Elementor #1941

Ralentir ou périr de Timothée Parrique

On ne cesse de le répéter

« Les 10% des plus riches à l’échelle de la planète sont responsables de la moitié des émissions totales de gaz à effet de serre. » (10)

On critique la décroissance, mais qui interroge la croissance ? « Rares sont ceux qui savent non seulement ce qu’est la croissance et comment on la mesure, mais aussi les liens complexes qu’elle entretient avec la nature, l’emploi, l’innovation, la pauvreté et les inégalités, la dette publique, la cohésion sociale, et le bien-être. Née d’une notion comptable dans les années 1930 (le Produit National Brut), elle est devenue un mythe aux mille connotations. » (p. 13)

Visiblement, on ne sort pas de ce mythe de la croissance. Comme le fait remarquer T.P., « On imagine facilement notre planète dans toutes sortes de dystopies à la Black Mirror, mais imaginer une économie où l’on produit moins qu’aujourd’hui relève de l’hérésie. » (p. 13) et pourtant, la croissance et son impératif sont bien nés quelque part et répondait bien à une fonction claire : « relancer l’économie américaine après la Grande Dépression, produire les équipements nécessaires à la guerre, sortir de la famine, éradiquer la pauvreté, assumer le plein-emploi ou reconstruire l’Europe. » (p. 13)

Or notre défi est celui de la sobriété, de la frugalité, de la modération, et de la suffisance. (p. 14) La thèse du livre : «L’argument que je défendrai ici est que la croissance n’est pas une fatalité mais un choix ». (p. 15) ou encore « Imaginer la décroissance comme transition vers une économie de la post-croissance. » La décroissance vers la post-croissance : « une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance. » (p. 15)

En réalité, « c’est un triple défi qui nous attend : comprendre en quoi le modèle économique de la croissance est une impasse (le rejet), dessiner les contours d’une économie de la post-croissance (le projet), et concevoir la décroissance comme transition pour parvenir (le trajet). » (p. 15)

Que j’aime les annonces de plan !

  1. La vie secrète du PIB : entre phénomène et idéologie

Le PIB est une mesure insuffisante, et cela est désormais largement connu. Des conventions statistiques ordonnancent son calcul, conventions qui ont été révisées en 60, 64, 68, 93 et 2008 mais demeurent les mêmes pour ce qui nous intéresse. Le PIB est toujours « la somme des valeurs ajoutées brutes de toutes les unités institutionnelles résidentes qui exercent des activités de production. » (p. 25) Remarquons donc que « selon cette logique, et au grand effroi des écologistes, exterminer les derniers membres d’une espèce menacée pour les vendre et les manger dans un restaurant viendrait augmenter la « valeur ajoutée » au sein de l’économie. » (p. 31)

Et l’on peut noter deux types de croissance : « l’une basée sur l’expansion du périmètre de l’économie marchande et l’autre, sur l’intensification des types de transactions déjà existantes. » (p. 32)

« Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui est compté ne compte pas forcément. » (p. 18)

Examinons avec T.P. les trois principales sources de la valeur : le temps l’effort (donc l’énergie) et la matière.

Et si on divise toutes les activités économiques en 5 familles : l’extraction, la production, l’allocation, la consommation, et l’élimination.

En principe et partant de là, l’économie peut être conçue comme « l’organisation collective du contentement » L’économie devrait être une gestion du collectif vers davantage de bonheur…

L’économiste Manfred Max-Neef répertorie neuf types de besoin : subsistance, protection, affection, compréhension, participation, loisir, création, identité et liberté. Nous y subvenons grâce à 4 stratégies existentielles : l’être, l’avoir, le faire et l’interagir.

Notons que selon l’économiste Amartya Sen, la pauvreté est l’incapacité à satisfaire un besoin, et non pas simplement un manque d’argent… cela pousse à adopter une autre vision du monde.

