Et si Pythagore avait gagné ?

D’essence divine, et même, de semence supérieure, il fit l’admiration de ses disciples qui, pendant des siècles et jusqu’à nous, dispensèrent sa parole et tout ça, sans écrire une ligne !! De qui s’agit-il ? de Pythagore ! Et si Pythagore avait gagné plutôt que d’autres ?

Pour commencer, nous serions devenus des scientistes avant l’heure, considérant qu’hors le nombre, il n’est rien de connaissable. Nous serions tous d’excellents mathématiciens, sans quoi nous aurions été bannis dans d’autres contrées barbares où les mathématiques n’avaient pas bonne presse… mais alors où ? car non seulement, les dits barbares adoraient les mathématiques ! Mais en sus, les pythagoriciens pensaient que même les barbares avaient une âme : elle était la manifestation de l’harmonie dans la nature, comprenez harmonie au sens d’équilibre entre le pair et l’impair, le limité et l’illimité… bref, les opposés.

En parlant d’opposés, on ne connaît pas de misogynie chez Pythagore. En effet, les femmes aussi ont une âme qui participe du nombre ! Alors si nous étions pythagoriciens et pythagoriciennes, peut-être que les femmes d’aujourd’hui ne se battraient pas pour leur droit : ce ne serait plus un sujet depuis longtemps.

Évidemment, le problème, ce sont les imbéciles fanatiques, comme toujours. Pythagore eut une femme, une disciple, pythonisse, prêtresse d’Apollon, Théanô, originaire de Crète. Ensemble, ils eurent un garçon, Télaugès et une fille, Mya (ou Arignotès, mais c’est assez moche comme prénom, donc optons pour Mya). Cette dernière se maria à Ménon de Crotone et vécut à Crotone (logique), où d’ailleurs son vénérable père vécut lui aussi vingt ans. Et là, ça déconne… les habitants de Crotone, déjà fascinés par la virginité apparemment, comme beaucoup à cette époque et dans le bassin méditerranéen (nous sommes au 6ème siècle avant J.-C., ça part donc de loin) appellent sa maison « sanctuaire de Déméter » (la déesse des moissons), sa rue l’avenue des Muses et elle, tenez-vous bien, la Vierge des vierges, mais aussi la Femme des femmes (mais pas une lesbienne !). C’est-à-dire qu’en vertu de sa vertu, elle était considérée comme plus vierge que les autres et plus femme que les autres. Je vous laisse méditer là-dessus.

Mais revenons aux nombres. Oui, tout le monde connaît le théorème de Pythagore, transmis par Euclide, qui le tient lui-même d’Eudème, qui lui-même prétend le tenir des pythagoriciens… oui, car Pythagore n’a rien écrit, rappelons-le. En revanche, Philolaos, un important pythagoricien et disciple aurait écrit, lui, 3 livres sur la doctrine pythagoricienne, que Platon aurait achetés. Pour se les procurer, il aurait même traversé la mer d’Athènes à l’Italie du sud où les pythagoriciens vivaient. C’est dire si c’était important, mais aussi connu ! Malheureusement, nous n’avons que des fragments des écrits de Philolaos, et nous n’accuserons pas Platon d’avoir voulu se débarrasser de penseurs qui lui auraient fait de l’ombre. Même s’il avait déjà essayé avec d’autres auteurs. Comme Démocrite. Mais chut !

La tradition se poursuit, Platon, Aristote, Aristoxène, un disciple péripatéticien, puis les compilateurs et historiens, néo-pythagoriciens qui proliférèrent comme beaucoup de sectes de toute part dans les quatre siècles autour de 0. Comme de juste, après 7 siècles environ, sans texte de référence fiable (oui, il y a les Vers d’or, dont on sait qu’ils sont parfaitement vérolés), on se souvient soudain de choses parfaitement folles. D’abord, le retour de la vierge, en la personne du nombre 7, ni engendré, ni engendrant, le nombre vierge lui-même et inconçu, parce qu’alliant en lui le pair et l’impair (oui, 3 + 4). Pourquoi 3 + 4, et non pas 3 + 2 ? Parce que si on additionne 1 + 2 + 3 + 4, cela fait 10, le nombre des nombres, la décade intemporelle ! Or 3 et 4 sont la fin de cette suite merveilleuse. Considérez un instant cette beauté. Je vous laisse méditer là-dessus.

Mais cette maîtrise un peu mystique des nombres viendrait des barbares d’Egypte, comme nous le savons tous. Les Égyptiens prétendaient tenir cette science d’Hermès, qu’ils appelaient Thot. Du coup, Pythagore, appelé ainsi parce que la Pythie, une autre prêtresse d’Apollon, avait révélé sa proche naissance à son père venu en consultation, Pythagore serait en réalité le fils d’Hermès ! d’où l’essence divine ! d’où la semence supérieure ! Et de cette ascendance divine, il aurait reçu une cuisse en or, le don d’ubiquité et le souvenir de ses vies antérieures (216 ans, mais n’est-ce pas le minimum pour cumuler le karma d’un Pythagore ?)

