Synthétiser 500 pages en une vingtaine de pages seulement ? C’est ce que je propose ici.
Pour ce faire, il a fallu tronquer, résumer, en modifier l’agencement global mais également, comme toujours élire les passages les plus intéressants, pour ne pas dire croustillants !
Résumé du tome 1
A vrai dire, le tome 1 du Coran des historiens, constitué de 3 tomes, s’étale déjà sur 1000 pages…
Voici le résumé du premier tome du « Coran des historiens »:
« La première [partie] est consacrée aux contextes historique et géographique du Coran et des débuts de l’Islam. Elle comprend quatre contributions, sur l’Arabie préislamique (Christian Robin), les relations entre Arabes et Persans (Samra Azarnouche), sur ce qu’on peut connaître ou ne pas connaître du Muhammad historique (Stephen Shoemaker) et des grandes conquêtes et de la naissance de l’empire arabe (Antoine Borrut). » (p.29)
Dans cette première synthèse, je me concentre sur la première moitié de ce tome, qui concerne principalement l’Arabie pré-islamique, les diverses croyances des habitants et comment elles ont influencé l’élaboration du Coran.
Avertissements méthodologiques
Attention !
Comme dans tout travail historique, les auteurs se doivent de citer leurs sources, mais également nous avertir de leur souci méthodologique. Le Coran des historiens comporte une introduction particulièrement éclairante à ce sujet :
« L’historien des religions est cet individu un peu étrange qui parle des religions au moyen d’un discours qui prend le contre-pied exact de ce que le discours religieux prétend être. » (p.31)
« […] la relation entre l’approche historique et l’approche confessionnelle est une relation asymétrique. En effet, le discours religieux – c’est vrai en tout cas pour le judaïsme, le christianisme et l’islam – prétend parler de choses éternelles et transcendantes avec une autorité transcendante et éternelle. Le discours historique, en revanche, parle de choses temporelles, humaines, terrestres, locales, contingentes, circonscrites ; et il en parle d’une voix faillible, révisable, partielle – bien que tirant son autorité en principe d’une pratique critique rigoureuse. » (p.31)
De même que dans les études liées au milieu biblique, on retrouve les mêmes familles :
– « les maximalistes supposent que l’histoire biblique (c’est-à-dire l’histoire telle qu’elle est racontée dans la Bible) est plus ou moins correcte, à moins que les archéologues ne prouvent le contraire (leur devise serait « l’absence de preuve n’est pas la preuve d’une absence ») ;
– les minimalistes jugent que l’histoire biblique, sauf si elle peut être confirmée de manière indépendante, doit être lue, non pas comme des narrations, certes embellies, mais pour l’essentielles fiables, mais comme des récits qui ont pour objectif de construire le passé en y projetant un certain nombre de stratégies de pouvoir et de savoir qui méritent d’être étudiées avec les outils de l’analyse critique du discours. » (p.23)
Les sources
Dans le texte même du Coran, il n’y a pas de repère historique : c’est un « texte sans contexte ». (p.55)
Très peu de sources ou d’inscriptions.
« À partir de 1977, toute une série de recherches ont tendu à démontrer que l’histoire des débuts de l’islam, racontée par la tradition savante arabo-musulmane, était une reconstruction tardive, éloignée de la vérité et même mensongère.
[…] On a remarqué aussi que le nom de Muhammad n’apparaissait pas dans les documents islamiques les plus anciens – inscriptions monumentales et rupestres, papyrus et monnaies – et que ses premières attestations remontaient à l’année 66H, soit près de 55 ans après sa mort. » (p.59)
D’après les recherches, il est possible que le Himyar ait dominé l’oasis de Yathrib, identifié comme Médine, et la région de La Mecque pendant la totalité du Vè et une partie du VIè, mais on ignore les modalités de cette domination. Quoi qu’il en soit, La Mecque et Médine étaient sous un empire juif, puis chrétien, qui permettait les échanges et la communication.
L’Arabie pré-islamique : Histoire des communautés religieuses dans l’antiquité tardive.
Introduction à la péninsule arabique antique
Géographie actuelle et antique
Un peu de géographie actuelle… Au sud de la péninsule arabique, on trouve le Yemen et l’Oman, en bordure de la mer d’Oman. Au centre ouest, près de la Mer Rouge, se trouvent la Mecque et Médine. Au centre est, on trouve les célèbres Qatar et Émirats arabes unis. Au nord, la Jordanie, Israël et Palestine, ainsi que l’Irak, qui occupe, avec Bagdad, la place de l’ancienne Mésopotamie – Sumer, Babylone… ça vous dit quelque chose.
