La religion romaine

Par Jacqueline Champeaux, en Livre de poche / références, inédit.Histoire, 1998

La religion romaine, du VIIIè avjc à l’Empire chrétien, évolue et change, mais se caractérise par l’ajout de nouvelles croyances plutôt que par sa suppression, du moins jusqu’à l’installation du christianisme. 

Les origines : « D’abord religion d’une bourgade, de ces villages de pasteurs-agriculteurs installés sur les collines qui deviendront le territoire de l’URBS, puis religion de la Ville, d’une ville latine parmi d’autres. En ces temps reculés, la religion « romaine », celle de Rome au sens étroit, n’est qu’une variante de la religion latine, au sein de la communauté religieuse du Latium : religion semblable, pour l’essentiel, si ce n’est dans tous ses détails, à celle des villes voisines, Lavinium, Lanuvium, Tibur, Préneste, etc. Religion italique, si on la replace dans un ensemble plus vaste, apparentée à celle des peuples voisins, des Ombriens, par exemple dont la hiérarchie divine, les rites sacrificiels, la divination offrent tant de points communs avec ceux de leurs « cousins » de Rome et du Latium. » (p. 9)

La conquête romaine apporte néanmoins une certaine uniformisation. 

Chapitre I : Permanences du sacré

L’esprit de la religion romaine. Quelques notions fondamentales.

« Le Romain est un homme pieux » (p. 11) et la pietas est une notion très importante. « Respect des devoirs à l’égard d’autrui, reconnaissance des justes hiérarchies qui structurent le monde, elle dicte à l’homme son comportement à l’égard de ses parents, de sa patrie, de ses dieux : bref, des valeurs les plus sacrées. » (p. 11)

La piété se nourrit de religio, mais que faut-il entendre par là ?

« D’un point de vue sémantique, c’est, fondamentalement, le « scrupule » en matière de religion, la « crainte » des puissances surnaturelles, coloration négative, qui révèle, plus que toute autre, les dominantes d’une mentalité religieuse. » (p. 13) Cicéron rattache religio à relegere, qui signifie « passer et repasser », en un perpétuel recommencement qui n’est autre que la « maladie du scrupule ». (p. 14)

Le sacrum, fort difficile à définir, mais qui contient le sacré, « le mystère qui fait frissonner », « ce qui est « à part » du profane, l’ »intouchable », le tabou, ce qui exclut tout contact, car il frappe d’impureté, ce qu’on ne peut ni toucher, ni regarder en face. » (p. 14) C’est à la fois l’auguste et le maudit. (p. 14) et sa rencontre provoque l’horror, c’est-à-dire le frisson sacré.

La conscience romaine est hantée de tabous et d’interdits, de ce qui est nefas, par opposition à ce qui est fas. Est nefas tout ce qui enfreint la loi divine (p. 15). Il est très facile et rapide de provoquer la colère des dieux, pensent les Romains. « Plus qu’une religion de la peur, la religion romaine est une religion de la crainte : l’anxiété dont tremble le fidèle en présence du sacré, la révérence que lui inspire la toute-puissance des dieux n’excluent pas qu’il espère leur bienveillance et attende leurs faveurs. » (p. 17)

Les sources

Nous possédons des sources littéraires, poétiques, historiques, mais également archéologiques. Mais pas plus que la religion grecque, la religion romaine n’est une religion révélée. Il n’y a donc pas de texte sacré. Varron, Ovide, Cicéron sont néanmoins des auteurs qui nous aident à la comprendre.

II. La Rome archaïque, ses dieux, ses prêtres, ses rites

Comme la langue, la religion témoigne sans doute de l’héritage indo-européen, tel que défini par G. Dumézil. Les indo-européens qui se seraient installés dans la péninsule au cours du IIème millénaire se sont certainement mêlés aux peuples autochtones. (p. 21)

« G. Dumézil a montré que l’idéologie des peuples d’origines indo-européenne, leur conception de la société des hommes et du monde des dieux, étaient fondées sur une tripartition fonctionnelle : fonction de souveraineté (sacerdotale), elle-même bipartie, magique et juridique ; de force guerrière ; de fécondité ou, pour préciser cette expression si générale, de production-reproduction. Les dieux majeurs de la plus ancienne Rome Jupiter, Mars, Quirinus, […] relèvent de cette structure trifonctionnelle. » (p. 22)

On retrouve cette structure dans la succession des rois légendaires, Romulus (le guerrier), Numa (le pieux), Ancus Marcius (promotteur de la vie économique). Quirinus, cependant, ne colle pas parfaitement à cette tripartition dumézilienne. (p. 25)

Quelques déesses… Junon, « la grande déesse des femmes, protectrice de la vie féminine sous tous ses aspects, physiologique et social, conjugal et maternel. » (p. 29) Cérès, dont le nom dérive de la même racine que crearecrescere, « faire naître, faire croître ». Vesta, la gardienne du feu, et ses vestales, est honorée dans un édifice rond, qui n’est pas un temple, mais plutôt une maison (p. 41) Enfin, Janus, qui serait peut-être l’un des dieux premiers de Rome, en tout cas le premier dans l’histoire (p. 42). 