Mais après tout, si Pythagore avait gagné, nous trouverions beaucoup de gens pour croire en cette version fantastique des faits, n’est-ce pas ? De même que nous trouverions des gens qui suivraient les préceptes qu’on lui prêta pourtant 6 siècles après sa mort. La preuve : deux siècles seulement après sa mort, des philosophes comme Aristote et ses disciples mettaient déjà en garde contre le degré zéro de recul devant les us et préceptes prétendument pythagoriciens… nous avions déjà un schisme. Ainsi, certains croyaient que les fèves étaient vraiment interdites à la consommation et que Pythagore était végétarien, alors que d’autres se récriaient déjà contre cette fantaisie qui n’avait rien de pythagorique !! Certains croyaient que « Ne pas parler sans lumière » signifiait qu’il fallait se taire dans le noir, que « N’attise pas le feu avec un couteau » signifie que tu pourrais te brûler, imbécile ! que « Ne reste pas assis sur le boisseau » signifie qu’on doit plutôt se poser sur le canapé ou encore que « Ne reçois pas d’hirondelle à la maison » signifie qu’on ne doit pas faire ami-ami avec des oiseaux et encore moins les inviter à dîner.

OK Pythagore n’a pas été persécuté… c’est vrai, il est mort honoré et respecté. Y’a quand même une source qui en doute, mais on va l’étouffer. Cependant, ce fut l’enfer pour ses disciples lorsqu’il quitta, pour un voyage d’étude, sa terre d’élection, l’Italie du sud. Des jaloux, comme Cylon et ses hommes (on peut dire son nom, il ne risque plus rien) fomentèrent contre la secte. Cylon avait cherché à devenir pythagoricien… mais Pythagore lui-même le trouvait trop violent, tumultueux et autoritaire. De rage et de frustration, ses hommes et lui-même poursuivirent, notamment par des incendies, tous les pythagoriciens jusqu’au dernier. Deux réchappèrent et s’enfuirent dans leur ville d’origine, Tarente. Pythagore s’en fut à Métaponte où il finit ses jours. Y’a quand même une source qui prétend que le vénéré maître périt dans les flammes, mais on va l’étouffer. C’est ainsi que la ville de Crotone se trouva avec des fous-furieux à sa tête et périclita. D’ailleurs, qui connaît Crotone aujourd’hui ?

En effet, dans l’ensemble, les pythagoriciens occupaient des postes politiques plutôt importants et faisaient beaucoup pour leur collectivité. Même si Simos a essayé, le pauvre, d’effacer le nom de Pythagore sur une inscription murale, espérant par là s’arroger ses découvertes et son aura… même si Hippase aurait divulgué les secrets de la secte et, comme Judas, se serait ensuite suicidé, regrettant d’avoir tenté de nuire au maître suprême : il se noya. Et puis, comme tout bon politique, Pythagore lui-même fut critiqué. Hérodote, historien contemporain du maître suprême, prétendait qu’il avait tout copié sur les égyptiens. Encore mieux, Héraclite, philosophe contemporain du maître suprême dit (c’est ma préférée) :

« Un savoir universel n’instruit pas l’intellect, sinon il aurait instruit Hésiode et Pythagore »

Alors peut-on dire que le Maître – dont on ne devait pas prononcer le nom… ça vous rappele quelqu’un ? – a totalement échoué quand on enseigne encore son théorème ? 2600 ans de succès pour un morceau de sa doctrine, et quel morceau !! C’est pas si mal ?

Pour le reste des fantaisies qui entourent sa vie et sa doctrine, il fut balayé au début de notre ère par des choses beaucoup plus sérieuses. Je vous laisse méditer là-dessus.

Bientôt :  Et si Mithra avait gagné ? Et si Zarathoustra avait gagné ? Et si Ashera avait gagné (oui, la femme mise au placard de Yahvé) ? Et si Platon et sa République avaient gagné ?

Voir aussi : Et si Hermès Trismégiste avait gagné ?

 

 

Publié par

laetitia

Autrice ! de formation en Lettres Classiques, Docteur en linguistique, prof de Français Lettres Classiques, actuellement d'expression écrite et orale. Je souhaite mettre à disposition de tous des cours, des avis et Compte-rendus de lecture, des extraits de mes romans, des articles de linguistique, des recherches en mythologie et religion… et les liens vers la chaine "La Boule Athée" que je co-créai avec mon ex- compagnon et ami.