L’économie peut donc être redéfinie comme « l’organisation sociale de la satiété des besoins ». (p. 22) et elle se comprend selon 3 horizons temporels : « le bien-être présent, la résilience de ce bien-être face aux chocs et la soutenabilité de ce système d’approvisionnement sur le long terme. Une économie qui satisfait les besoins d’aujourd’hui aux dépens des besoins futurs est une économie vouée à s’effondrer. » (p. 23) et ce, quel que soit le mode de production, local ou mondialisé, quel que soit le régime politique, communisme ou capitalisme…

L’histoire du PIB

On l’invente à la Grande Dépression des année 1930 aux Etats-Unis : Simon Kuznets, économiste russo-américain arrivé d’Union soviétique dix ans plus tôt, a l’idée « d’agréger toutes les productions d’une économie en un seul chiffre, le produit national brut. En 53, le PNB devient un indicateur international puis se transforme en PIB : de ce fait, seules les activités implantées en France, françaises ou non, participent au PIB français. Comment le calculer ? « La somme des valeurs ajoutées brutes de toutes les unités institutionnelles résidentes qui exercent des activités de production. » (p. 25) Quel type d’activité ? « une activité exercée sous le contrôle et la responsabilité d’une unité institutionnelle, qui met en œuvre des entrées (travail, capital, biens et services) dans le but de produire des sorties (biens ou services). »

Ce qu’on lui reproche : exterminer les derniers membres d’une espèce menacée pour les vendre et les manger dans un restaurant viendrait augmenter la valeur ajoutée au sein de l’économie : cela participerait à l’augmentation du PIB !! (p. 31)

La croissance : une question de taille et de vitesse

On pourrait voir deux types de croissance, l’une basée sur l’expansion du périmètre de l’économie marchande, l’autre sur l’intensification des types de transactions déjà existantes. (p. 32)

La première revient à faire passer dans le circuit économique, donc revient à créer une transaction grâce à une activité déjà effectuée. Je pêche un poisson pour le manger : zéro. Je pêche un poisson, je le vends et avec cet argent, j’en achète un autre pour le manger, là je participe de l’expansion.

La seconde consiste plutôt à changer de téléphone trop souvent ou à suivre la mode et donc, à générer une extraction des matières premières bien supérieure à ce qui serait nécessaire. (p. 34)

Les ingrédients de l’activité économique

Qu’utilise-t-on pour produire un bien ou un service ? soit des facteurs de production émergés : heures de travail des salariés rémunérés, électricité achetée par exemple ; soit immergés, comme la nature, les connaissances et les institutions, par exemple.

Or certains économistes, comme Robert Solow, à force de formaliser en chiffres, entrées et sorties, en arrivent à dire de telles absurdités : « le monde peut en fait se passer des ressources naturelles ». (p. 37) Incroyable, mais vrai. Autre facteur dont on ne peut se passer : le travail humain. Puisque le travail des machines, puise également dans les ressources naturelles !

« En résumé (p. 42), nous confondons deux types de progrès. Il y a d’un côté un progrès anthropologique qui permet de mieux satisfaire des besoins avec moins de ressources, qui s’apparente à un progrès économique, dans le sens de l’objectif originel de l’économie (contenter de la matière la plus parcimonieuse possible, la parcimonie prenant ici la forme d’une baisse des volumes de production). L’autre type de progrès (le « progrès technique » des économistes) ne prend en compte que les valeurs monétaires, donnant alors l’illusion comptable d’un enrichissement, alors que souvent, cette meilleure productivité ne reflète que la transformation d’une richesse sociale et/ou écologique en richesse financière. »

L’idéologie de la croissance

Une fois celle-ci imprimée dans les esprits, il devient bien difficile de s’en départir et TP l’exprime bien : « l’habitus de la croissance devient sens commun dans une société où tout le monde porte les lunettes du capital et où le principe de rentabilité s’institutionnalise comme une éthique. « Dans une économie capitaliste, il sera bien difficile de ne pas agir en homo oeconomicus, de ne pas calculer, de ne pas rationaliser et de ne pas participer, d’une façon ou d’une autre, à la course au profit, tant les structures, infrastructures et institutions qui nous entourent sont faites pour cela. »