Ces dieux ne sont pas, à l’origine, reliés par une mythologie, contrairement à ce que l’on trouve chez les Grecs.

La hiérarchie sacerdotale : prêtres et rituels

Au premier rang, on trouve le REX (roi) et la REGINA (reine) ; viennent ensuite les 15 flamines : chacun est attaché au culte d’un seul dieu ou déesse et tous sont d’origine patricienne. Le seul que nous connaissons bien, c’est le flamine dialis, le premier en dignité, le flamine de Jupiter. (p. 47-48)

Sous la République à son apogée, les flamines ne sont plus qu’un souvenir. On compte désormais sur les grands collèges sacerdotaux, pontifes, augures (p. 49).

Une exception notable, dans ces prêtrises de la vieille Rome, est représentée par les Vestales, seules prêtresses de plein droit, à la différence de la regina et des flamincae, qui n’exercent leur sacerdoce que dans la dépendance de leur mari. » (p. 50) Elles sont strictement vouées à la virginité et à leur rôle de maîtresse du foyer durant 30 ans, mais la fonction était tellement estimée que certaines Vestales le restaient toute leur vie.

Des fêtes sont dirigées par les prêtres ; les Lupercales, fête au cours de laquelle les prêtres nus couraient en fouettant tout et tous sur leur passage, en particulier les femmes infertiles. Purification ou fécondité ? On ne le sait pas. (p. 52) Les saliens, prêtres-guerriers, qui dansaient ; les Arvales, qui dansaient pour stimuler les forces telluriques et la fertilité agraire. (p. 55)

De la nature des dieux

« Liturgie de la guerre, liturgies de fécondité : telles sont, hormis le culte des dieux souverains, les dominantes de la religion romaine archaïque, à l’image de la société qui les met en œuvre et dont ce sont les deux activités essentielles. Comment faut-il se représenter la religion de ces proto-romains et quelle image eux-mêmes se faisaient-ils de leurs dieux ? Ce sont, d’abord, des dieux authentiques, masculins ou féminins, dei ou deae, et non de vagues forces surnaturelles, informes ou nébuleuses. » (p. 55) Un dieu a du numen, c’est-à-dire de la volonté, la puissance agissante de la divinité (p. 56). Mais « le Romain a peu d’imagination plastique. Il révère des dieux qu’il ne voit pas, mais dont il sent la puissance mystérieuse en des lieux « habités » de la nature. » (p. 58)

III. Premières novations : l’apport étrusque ; l’hellénisation

L’Étrurie est aux portes de Rome, plutôt dans l’actuelle Toscane ; les Grecs, par leurs anciennes colonies dans le sud de la Péninsule, installées avant même la fondation de Rome. Les apports et influences datent du VIè avjc. (p. 61-62)

L’influence étrusque

Elle a d’abord transformé l’apparence même de la ville, faisant passer le village d’origine en URBS, vrai centre urbain, où les constructions en matériaux périssables laissent la place à la pierre. « Rome commence, au VIè s avjc, à se couvrir de temples à l’étrusque. » Ceux du Forum Boarium, dédiés à Mater Matuta et à Fortuna ; le plus imposant de tous, le Capitole, en 509, puis ceux de Saturne (497), Mercure (495), Cérès (493), Castor (484). (p. 63)

Le Capitole : La construction du temple pour la triade capitoline, Jupiter-Junon-Minerve, fut l’œuvre continue de la dynastie étrusque, celle des Tarquins selon la légende. (p. 64) « C’est donc à la monarchie étrusque que Rome est redevable de ce qui sera l’expression la plus haute de sa religion d’État. » (p. 67) « L’ancienne religion romaine ne connaissait, nous l’avons vu, que des couples fonctionnels, associant le principe masculin et le principe féminin d’une même notion : ainsi Liber et Libera, sa parèdre. » (p. 65) Or, à l’extrême fin du VIè, Jupiter et Junon sont mari et femme, et on peut voir à travers eux Tin et Uni (panthéon étrusque) ou Zeus et Héra (panthéon grec).

