aussi vénérée indépendamment de lui, surtout par les femmes en tant que Reine du Ciel. C’est seulement sous le règne de Josias que Yhwh se retrouve seul, sans son Ashérah. » (p. 228)
De la chute de Samarie à l’ascension de Juda et à la réforme de Josias :
Pour bien comprendre ce qui se passe dans cette période, je vous recommande les deux épisodes de la boule athée, Israël et Juda, Partie 1 et Partie 2.
Qu’en est-il de cette fameuse réforme de Josias ? « Il est vrai que nous n’avons pas de preuves de première main d’une quelconque « réforme josianique », attestant l’existence d’une réorganisation politique ou cultuelle. Il existe cependant un nombre important d’indices qui rendent très plausible le fait que le règne de Josias corresponde à des changements majeurs quant à la vénération de Yhwh. » (p. 259)
La question de la prostitution cultuelle : « selon le verset 7 du chapitre 23, Josias démolit les maisons des « saints » (qedesim) qui se trouvaient dans la maison de Yhwh et où les femmes tissaient des toiles pour Ashérah. Il est assez clair que qades est une expression pour des prostitués masculins et qedesah pour des prostituées féminines. » (p. 263) L’interdiction de la prostitution, mais également du travestissement pour les deux sexes (p. 264) « l’existence de prostitués hommes et femmes dans le temple de Jérusalem est plausible et, s’ils avaient un lien avec Ashérah, il est également compréhensible que Josias ait tenté de les bannir du temple. » (p. 265) « Grande est aussi la vraisemblance historique, dans ce contexte, d’une tentative de centralisation du culte, du pouvoir et des taxes (les sanctuaires géraient aussi des levées d’impôts) à Jérusalem. » (p. 267)
Yhwh est un s’impose et pourrait bien avoir été inspiré des traités de vassalité assyriens. « On peut donc affirmer que la fin du VIIè siècle avant notre ère est le début d’une partie importante de la littérature biblique. Paradoxalement, ce sont les Assyriens, si détestés par les auteurs bibliques, qui ont fourni une grande part des matériaux nécessaires à la construction de cette littérature et qui ont ainsi contribué à forger la nouvelle image de Yhwh. » (p. 275)
Là encore, pour davantage de précision, je vous renvoie à cet épisode de la Boule athée, spécialement consacré aux Assyriens !
Du Dieu un au Dieu unique : les origines du monothéisme biblique au début de l’époque perse
« Après les événements de 597/587, les piliers traditionnels, supportant la cohérence idéologique et politique d’un État monarchique dans le Proche-Orient ancien, s’étaient écroulés. Le roi avait été déporté, le temple détruit et l’intégrité géographique de Juda pulvérisé du fait des déportations et émigrations volontaires. » (p. 282) C’est une véritable crise à laquelle il faut pourtant faire face. Le contexte perse offre une situation plus stable et favorable à la construction d’un nouveau discours. En 539, Cyrus II prend le pouvoir. Il est parfois vu comme un véritable sauveur puisque « permission est donnée aux exilés de retourner dans leur pays, de restaurer et de pratiquer des cultes locaux. » (p. 284) Cependant, tous les exilés ne sont pas pressés par le retour.
Pour analyser les différentes positions qui furent adoptées face à la crise, Th. Römer utilise le modèle développé par le sociologue Armin Steil. (p. 283) [J’en ai fait part sur les réseaux sociaux ici. Une explication dans cet article.
L’équivalent biblique à la position dite du « mandarin » face à la crise est l’École deutéronomiste. Il s’agit de descendants de scribes et haut-fonctionnaires, sans doute ayant œuvré à la réforme de Josias. Ce groupe est obsédé par la fin de la monarchie et tente de reconstruire une histoire en retravaillant les anciens rouleaux de l’époque assyrienne afin de bâtir une histoire cohérente, divisée en différentes périodes : Moïse, la conquête du pays sous Josué, l’époque des Juges, des chefs charismatiques précédant la royauté, l’avènement de la monarchie, l’époque des deux royaumes, l’histoire de Juda depuis la chute de Samarie jusqu’à celle de Jérusalem. (p. 285) Les événements négatifs : schisme du royaume uni (et fantasmé), invasions assyriennes et babyloniennes sont alors présentées comme des conséquences « logiques » de la désobéissance du peuple et de ses chefs à la volonté de Yhwh. (p. 285) C’est un bel exemple de réécriture de l’histoire où Babylone devient un instrument de la volonté divine, Yhwh : cette vision prépare le chemin du monothéisme. « Ainsi, pour les deutéronomistes, Yhwh est certes le dieu qui règne sur tous les peuples, néanmoins, il entretient une relation particulière avec Israël. C’est une manière remarquable de maintenir l’ancienne idée de Yhwh comme dieu national ou tutélaire, tout en affirmant qu’il est le seul vrai dieu. » (p. 288)
Dans la deuxième partie du livre d’Esaïe (cha 40-55), on trouve une attitude plutôt prophétique, à travers une réflexion plus poussée sur le monothéiste, avec une démonstration de l’unicité de Yhwh : « la manifestation de Yhwh en tant que seul Dieu de tous les peuples et de l’univers équivaut à une nouvelle révélation. (p. 289) Il essaie également de résoudre les deux pb du monothéisme : le féminin et le mal. Le féminin est plutôt intégré aux caractéristiques de Yhwh – mais pas toujours. (p. 291) Quant au mal, les textes bibliques donnent des réponses différentes, mais pour le deutéro-Esaïe, c’est Yhwh qui crée le mal. (p. 295)
La troisième attitude, celle du prêtre, serait en tout logique celle adoptée par les prêtres et leur rédaction de ce qu’on appelle, en toute logique, l’écrit sacerdotal : ensemble rédigé soit à Babylone, soit à Jérusalem, au début de l’époque perse. « L’Écrit sacerdotal peut être reconstruit assez facilement, il se compose de textes qui se trouvent aujourd’hui dans le Pentateuque à l’intérieur des livres de la Genèse, de l’Exode et dans la première partie du livre du Lévitique. Pour le milieu sacerdotal, seul compte le temps des origines. » (p. 296) Aux origines du monde et de l’humanité, Yhwh se révèle aux hommes comme elohim. « cela signifie que tous les peuples rendant un culte à un dieu créateur vénèrent, sans le savoir, le dieu qui se manifestera plus tard à Israël sous le nom de Yhwh. » (p. 297) La révélation du nom qui est faite à Moïse est alors un privilège dont Israël ne doit pas « profiter ». Cette représentation suppose également que les voisins immédiats d’Israël sont proches et en relation de parenté : les tribus arabes via Ismaël, les Moabites, Ammonites via Loth, et Édomites via Ésaü.