Pour conclure, « l’idéologie de la croissance exponentielle et perpétuelle est une anomalie sociohistorique. La croissance est l’exception, et non la règle. L’expérience humaine, qu’elle soit biologique, psychologique, ou sociologique, est une expérience des limites et de la finitude. […] En pleine crise écologique et devant l’impératif de réduction de notre consommation de ressources naturelles, ce « mal infini » dont parlait Durkheim est un fléau. » (p. 52)

  1. L’impossible découplage / la transition énergétique et le recyclage, de fausses solutions

Dans ce chapitre, TP montre comment le découplage de l’économie et de l’écologie est impossible ; à savoir comment développer la première sans détruire la seconde ? La thèse de TP dans ces pages : « l’impression d’un découplage significatif du PIB et de la charge écologique est une illusion, et cela pour au moins cinq raisons : on ne parle que de carbone ; on ne comptabilise pas les importations ; le découplage n’est souvent que temporaire ; les ordres de grandeur sont loin d’être suffisants ; et on ne prend pas en compte le fait que ce verdissement est partiellement expliqué par les faibles taux de croissance du PIB. » (p. 57) à la suite de ces arguments, TP expose plusieurs limites au découplage.

Il faut de l’énergie pour avoir de l’énergie ! L’outil EROI permet de calculer le taux de retour énergétique (Energy Return on Energy Invested ou EROI), soit le rapport entre la quantité d’énergie rendue disponible et la quantité d’énergie qui doit être dépensée pour l’extraire. Par exemple, un EROI de 10/1 pour le pétrole signifie qu’il faut brûler un baril de pétrole pour en extraire dix autres. Et oui, car il faut de l’énergie pour avoir de l’énergie ! Et depuis quelques trente ans, le taux de retour énergétique ne fait que baisser, ce qui est logique : les ressources ne sont pas illimitées et deviennent même de plus en plus difficiles à obtenir ! (p. 71)

L’efficacité énergétique ne nous a conduits qu’à consommer davantage, jusque-là en tout cas. « C’est le « paradoxe de Jevons », du nom de l’économiste britannique William Stanley Jevons qui, au XIXè, démontra que l’amélioration des rendements des machines à vapeur s’était suivie non pas d’une baisse, mais d’une augmentation de la consommation totale de charbon. » (p. 72) C’est le fameux effet rebond !

Même si en apparence, le secteur industriel est beaucoup plus émetteur que le secteur tertiaire, ce dernier n’est pas sans empreinte, et la fameuse dématérialisation n’existe pas vraiment, d’autant moins que nous avons nos ordinateurs, tablettes, internet et téléphone. « Les technologies de l’information et de la communication émettent 830 millions de tonnes de CO2 chaque année à l’échelle de la planète, soit 4% des émissions mondiales en 2020. » (p. 77) et on nous promet des hausses jusqu’à cinq fois plus d’ici 2030.

Le fameux recyclage, qu’est-on vraiment en droit d’en attendre ?

  1. Tous les déchets ne peuvent pas être recyclés : « sur les 100 milliards de tonnes de ressources extraites chaque année, 37 milliards sont irrécupérables. » Parfois, le recyclage est trop complexe. « Sur les 130 milliards de tonnes de plastiques de déchets plastiques en 2019, 35% furent brûlés, 31% enfouis en décharge et 19% rejetés directement en pleine nature. » (p. 81)
  2. Une économie strictement circulaire est vouée à décroître. « dans une économie qui utilise de plus en plus de ressources, la quantité de matériaux utilisés qui peut être recyclée sera toujours inférieure à la quantité de matériaux nécessaire pour produire plus, même si on pouvait recycler 100% des déchets sans utiliser la moindre énergie. » (p. 82)
  3. On ne peut évidemment pas recycler à l’infini. « le recyclage d’une tonne de ferraille permet d’éviter l’équivalent de 57% des émissions de CO2 nécessaires à la production d’une tonne d’acier primaire. » (p. 83) Les bouteilles en plastique deviennent des vêtements, le papier ne peut être recyclé que 6 fois grand maximum. Au-delà, les fibres ne tiennent plus.