Minerve, est-elle la fille du couple divin ? Non. Son nom est rattaché à la racine *men– (cf mens, « l’intelligence » ; le verbe memini, « j’ai dans l’esprit, je me souviens ») Elle est plutôt italique qu’étrusque. Elle est la déesse des métiers, de l’artisanat, « des activités intelligentes qui requièrent non seulement le travail de la main, mais celui de l’esprit, réflexion, savoir-faire, habileté et jugement, tout ce qui relève de ce que nous appelons aujourd’hui « technologie ». (p. 67) Elle correspond à Athéna Erganè, « l’ouvrière ».

Vertumne, Arcimboldo

On retrouvera Vertumne, le grand dieu fédéral de l’Étrurie, dieu du changement et de cycle saisonnier, devenu divinité mineure à Rome. Saturne, peut-être le Satres étrusque, identifié au Cronos grec.

Le rite de fondation d’une ville est d’origine étrusque, on dit même Etrusco ritu, « selon le rite étrusque » (qui peut toutefois, aux données proprement étrusques, avoir intégré des traditions italiques préexistantes) (p. 69) Il s’agit principalement de creuser une fosse tout autour du futur emplacement de la ville.

Mais « l’apport le plus sûr, le plus continûment vivant, d’une actualité permanente dans sa vie politique et religieuse, que Rome doit à l’Étrurie concerne une autre partie du sacré : la divination, l’observation des signes que les dieux envoient aux hommes pour leur faire connaître leur volonté. C’est là que triomphe le savoir religieux de l’Étrurie, ce qu’on nommait à Rome l’Etrusca disciplina, experte dans l’examen des entrailles sacrificielles, l’expiation des foudres, la conjuration des prodiges. » (p. 69)

L’hellénisation

L’hellénisation est plus complexe et plus longue. Les Tarquins auraient été expulsés en 509 ; le IIIè voit la fin de l’Étrurie indépendante, progressivement absorbée par Rome (p. 70) Dès la fin de l’époque royale, la religion romaine commence à s’helléniser.

L’hellénisation s’accomplit selon l’assimilation (dit interpretatio) et l’emprunt. (p. 70) La première fonctionne selon un système d’équivalence : les dieux latins conservent leur nom mais acquièrent la personnalité, l’iconographie, la mythologie grecque, notamment à travers leur fonction (Zeus-Jupiter / Arès-Mars / Héra-Junon). Cette tendance à l’assimilation est répandue dans le monde antique. 

C’est au contact des marchands et des marins grecs, débarquant au port de Rome que les Latins et Romains furent séduits par les dieux des Hellènes, plus beaux, plus pittoresques, plus attirants, plus héroïques, mais également plus anthropomorphiques. (p. 72)

Liber et Libéra

De nombreux changements surviennent au Vè. Cérès est associée à Liber-Libera. Puis à Liber, formant avec lui le couple qui gouverne l’ensemble de la fertilité végétale, elle les céréales et lui, la vigne. (p. 74) Cérès est assimilée à Déméter. « Elle est la déesse des mystères d’Éleusis, la mère douloureuse de Perséphone-Coré qui lui a été ravie […] Proserpine est la transposition latine de la Perséphone grecque. (p.74)

Mercure est également un dieu assimilé à Hermès. On le rapproche de merx, merces, dieu de l’échange commercial, de l’activité mercantile. C’est avec le temps qu’il se chargera d’autres valeurs plutôt grecques : dieu des voleurs, des voyageurs et psychopompe (qui « conduit les âmes ») (p. 76)

L’emprunt a permis d’élargir le panthéon romain : Castor, Apollon, Hercule, Esculape ; ils ont même conservé leur nom (p. 75) et ont été intégré de façon fort différente. « autant de divinités, autant de cas spécifiques. On reconnaît bien là le pragmatisme romain. Si ce n’est que, à la différence de l’interpretatio Graeca, phénomène insensible et diffus, l’intervention de l’État est évidemment requise pour l’adoption de ces cultes étrangers qui, désormais, vont être intégrés à la religion publique. […] Quatre divinités seulement : le bilan, quantitativement, n’est pas considérable. » (p. 81) et surtout aucune femme. Pourquoi ?