Les institutions cultuelles sont données aux Patriarche et à l’Israël avant toute organisation politique : « Ce découplage du culte de Yhwh des institutions politiques et du lien avec le pays prépare en quelque sorte l’idée d’une séparation entre le domaine du religieux et le domaine du politique. » (p. 298)
Les influences perses (pp. 299-303) : « la figure de Satan en tant que membre d’une cour céleste n’est attestée, dans les textes bibliques, qu’à partir de l’époque perse. » (Job par exemple) (p. 301) « Il est fort probable qu’il y a eu des influences perses sur l’élaboration du monothéisme yahwiste dans le contexte du judaïsme naissant, bien que celles-ci ne soient pas toujours si facilement démontrables que ce que d’aucuns prétendent. » (p. 303)
La résistance au monothéisme : la communauté judéenne d’Éléphantine, où l’on trouve mentionnés d’autres dieux. Elle n’est détruite qu’à la fin du Vè et l’on constate qu’un certain polythéisme est accepté jusque-là. (p. 305) [pour en savoir plus, ici] Mais en réalité, le polythéisme ne disparaît pas facilement et n’est même pas compris comme un concept ; le mot est attesté pour la première fois chez Philon d’Alexandrie, au premier siècle de notre ère.
Un monothéisme avant la bible : le terme « monothéisme » « semble être un néologisme du XVIIè pour désigner la religion universelle de l’humanité. Thomas More et d’autres appliquèrent cette notion au christianisme pour le distinguer des autres croyances de l’antiquité et le défendre face à la critique juive selon laquelle le christianisme ne respecterait pas le commandement de l’exclusivité de Dieu. » (p. 305) Parler le monothéisme pour le proto-judaïsme semble être un véritable anachronisme. « On a souvent voulu faire de la révolution d’Akhenaton, bien vite effacée par ses successeurs, l’origine du monothéisme biblique en faisant de Moïse le disciple du pharaon iconoclaste ou en identifiant les deux personnages. Or le monothéisme biblique se manifeste de manière très différente. D’une part, il naît quelque huit siècles plus tard sans qu’aucun fil chronologique ne le relie au précédent. D’autre part, le monothéisme yahwiste ne s’enracine plus dans l’idéologie royale, mais est une réaction à la disparition de la royauté et à l’écroulement de la religion nationale traditionnelle. Il n’existe donc aucune relation de parenté entre les deux monothéismes. Selon l’égyptologue Jan Assmann, il n’y a aucun lien de causalité entre la révolution monothéiste d’Akhenaton et le monothéisme Yahwiste. » (p. 308) En outre, le monothéisme biblique n’est pas une doctrine : « il est pluriel et invite à une réflexion sur la relation difficile entre l’unicité et la diversité. » (p. 309)
L’avènement de la Torah et l’établissement du judaïsme en tant que « religion du livre » : C’est probablement entre 400 et 350 avant notre ère que les écrits sacerdotaux, le livre du deutéronome ainsi que d’autres traditions comme l’histoire de Joseph (Gen 37-50) furent réunis pour former le Pentateuque. » (p. 313) Mais à cette époque, les rouleaux prophétiques et l’histoire de la conquête jusqu’à l’exil babylonien (Josué, Juges, Samuel et Rois) sont exclus : d’une part parce qu’on se méfie des prophètes dont certains appellent la restauration davidique et d’autre part parce que les Samaritains y ont une place trop importante (Samuel et Rois notamment).
Yhwh, dieu unique, invisible, transcendant et universel : La reconstruction du temple a lieu au début de l’époque perse : l’édification d’une nouvelle statue de Yhwh a sans doute été débattue. (p. 315) En 63 avant notre ère, dans le temple de Jérusalem, Pompée découvre avec stupéfaction qu’il est vide, ce qui paraît une chose inconcevable. » (p. 316)
C’est la traduction du Pentateuque en grec qui a définitivement fait de Yhwh un dieu universel. […] Avec cette traduction, Yhwh plutôt kurios ou theos devient connu par le monde grec et devient définitivement le dieu universel : son culte se répand dans tout le bassin méditerranéen avec l’installation des juifs et des synagogues : il intrigue et attire de nombreux non-juifs. Ainsi Yhwh devient-il un dieu qui dépasse le cadre sémitique, alors que le judaïsme affirme jusqu’à aujourd’hui son lien particulier avec ce dieu. » (p. 317)