2020, l’économie mondiale a consommé 100,6 Gt de ressources naturelles :

  • 50,8 Gt de minerais
  • 10,1 Gt de métaux
  • 15,1 Gt de combustibles fossiles
  • 24Gt de biomasse.

De cet ensemble,

  • 37Gt finissent en déchets irrécupérables car dispersés dans l’environnement
  • 32,6 sont stockés dans les bâtiments et voitures
  • 32,6Gt sont jetées

La majeure partie, 74%, n’est pas recyclée ! Seuls 8,6Gt de matériaux pourront être utilisés l’année suivante.

  1. Marché contre société / la marchandisation fausse les rapports

Le temps de travail d’un humain n’est pas infini. « Avec 30 millions de personnes actives, et en enlevant 8h de sommeil quotidien et les jours de repos, la force de travail théorique est de 145 milliards d’heures par an. » (p. 96) Compte-tenu de cela, est-ce que le progrès technique nous fait gagner du temps ? Tout est une question de calcul : « Dans les années 1970, Jean-Pierre Dupuy, ingénieur polytechnicien, affirmait selon cette logique que « la vitesse généralisée de l’automobile [estimée à 16km/H] est, en général, inférieure à celle de la bicyclette : il faut en fait compter tout le temps d’extraction, de transport, de fabrication ; il faudrait calculer l’empreinte temps. (p. 100)

« Quand on entend « croissance » d’une économie développée, il ne faut pas penser à l’apparition miraculeuse de richesse, mais plutôt à l’augmentation de quelque chose au prix de la réduction d’une autre ». (p. 102) Voilà qui prête à méditer !

TP donne l’exemple d’une crèche organisée collectivement et gratuitement par les parents d’un même quartier. Cela aura pris du temps d’organisation, aura généré des liens, et ne fonctionnera que sur une base d’une dizaine de personnes impliquées. Si peu à peu ces mêmes personnes se tournent vers un service payant, la crèche gratuite ne pourra plus fonctionner. Mais le PIB croîtra et participera de la croissance économique. Peut-être sera-ce cependant un peu triste (p. 105) « Cette idée sera reprise par Herman Daly évoquant une « croissance antiéconomique » par Jan Drewnowski avec l’image d’une « ligne d’affluence » à ne pas dépasser, et par Manfred Max-Neff et son « hypothèse du seuil » à partir duquel s’efforcer de croître devient contre-productif comme stratégie de développement. Selon ces auteurs, la prospérité ne serait pas une histoire de croissance infinie (d’accumulation), mais plutôt de taille optimale (de suffisance). » (p. 106)

Mais en fait, qu’est-ce qui est susceptible d’être marchandisé ?? « quelque chose qui n’est pas comparable, mesurable, commensurable et appropriable ne peut pas être échangé sur ce marché ». (p. 109) Pire, ce qui peut finalement être vendu perd de sa valeur. Un ami qu’on paierait pour être le nôtre n’aurait sans doute pas le même attrait qu’un ami authentique. On pourrait ici entrer dans le détail des mécanismes de l’amour ou de l’amitié, et ce qui les rend si estimable, et questionner à l’infini leurs véritables motifs. Pour approfondir ce sujet, TP cite l’ouvrage de Karl Polanyi « The Great Transformation ». (p. 113)

Marcel Mauss dans son Essai sur le don évoque également l’exactitude et surtout l’immédiateté de l’échange marchand, la monnaie permet de différer et de rendre anonyme la dette ; or « c’est l’impossibilité de rembourser immédiatement et exactement ce que l’on doit qui fait vivre le lien social. » (p. 115)