« La raison en est sans doute que la religion nationale était déjà abondamment pourvue, à Rome même et dans les villes voisines, de ces déesses, toutes plus ou moins accoucheuses, fécondantes, fertilisantes, mères secourables de leurs fidèles, et qu’elle n’avait nul besoin d’aller chercher si loin ce qu’elle trouvait sur place. » (p. 82)

Vénus est à mettre en relation avec le « charme » magico-religieux qui porte aux dieux la prière des hommes. Elle est « une déesse de propitiation, médiatrice entre les hommes et le plus grand des dieux. » (p. 87) La légende troyenne, du fondateur Énée, fils de Vénus-Aphrodite, en fera une déesse nationale : « Vénus, mère d’Énée, Mars, père de Romulus, s’unissent pour protéger la Ville dont ils sont les divinités tutélaires, et le père et la mère surnaturels. » (p. 88) Que Vénus ait commencé par être une notion, un simple nom commun, avant d’être divinisée, ne doit pas surprendre. Quantité d’autres divinités ont connu le même destin : ce sont les abstractions divinisées. La seule différence est que leur promotion fut loin d’être aussi éclatante et que, faute d’une homologue grecque aussi intensément vivante qu’Aphrodite, faute de légende troyenne, elles ne dépassèrent jamais le statut de notion abstraite, objet d’un culte, dotées d’un temple, mais sans substance personnelle. » (p. 88)

En 217, le lectisterne, les six lits de parade rassemblent : Jupiter & Junon, Neptune & Minerve Mars & Vénus, Apollon & Diane, Vulcain & Vesta, Mercure & Cérès. On peut noter quelques différences ou glissements d’avec la parade grecque. (p. 86)

IV – L’organisation de la vie religieuse

« La religion romaine est une religion d’État. La distinction fondamentale se fait, à Rome, entre sacra publica, « cultes publics », reconnus par le peuple romain, célébrés conjointement par ses magistrats et par ses prêtres, à ses frais et à ses intentions, et sacra privata, « cultes privés », laissés à la diligence des particuliers, mais contrôlés par l’appareil d’État. » (p. 91)

Les quatre grands collèges

Ils sont les pontifes, les augures, les décemvirs et les épulons.

Les pontifes et les augures sont les plus anciens. Les premiers font le lien entre les dieux et les hommes (p. 94) et les augures ont la charge des auspices. « Leur nom, augur, renvoie à tout un ensemble de notions dérivées de la racine *aug– : le verbe augere, « augmenter », le substantif auctoritas, l’adjectif augustus, qui deviendra le surnom du prince, le nom même de l’empereur. Toutes expriment une « majoration » de force sacrée, celle que donne l’observation des signes, par où se révèle la volonté favorable des dieux. » (p. 96)

Le calendrier

Il est sous l’autorité des pontifes et rythme la vie quotidienne des romains, de jours fastes (ceux où les activités publiques sont permises) et néfastes (ceux où elles ne le sont pas) (p. 99) ; notons que les jours dits nefas ne sont pas de mauvaise augure… mais simplement des jours que l’on doit chômer.

Plusieurs formes de calendrier se sont succédé ; le système, à la fois solaire et lunaire, est fort complexe. Revoyons d’où provient le nom de nos mois.

Mars, avril, mai, juin : « Les premiers mois de l’année portent des noms dérivés de ceux de divinités : Martius (de Mars), Aprilis, Maius (la déesse Maia ? divinité de la croissance, cf. le comparatif major, « plus grand »), Iunius (qui renvoie à Junon, Iuno). Aprilis, avril, faisait problème pour les anciens. Dérive-t-il du verbe aperire, « ouvrir » ? Tout s’ouvre avec le printemps… Les modernes penchent plutôt pour l’autre hypothèse : Aprilis est formé sur *Apru, nom étrusque de l’Aphrodite grecque. » (p. 101)

Juillet, avant de devenir le Iulius que l’on connaît, pour commémorer la naissance de César, était Quintilis, le cinquième.

Août, contraction de Auguste, en l’honneur de l’empereur, était avant cela Sextilis, le sixième.

De même, et tels que nous les connaissons, septembre, octobre, novembre, décembre, sont les septième, huitième, neuvième et dixième mois. (p. 101)

Janvier, c’est le mois de Janus, cet ancien dieu romain qui préside au commencement. Quant à février, il est à rapprocher de februa, ingrédients et instruments de purification : « il faut en février, éliminer les souillures de la vieille année, pour recommencer, purifié, un nouveau cycle annuel le 1er mars. » (p. 102)

En instaurant des fêtes liées à des cultes, le calendrier inaugure des cycles : « On reconnaît dans le plus ancien calendrier des cycles fériaux nettement structurés, qui définissent avec clarté les finalités majeures de la religion archaïque. Ce sont ses préoccupations permanentes : la guerre, les champs, les morts ; ses ennemis et ses alliés, visibles ou invisibles, les forces qui travaillent pour ou contre elle, à la surface de la terre ou dans ses profondeurs secrètes. » (p. 102)

Dans la Rome antique : on ne se marie pas en mai ! Avec février, il est un mois des morts. (p. 105) Voilà qui diffère considérablement de notre calendrier chrétien, où les morts sont en octobre et les mariages en mai, mois de Marie désormais.