3 réflexions au sujet de « Et si Pythagore avait gagné ? »

  1. Du coup, je continue de laisser libre cours à mon péché mignon !

    S’il est avéré que le théorème dit de Pythagore était connu des Babyloniens, il n’est pas attesté que les Égyptiens l’aient connu. En revanche, on sait qu’il était connu dans d’autres aires d’habitation, par exemple en Inde et en Chine, qui l’avaient probablement découvert indépendamment.

    Par ailleurs, la première démonstration de ce théorème qui nous soit parvenue (d’autres ont pu éventuellement se perdre) est due à Euclide. S’il est probable que les Grecques en connaissaient une démonstration auparavant, on ne dispose pas d’élément permettant de l’attribuer à Pythagore.

    Du coup, on peut s’interroger de la raison pour laquelle on associe Pythagore à ce théorème, alors qu’il n’apparaît pas qu’il l’eût énoncé ni démontré et dans la mesure où ce théorème ne semble pas jouer un rôle si important dans sa doctrine.

    1. Pourquoi ? Parce que c’est Euclide qui l’attribue à Pythagore. Et notre géométrie euclidienne l’écoute… Tout le début de ma thèse est consacrée à tous les écrits de l’antiquité qui traitent de Pythagore, ce dernier ne nous ayant rien laissé. Les anciens s’en plaignaient déjà :
      « Ni Pythagore ni Socrate, pas plus qu’Arcésilas ou Carnéade, n’ont laissé d’ouvrage « écrit. » »
      Plutarque (De la fortune ou Vertu d’Alexandre, I, 4 : 328)
      On n’a que des on-dit de on-dit, du genre :
      « Pour Pythagore de Samos, fils de Mnésarchos, qui fut le premier à employer le terme de philosophie, les principes sont d’une part les nombres et leurs rapports, et d’autre part, les éléments composés des deux, qu’il appelle géométriques. »
      Aétius (Opinions, I, III, 8)
      ou encore :
      « Selon Philolaos, la géométrie est le principe et la patrie de toutes les sciences. »
      Plutarque (Propos de table, VIII, II, I, 718E)
      Moi, ce que j’adore… c’est quand je songe que 8 siècles après sa mort, Pythagore était considéré comme un demi-dieu, tandis que de son vivant, Héraclite (ici cité par Diogène Laërce) disait :
      « Un savoir universel n’instruit pas l’intellect,
      Sinon, il aurait instruit Hésiode et Pythagore,
      ainsi que Xénophane et Hécatée. »
      Diogène Laërce (Vies, IX, I)
      En tout cas, merci pour le commentaire ! C’était une fiction ! ^^^ 🙂 et je voudrais en écrire d’autres… et si Diogène le cynique avait gagné ?

      1. Bon, bien des jours plus tard … À ma décharge, je n’ai pas reçu de notification de réponse et le sujet n’était plus sur la page d’accueil, mais je m’égare.

        Cela dit, pour ma part je suis à peu près certain de ne pas avoir lu tous les écrits antiques concernant Pythagore qui nous soient parvenus. Par ailleurs, loin de moi l’idée de remettre en cause l’érudition de l’auteure. Enfin, j’avais bien compris que ce texte est une fiction.

        Cela dit, oui, Euclide attribue le théorème des triangles rectangles à Pythagore, mais ça n’éclaire pas les raisons qui l’ont conduit à lui attribuer ce théorème alors qu’il n’y a pas vraiment de raison de le faire. Probablement Euclide ne fait-il au moins en partie que reprendre une idée qui s’est installée avant lui.

        En définitive, ça entre en résonance avec une forme d’antienne chez moi, qui est de rappeler que la science est un travail collectif produit sur le long terme. Même dans les cas que l’on qualifie parfois, à mon sens à tort (http://le-bars.net/yoann/fr/2018/03/12/copernic-revolution-scientifique%e2%80%af/), de « révolution scientifique », on constate qu’il s’agit du résultat de longues maturations qui ne peuvent pas vraiment être réduites à la contribution d’une seule personne.

        En regard, je trouve intéressant de suivre comment on en arrive à ramener une avancée à une seule personne. Parfois, il y a une certaine consistance comme le cas de la relativité galiléenne (http://le-bars.net/yoann/fr/2015/09/15/tout-est-relatif-mon-cher-bruno%e2%80%af/), parfois pas vraiment, comme dans le cas du rasoir d’Ockham (http://le-bars.net/yoann/fr/2016/03/01/guillaume-avait-un-bon-rasoir%e2%80%af/). Dans le cas du théorème de Pythagore, en ce qui me concerne je n’ai pas réussi à recomposer le cheminement qui a conduit à lui attribuer, sachant donc que ce théorème n’a pas un rôle véritablement central dans sa doctrine.

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