  1. Fausses promesses / le ruissellement n’existe pas – ou plus !

Est-ce que la croissance va éradiquer la pauvreté ? « des années 1960 au milieu des années 1970 se forme un surplus macroéconomique représentant près de la moitié du revenu total. En 2013, ce surplus a atteint 42% du revenu national, soit environ 900 milliards d’euros et l’ordre de grandeur a peu varié depuis (le surplus était de 44% en 2021 selon les dernières estimations de Pierre Concialdi). Ce chiffre est extrêmement précieux : il montre qu’il est théoriquement possible que tout le monde vive décemment, nous avons assez de richesses pour cela. Par conséquent, la croissance économique n’est plus une condition nécessaire pour éradiquer la pauvreté en France. » (p. 121)

Alors que faire ? TP propose une meilleure répartition de la valeur ajoutée, bien sûr, une généralisation des services de l’état, comme la gratuité des premiers mètres cubes d’eau et d’une quantité minimale d’électricité ; et le tout gratuit des transports locaux ; comme c’est le cas à Dunkerque ainsi que dans plus d’une soixantaine d’autres villes en France. » (p. 123)

Et j’entends déjà les grincheux dire « ah oui bah c’est qui qui paye alors ??? » et bien c’est toi ! Donc prends ton bus que tu paies plutôt que ta voiture, hein !!

Le problème des inégalités, c’est qu’elles s’auto-amplifient : « la richesse ne ruisselle pas vers le bas, on aurait très bien pu se passer de 21% de la croissance depuis les années 1980 (cette partie de la croissance des revenus qui a été captée par ceux qui étaient déjà riches.) » (p. 128)

Si l’on veut créer de l’emploi, on peut produire davantage, mais on vient de voir que ce sera difficile. On peut aussi travailler plus lentement ou moins longtemps. On peut également supprimer les métiers inutiles ou bull shit job… or « c’est souvent le contraire, les emplois les plus utiles du point de vue des besoins – les aides-soignants (salaire mensuel brut 2292 €), les gendarmes, les enseignants, les éboueurs sont moins bien payés que les agents immobiliers, les courtiers et les employés de cabinets de conseil ou les banquiers d’investissement. (p. 134)

Mais en fait, TP propose qu’on sorte le travail de sa marchandisation : il s’agit d’une activité bien trop centrale pour la survie du groupe pour être soumise aux lois du marché. (p. 137) – et c’est un peu la proposition de Bernard Friot.

D’autant que courir après le PIB ne rend pas les gens plus heureux : « Dans un article de 1974, Easterlin présentait une trentaine d’enquêtes menées dans dix-neuf pays différents sur le lien entre PIB et bonheur. Résultat : bien qu’il existe une corrélation positive entre les deux variables, ce lien s’estompe après un certain niveau de revenus par habitant. D’où les références aujourd’hui au « paradoxe d’Easterlin », cette situation où les sociétés continuent de s’enrichir sans pour autant augmenter leur bien-être. ».(p. 144)  Ces sociétés où on prend des anti-dépresseurs… pire :

« Une infirmière australienne en soins palliatifs a catalogué les cinq regrets les plus fréquents chez les mourants : n’avoir pas suivi ses rêves, avoir trop travaillé, n’avoir pas eu le courage d’exprimer ses sentiments, n’avoir pas assez de temps avec ses amis, et ne pas s’être donné l’opportunité d’être heureux. Personne ne regrettera sur son lit de mort de n’avoir pas assez contribué au PIB. » (p. 145)

Plus un pays est égalitaire, moins il y a de violences, de vols, de délinquance. Selon l’épidémiologiste Richard Wilkinson, « si le Royaume-Uni venait à réduire de moitié les inégalités de revenus, le pays pourrait diviser par deux ses taux de criminalité et d’obésité, se débarrasser de deux tiers des maladies mentales, réduire l’emprisonnement et les grossesses des adolescentes de 80% et augmenter le niveau de confiance de 85% – et tout ça sans croissance du revenu national. » (p. 146)