Les actes du culte : prière, sacrifice, vœu

Le Temple, de même, n’a pas le même usage qu’une église. Il faut des autorisations spécifiques pour y pénétrer et il est considéré comme la demeure du dieu. En fait, « emplacement consacré, autel ou arbre saint, statue à peine dégrossie d’une divinité à l’image des petits paysans sacro-idylliques de la peinture romaine, suffisent à l’homme pieux pour exprimer sa religiosité. » (p. 108) Le temple est surélevé sur un podium, héritage étrusque, et comme les dieux protègent ce qu’ils voient, il est nécessaire qu’il soit le plus haut possible. (p. 109)

L’acte essentiel du culte reste le sacrifice, qui obéit à des règles très strictes. « Offrande des prémices, celles de la moisson, de la vendange ; de gâteaux ; libation de lait ou de vin » (p. 112) mais également, sacrifice d’animaux. Tout est codifié, on n’offre pas n’importe quelle offrande à n’importe quel dieu.

« De la bête sacrifiée, dépecée, on fait deux parts. Les entrailles (exta) sont examinées par l’haruspice qui y lit les signes de la volonté divine et, spécialement, que le sacrifice est accepté par la divinité. S’il est refusé, il faut le recommencer jusqu’à ce qu’on obtienne son agrément (litatio). » (p. 113)

« Pourquoi offrir des sacrifices ? Les dieux n’en ont nul besoin, diront les apologistes chrétiens ; et, avant eux, les pythagoriciens (végétariens) avaient stigmatisé l’horreur des sacrifices sanglants, de la souffrance infligée à des bêtes innocentes (Ovide, Métamorphoses, 15). Cette prise de conscience révèle une pensée évoluée. Dans une religion archaïque, qui ne conçoit pas ses divinités comme de purs esprits, il faut nourrir les dieux, ranimer périodiquement leur force vitale. » (p. 116) Y eut-il des sacrifices humains ? Probablement. Mais les témoignages écrits nous donnent plutôt l’impression qu’ils étaient jugés comme archaïques et barbares. (p. 116) L’un des sacrifices, le vœu, est une offrande différée : « énoncée par anticipation, elle est conditionnelle et fait l’objet d’un contrat, passé entre l’homme et la divinité. » (p. 117) : do ut des, je donne pour que tu donnes. (p. 118)

La divination

C’est l’interprétation des signes, qui permet de connaître les volontés divines. La grammaire des signes est fort complexe et nous peinons déjà à distinguer les présages et les prodiges : signes naturels, signes qui font violence au cours normal de la nature. (p. 119) Existe aussi l’omen, de l’ordre du fortuit et du verbal : paroles lancées au hasard, lapsus. (p. 119)

Les auspices sont procurés par les oiseaux dont ils tirent leur nom (avis, et specio, « observer »). Considérés comme des intermédiaires entre les dieux et les hommes, leurs vols, leurs chants ou cris peuvent être interprétés, en dehors de toute consultation spécifique comme par un augure qui, alors, délimite un champ visuel dans lequel les oiseaux passeront ; leur trajectoire sera interprétée. (p. 12à)

Si les Livres Sibyllins sont empruntés aux Grecs, les haruspices sont étrusques : « issus de l’aristocratie, ils sont les dépositaires de l’Etrusca disciplina, contenue dans les livres révélés de la nation. Ils sont des maîtres inégalés en trois domaines : la divination par les entrailles des victimes, les foudres, les prodiges. » (p. 123)

Les jeux

« Les jeux envahiront le férial officiel et l’emploi du temps du Romain, qui n’aspire plus qu’à deux biens, « du pain et des jeux au Cirque », panem et circensis, dit Juvénal (10, 81). Faut-il le croire ? Les calendriers sont un document plus sûr que les poètes satiriques : celui de 354 ne dénombre pas moins de 176 jours de jeux. D’autant qu’il faut compter avec le scrupule religieux du Romain : la moindre faute rituelle dans le déroulement des jeux, un insignifiant vice de forme, et toute la cérémonie est à recommencer. » (p. 130)

V. La maison et les morts, la religion de la famille

Il existe une zone médiane de cultes entre ceux privés et ceux publics et officiels. 

Les gentes, avant de presque disparaître à l’époque classique, avaient leur culte : le culte gentilice, rendu aux ancêtres des familles patriciennes de l’époque.

Mais bien sûr, les familles romaines, même non patriciennes, rencontraient plusieurs événements religieux durant leur vie : mariage, naissance ponctuaient de cérémonies la vie des gens. (p. 134) 

Les dieux de la maison

De trois sortes : Les Pénates, les Lares et les Genius.

Les Pénates : ils sont les protecteurs de la maison. A l’origine, comme l’indique l’étymologie, pce sont « les dieux du penus, de la réserve aux provisions, qui est la partie la plus reculée de la maison » (p. 138) C’est « une collectivité indistincte de dieux à la personnalité peu saisissable » (p. 138) Ils n’existent que dans la maison.

Les Lares

Les Lares sont plutôt « les protecteurs d’un espace, d’un terroir : leur regard est ouvert sur le monde extérieur : la maison au sens large, y compris les esclaves, le domaine rural, les quartiers et les carrefours, à la ville et aux champs. » (p. 139)

Les Genius : « tout homme a son genius », sorte d’ange-gardien du paganisme. Parfois serpent, parfois anthropomorphe.

Les morts

Les morts sont redoutables et ils sont craints. Les Larves sont les revenants malfaisants. (p. 141-142) Les mânesmanes signifie « bons » : « Mais ce nom est donné aux morts par antiphrase et par euphémisme, dans la crainte et pour tenter, par les vertus de la parole et du rite, de rendre « bons » ceux qui, par nature, ne peuvent être que mauvais. » (p. 143)

VI. L’âge des Lumières

Nous avons certains indices d’une perte de vitesse et de panache de la religion dans le 1er siècle av JC, avant qu’Auguste ne la restaure.

Quelques scandales, comme l’affaire des Bacchanales, en 186, où les pratiquants, accusés de toutes les ignominies, furent arrêtés, emprisonnés et parfois exécutés. Le culte demeura, bien sûr, puisqu’il était impensable d’interdire le culte d’un dieu, a fortiori celui de Dionysos, mai sous contrôle. Il est possible que derrière cette affaire se soit cachée une manœuvre plus politique qu’une réelle préoccupation religieuse. En effet, ce culte attirait les minorités opprimées, qui trouvaient là une occasion de se réunir. Par ailleurs, la répression de ce culte sous l’autorité d’une prêtresse campanienne pouvait être un règlement de compte envers les Campaniens, naguère traitres à Rome et alliés d’Hannibal. (p. 146)

Le premier des Flamines, celui de Jupiter, resta non remplacé pendant près de 70 ans ; Auguste décida de restaurer 82 temples ! Le désordre s’installe dans le calendrier. Bref, la religion n’était pas au mieux de sa forme. (p. 148-149)

Il faut ajouter à cela la critique acerbe des philosophes. Dans les milieux cultivés, on ne croit pas aux fables de la mythologie ; Cicéron en tête, la Nouvelle Académie incline au scepticisme. L’anthropomorphisme des dieux est particulièrement ridiculisé. 

« La négation que l’épicurisme oppose à la religion traditionnelle porte essentiellement sur deux points : l’au-delà ; l’intervention des dieux dans les affaires humaines. Il n’y a ni survie de l’âme, ni châtiments éternels : notre être meurt tout entier, corps et âme ; et nous n’avons à redouter aucun châtiment posthume, infligé par des dieux vengeurs. Les dieux existent, mais ils sont inactifs (thèse dangereuse : ne serait-ce pas un athéisme déguisé ?). Ils ne régissent ni la marche du monde, ni les affaires des hommes, mais vivent dans une absence de trouble (ataraxie), qui est la condition même de leur béatitude. » (p. 152)

Cicéron croit tout cela invraisemblable et se tourne plutôt vers les Stoïciens, leur croyance en la providence, qui fonde la divination. Les dieux sont pour eux des composants du monde, éléments primordiaux (terre, eau, air, éther) ou parties de l’univers. (p. 152)

Malgré tout, la religion d’État va perdurer et être rénovée sous Auguste. « Quelles que soient les spéculations des intellectuels, dont aucun ne nie l’existence des dieux – le débat ne porte que sur leur nature – les pratiques du culte, élaborées par les ancêtres dans leur sagesse, s’imposent à tous les citoyens. » (p. 153) Les propos du De natura deorum de Cicéron témoigne de cette tolérance. Une certitude cependant, c’est l’immortalité de l’âme, qui devient le sort possible de tout homme pieux. (p. 153)

En quête de renouveau

On note que Marius, par exemple, s’attachait les conseils d’une prophétesse syrienne, Martha. Sulla croyait aux songes et recevait les conseils de déesses d’Asie. Isis et Sérapis reçoivent aussi des cultes, à Pouzzoles et à Pompéï, dès la fin du IIème s avjc. « C’est une religion populaire au sens propre, de petites gens. Les autorités la pourchassent. Le Sénat fait raser ses sanctuaires : elle en avait jusque sur le Capitole, détruits en 58, 53, 50, 48. Rien n’y fit : la foi isiaque, qui les reconstruisait inlassablement, était plus forte que les interdits officiels. (p. 155)