Petite histoire de la décroissance

Quand on s’oppose avec véhémence à la décroissance, on est souvent loin d’imaginer ce que le terme recouvre et quel chemin la notion a déjà parcouru et qui commence au moins dans les années 60. (p. 155) Les années 70 si fertiles en révolutions en tout genre, parfois avortées, avaient porté la notion d’objecteur de croissance et c’est ce qui évolue vers la décroissance ou la post-croissance des années 2000. Même si on trouve des mentions de la décroissance au début du XXè, le célèbre The Limits to Growth, 12 millions de ventes et traduit en 37 langues, marque une étape. TP fait l’inventaire de tous les travaux à ce sujet. Le premier livre prônant véritablement la décroissance sort en 2003 : Objectif décroissance. Vers une société harmonieuse. (p. 167)

La question intéressante que la réflexion soulève est celle du lien entre croissance et bien-être. « c’est donc à la décroissance qu’il faut travailler : à une société fondée sur la qualité plutôt que la quantité, sur la coopération plutôt que la compétition, à une humanité libérée de l’économisme se donnant la justice sociale comme objectif. » (p. 167) On parle désormais de décroissance soutenable, d’un au-delà de la croissance, les mouvements politiques s’en emparent, les intellectuels et chercheurs également, deux penseurs notamment : Serge Latouche et Paul Ariès. En 2005, ce dernier publie Décroissance ou Barbarie (p. 169) : il parle d’une décroissance équitable, liant écologie et lutte contre les inégalités. Il la décompose en treize chantiers : détruire l’idéologie du progrès, celle du consumérisme, et celle du travaillisme ; relocaliser, organiser la gratuite des biens essentiels, respecter la nature, retrouver un mode de vie authentique, en lien avec le corps, le temps, et l’espace ; garantir d’autonomie, resymboliser la société et développer le mouvement pour la décroissance. Serge Latouche le suit en 2006 avec Le Pari de la décroissance : réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, et recycler, et tout le programme assorti.

Le sujet est vivace en France ; les publications se multiplient, les cours émergent : le premier à Sciences Po Paris, d’autres universités européennes suivent. TP a recensé 112 mémoires et thèses sur le sujet. Les ouvrages sont désormais nombreux ; Serge Latouche signe même un QSJ mais TP nous conseille The Future is Degrowth : a guide to a world beyond Capitalism – 2022 – qui propose une revue conceptuelle presque complète de la notion, géographique et historique.

Quand on voit tout ce travail, on se demande bien qui n’est pas encore convaincu. L’idée a même fait des petits : on parle de société mature, de post-croissance ou encore une société du Bien Vivre (p. 179) mais les politiques ne suivent pas. Il semble encore bien difficile de défendre la décroissance comme programme politique tant sa compréhension demeure approximative et caricaturale pour la majorité des citoyens.

La décroissance pourrait être définie comme la réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être. (p. 219) : comment y parvenir ?

Un chemin de transition

TP propose des pistes : organiser un ralentissement, interdire la publicité pour les objets trop polluants. Une stratégie politique de décroissance pourrait être 1. Alléger l’empreinte écologique 2. De manière démocratique 3. Dans un esprit de justice sociale et 4. Dans le souci du bien-être.

« Le défi est d’organiser une décroissance coordonnée où moins consommer incite à moins produire, et vice versa. » (p. 201)

Les leviers sont l’interdiction, le rationnement et la fiscalité. (p 199) La transition doit être anticipée, organisée et choisie, sans quoi nous allons dans le mur. (p. 201) Seules trois issues sont possibles : récession, effondrement ou décroissance… à vous de choisir ! Il va falloir planifier, ce qui n’a rien d’extraordinaire : tout le monde planifie, même le néo-libéralisme. Et rappelons que la France peut se permettre de perdre des profits, mais pas de perdre sa biodiversité et ses éco-systèmes (p. 205). Les responsabilités peuvent être communes mais différenciées. « c’est une logique de « contraction et convergence » : décroissance pour les privilégiés (contraction), et croissance pour ceux qui en ont le plus besoin (la convergence). » (p. 207) « Les inégalités carbone ne sont plus (ou en tout cas moins) une question de divergence entre pays mais de divergence entre classes sociales. Aujourd’hui, les 10% les plus riches à l’échelle de la planète sont responsables de 47,6% des émissions totales soit 4 fois plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité. » (p. 208)