Un essai de reconstruction : Varron

Varron

« Varron est né avant les guerres civiles. Il a vu les commencements du règne d’Auguste. Sa longue vie de presque nonagénaire lui a permis de traverser toutes les crises de la fin de la République et d’en souffrir. Il a tenté, avec les armes de la théologie, une reconstruction de la religion romaine, trop élitiste pour se diffuser au-delà d’un cercle étroit d’intellectuels et d’hommes de pouvoir, aristocrates ou chevaliers éclairés. » (p. 158) Mais grâce à lui, nous avons connaissance de pans entiers de la religion romaine. On y perçoit advenir la restauration augustéenne et l’apparition d’un syncrétisme, plus mystique et moins spéculatif qu’il le dépeint.

VII. La renaissance augustéenne

« Le fondateur de l’Empire, né en 63 avjc, mort en 14 apjc, a inscrit sa carrière sous le signe du sacré. Chaque étape de son ascension politique a reçu une sanction religieuse. Adopté par César, il est, dès l’époque triumvirale, Diui filius, « fils du Divinisé ». Seul maître du monde romain depuis la défaite d’Antoine et Cléopâtre à Actium, en 31, il reçoit, en 27, le surnom plus qu’humain d’Augustus. En 12, après avoir attendu patiemment la mort du grand pontife Lépide (l’ancien triumvir), il revêt enfin le grand pontificat. À sa mort, en 14 apjc, il est lui-même divinisé et devient le Divus Augustus. » (p. 159)

Octave Auguste

Auguste, pour Octave, appartient à la sphère religieuse, comme le nom de l’augure. « Il confère à la personne du prince consécration religieuse et valorisation spirituelle, il l’élève au-dessus des hommes et le rapproche des dieux, sans toutefois en faire l’un d’eux dès son vivant. Il exprime la sacralité du pouvoir impérial et le fonde en droit divin : à celui qui le porte, il confère, dit Auguste lui-même, une auctoritas sans égale en ce monde. Après lui, tous les empereurs le porteront, comme essentiel à leur majesté et à leur être, qui échappe à la condition mortelle. » (p. 159-160)

Octave-Auguste entama une grande campagne de restauration des temples et des sacerdoces (pp. 160 et alii). Il faisait l’objet d’un culte impérial, mais il ne faut pas oublier que dans toutes les civilisations antiques, le souverain avait une dimension sacrée. (p. 167) « La mort d’Auguste en août 14, ses funérailles solennelles, son apothéose inaugurent le cérémonial des divinisations impériales. » (p. 171)

VIII. L’appel de l’Orient

Les religions orientales ont exercé un grand attrait sur le monde grec, puis le monde romain, et ce dès le IIIè siècle avjc, pour ne prendre fin qu’avec le christianisme. (p. 175) Il en existait de nombreux, mais les principaux sont :

Cybèle et Attis

– le culte de Cybèle, la « Magna Mater », accueillie pour chasser Hannibal d’Italie, selon les préconisations des Livres Sibyllins. La déesse arriva donc de Phrygie, sous la forme d’une pierre noire, avec son amant infidèle Attis et « son cortège de prêtres eunuques, envoutés par la danse, le son des flûtes, des cymbales et des tambourins, s’automutilant à l’exemple mythique d’Attis. » (p. 177) bien sûr, un tel culte, si étrange, fut rapidement réglementé et codifé.

– le culte des dieux égyptiens : Isis, Sérapis ; plutôt suivi par les femmes.

– le culte de dieux syriens, amenés par les Syriens, marchands ; « les cultes sémitiques sont multiples et bariolés ». (p. 190)

Culte de Mithra

– le culte de Mithra, « Sol Invictus » ; ce Mithra iranien est sûrement un lointain descendant du Mitra indo-européen de la littérature védique. C’est un dieu des armées, proche du soleil, introduit en Asie mineure par les Perses. (p. 195) Plutôt suivi par les hommes. C’est Mithra qui, le 25 décembre, naît de la pierre, dans une grotte, comme la lumière jaillit du ciel. La liturgie mithriaque réactualise le mythe de la création. (p. 196) Bien plus tard, au IIIè s apjc, le 25 décembre devient le jour de la naissance de Sol Invictus. « Le nouveau culte, qui avait sa fête le 25 décembre, jour du Natalis Invicti, fut assuré par des pontifes du Soleil, calqués sur les Pontifes ancestraux de Rome, désormais appelés Pontifes de Vesta ». (p. 206)

Aurélien et le syncrétisme : au IIè et IIIè s apjc, Rome n’a pas abandonné sa religion officielle ; elle s’est simplement enrichie ou colorée d’autres cultes, côtoyés par l’astrologie et la magie. Cependant, le règne d’Aurélien unifie et hiérarchise ces croyances dans un hénothéisme nouveau : « Pour la pensée syncrétiste, les dieux se rejoignent tous. Dieux de peuples différents, de Rome, de la Grèce, des Égyptiens, ou, à l’intérieur d’une même religion nationale, dieux ou déesses particuliers : ce ne sont tous que des expressions différentes, formulées ou figurées, d’une même divinité, qui les comprend et les dépasse tous. » (p. 204)

Ainsi, Isis devient la mère de tous ; Aurélien s’associe, voire s’identifie à Sol Invictus et va faire du Soleil le dieu suprême de l’empire ; il voulut même substituer Sol à Jupiter. À travers cela, « il officialisait les principes de l’hénothéisme. Il faisait passer dans les réalités du néo-paganisme romain les spéculations mystico-philosophiques de la théologie solaire. » (p. 207)

IX. Épilogue – Dieu de Platon ? Dieu des chrétiens ?

La théologie solaire

Elle est née chez les philosophes néo-platoniciens, eux-mêmes venant de l’Orient, sur des antécédents occidentaux, pythagorico-stoïciens. Julien, au IVè, en 362, compose encore un discours Sur le Soleil Roi, pour la fête du 25 décembre. (p. 209)

L’histoire a retenu de cette période quelques noms, œuvres et personnages marquants.

Les Saturnales de Macrobe, néoplatonicien, représentant de l’aristocratie païenne.

Notons également Pretextat, l’une des hautes figures de l’aristocratie sénatoriale à la fin du IVè, avec un gros cumul des mandats ! Proconsul d’Achaïe, initié aux mystères de Dionysos et d’Éleusis, pontife de Vesta à Rome, augure, quindécemvir, pontife du Soleil, « taurobolié » de Cybèle, « nécore » de Sérapis, « père » dans la religion de Mithra… bref, il préside à tous les cultes, encore à plus de 70 ans, parfois accompagné de sa femme Pauline, isiaque également, qui s’imprègne de tous les mystères. (p. 211)

Symmaque est plus politique et moins mystique, pontife majeur. Ou encore Maxime de Madaure, qui écrit en 390 à Augustin : « Il n’existe qu’un dieu suprême et un, sans commencement. » (p. 212)

Bref, « le bouillonnement mystique et cultuel des religions orientales et de l’hénothéisme n’avait donc pas suffi à perpétuer une religion de moins en moins romaine, de plus en plus ouverte sur l’universel. » (p. 212)

La fin du paganisme

Avec quelques dates importantes…

313 : l’édit de Milan établit la paix de l’Église et accorde la liberté de culte aux chrétiens et à toutes les religions, à égalité.

Constantin Ier

331 : inventaire et confiscation des biens des temples, ce qui amoindrit le paganisme.

337 : Constantin, même converti au christianisme, ne refuse pas d’être pontifex maximus.

Mais c’est à partir de Gratien (367-383) que datent les mesures symboliques et décisives. Il refuse le pontificat. Il ôte aux sacerdoces les privilèges financiers (p. 214).

Gratien

On note cependant qu’en 354, les fêtes romaines traditionnelles ont lieu, comme d’habitude.

391-392 : Théodose interdit les sacrifices sanglants. Il interdit également le culte des Lares, des Pénates et Genius, pour protéger les enfants, selon le danger évoqué par Prudence dans son Contre Symmaque, d’être conditionnés au culte païen. (p. 215)

N’oublions pas non plus que l’appellation païen est donnée par le christianisme, pour désigner le monde des campagnes, où les pagani, les gens du village, pagus, deviendront les « païens » attardés. Les ploucs quoi ! (p. 214)

494 : les fêtes romaines sont supprimées. Les Lupercales remplacées par la Purification de la Vierge et le Natalis Invictis du 25 décembre par la commémoration de la naissance du Christ. On abat les temples, ou bien ils sont transformés en église.

« Telles sont les ultimes métamorphoses du paganisme, d’un paganisme non seulement romain, mais préromain, venu du fond des temps néolithiques. Les religions sont aussi mortelles. » (p. 216)

Publié par

laetitia

Autrice ! de formation en Lettres Classiques, Docteur en linguistique, prof de Français Lettres Classiques, actuellement d'expression écrite et orale. Je souhaite mettre à disposition de tous des cours, des avis et Compte-rendus de lecture, des extraits de mes romans, des articles de linguistique, des recherches en mythologie et religion… et les liens vers la chaine "La Boule Athée" que je co-créai avec mon ex- compagnon et ami.

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