106 pays étudiés montrent que la qualité des services publics, la redistribution des revenus, et la démocratie dont des stratégies statistiquement plus efficaces pour améliorer le bien-être et bien moins intenses écologiquement que la croissance du PIB. (p. 213) Finalement, ce que nous devons faire pour survivre est également ce que nous devons faire pour être heureux. (p. 217) Oui, car la réduction et le ralentissement n’iront pas jusqu’à la disparition totale ! 😀

Un projet de société

Sous les 4 points cardinaux : soutenabilité, démocratie, justice, bienêtre

TP trace alors les grandes lignes d’une société à l’économie stationnaire, en harmonie avec la nature, où les décisions sont prises ensemble, et ce jusque dans les modèles entrepreneuriaux, et va même jusqu’à écrire : « pour aller plus vite, on pourrait dire qu’une bonne manière de démocratiser l’économie serait de transformer toutes les entreprises privées en coopératives. » (p. 231)

… et où les richesses seraient équitablement réparties afin de pouvoir prospérer sans croissance – vers un juste milieu, que les Suédois appellent Lagom. (p. 238)

Controverses : 12 critiques de la décroissance

On lui reproche d’être repoussante, douloureuse, inefficace, appauvrissante, égoïste, austéritaire, anti-capitaliste, anti-innovation, anti-entreprise, contre-nature, inacceptable, totalitaire… de la p. 241 à 268, TP répond à chacun de ces griefs avec chiffres et publication. J’en garde quelques extraits pour mémoire : douloureuse ? peut-être, parce que nous sommes aliénés… n’est-il pas tant de nous sevrer ? Quand le dernier arbre aura été coupé, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous découvrirez que l’argent ne se mange pas. (p. 251)

Egoïste ? « Les pauvres ne reçoivent que les miettes de la croissance. Dans l’étude « Growth isnt working », la New Economics Fondation a calculé qu’entre 1990 et 2001, pour 100$ de croissance du revenu global par personne, seulement 0,60$ allaient à ceux qui vivent avec moins de 1$ par jour. Dix ans plus tard, une nouvelle étude obtient le même résultat : entre 1999 et 2008, 95% de la croissance sont allés au 40% les plus riches et 1,2% au 30% les plus pauvres. » (p. 251) et ce n’est pas tout : le commerce international se fait actuellement au dépens des pays pauvres. (p. 252)

Pour Lordon, la décroissance n’est pas suffisamment anti-capitaliste : cependant en effet, le capitalisme n’est certes pas le seul responsable.

Totalitaire… n’est-ce pas ce qu’on peut dire de la publicité ? (p. 267)

En conclusion, déserter le capitalisme…

C’est le conseil ultime de TP

« l’absurdité de la situation ne manquera pas de consterner les générations futures qui se demanderont à bon droit comment nous en sommes venus à organiser la société autour d’un unique indicateur monétaire, de la même manière que nous nous moquons aujourd’hui de ces tribus qui faisaient des sacrifices pour influencer la météo. » (p. 270) Tout ce qu’on peut dire, c’est que le mouvement est déjà actif, que les nouveaux modèles et nouvelles économies fleurissent, que la transition et la transformation peut (peut-être) se passer des politiques… (p. 275)

 

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Publié par

laetitia

Autrice ! de formation en Lettres Classiques, Docteur en linguistique, prof de Français Lettres Classiques, actuellement d'expression écrite et orale. Je souhaite mettre à disposition de tous des cours, des avis et Compte-rendus de lecture, des extraits de mes romans, des articles de linguistique, des recherches en mythologie et religion… et les liens vers la chaine "La Boule Athée" que je co-créai avec mon ex- compagnon et ami.

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