A l’ouest, de l’autre côté de la mer Rouge, on trouve l’Égypte, le Soudan, l’Éthiopie. A l’est, de l’autre côté du golfe persique, c’est l’Iran, dont les ancêtres pourraient être les Mèdes, les Parthes, les Perses.
L’époque dont il sera question tout au long de cette synthèse se situe entre 1eret le VIIè siècle ap JC. On parle alors d’Arabie pré-islamique.
À cette époque, la péninsule arabique est divisée en trois parties. Au sud, actuels Yemen et Oman, se trouvent plusieurs royaumes dont des cités états et le royaume important d’Himyar. Au centre, des nomades et des sédentaires vivent dans l’orbite des royaumes du sud. C’est là que se trouvent la Mecque et Médine. Au Nord, une contrée sous l’influence des Perses et des Byzantins.
Les habitants de cette région sont de religions diverses ; cohabitent le judaïsme, le christianisme, le polythéisme et le zoroastrisme, en des proportions variables selon les endroits et les siècles.
Histoire du Moyen-Orient pré-islamique
« Du fait de leur situation géographique, les habitants du plateau iranien et ceux de l’Arabie ont établi des contacts plus ou moins étroits au moins depuis les trois premiers millénaires avant notre ère. L’Arabie étant la voie donnant accès à l’Égypte et à des comptoirs maritimes occidentaux, les conquérants perses ont très tôt noué des relations avec les dirigeants locaux. » (p.157)
Des guerres opposent ces peuples. Dans le milieu du premier millénaire av JC, Cambyse, Darius, Xerxès sont les rois perses qui s’en prennent aux rois arabes. Puis, les dynasties séleucides (hellénistiques), à partir du IVè siècle av JC, s’implantent dans l’Arabie du Nord. A leur suite, la dynastie des Sassanides dirigent la Perse, et ce jusqu’aux invasions musulmanes.
La dynastie sassanide fut puissante :
« Les Sassanides déploieront par la suite des moyens considérables pour s’établir sur les deux rives du Golfe et avoir le monopole absolu sur les routes maritimes et l’économie de la région. » (p. 160)
« […] Les campagnes de l’Arabie du Sud étaient accompagnées de l’installation durable des institutions administratives, juridiques et religieuses des Sassanides. » (p.168)
Cette dynastie nous a laissé beaucoup de témoignages, ainsi que des récits de bataille. Attardons-nous sur un petit détail amusant!
Voici ce qu’on peut lire dans le traité Provinces de l’Eranshar §50
[Eranshar ou Iranshar, autre nom pour Iran ou Perse]
« La capitale provinciale de Himyar fut fondée par Fredon, fils de Adwen [héros iranien connu pour avoir maîtrisé le dragon Azhi-Dahag et patronné la magie et la médecine]. » (p. 167)
Les Perses étaient des zoroastriens, des adeptes de la religion mazdéenne, réformée par Zarathustra, mais nous y reviendrons.
L’empire byzantin chrétien, un proche voisin
Au nord de l’empire Perse, un autre monstre se dresse. En voici une animation.
Il s’agit de l’empire Byzantin, très puissant, et dont on peut dire qu’il n’englobe pas le nord de l’Arabie de tout temps, mais dans les premiers siècles du premier millénaire ap JC. Cet empire, après les avoir tolérés à l’instar de l’empire romain, finit par chasser les païens, ou les mécréants et autres hérétiques – en tout cas, tous ceux qui défendent une autre vision religieuse que celle officielle de l’empire.
« La législation de Justinien au milieu du VIè siècle a mis fin à la tolérance réticente de l’empire envers eux, et le départ des philosophes païens d’Athènes vers la Perse sassanide après 529 symbolise cette clôture d’une époque. » (p. 333)
L’empire Byzantin nous fournit des témoignages sur la présence des autres religions, au nord de l’Arabie et dans ses environs. Les Juifs par exemple, qui étaient tolérés, étaient présents dans tout l’empire en raison de la diaspora. Au VIIè, ils sont sans doute plus nombreux que les païens (p. 335) Toutefois, « la liste des restrictions – interdiction de construire de nouvelles synagogues, exclusion de la fonction publique, valeur moindre du témoignage en justice, encouragement des conversions au christianisme, interdiction de l’apostasie en sens inverse, etc. – évoque bien des points du futur statut des dhimmien terre d’islam, qui a peut-être été inspiré par ce précédent. […] Les Juifs se retirent culturellement de la civilisation non-juive qui les entoure, en particulier en cessant peu à peu d’utiliser le grec comme langue littéraire et les traductions grecques de la Bible, pour un retour à l’hébreu. » (p. 336)
Après cet aperçu rapide des deux grandes puissances des premiers siècles du premier millénaire ap JC, nous allons pouvoir entrer dans notre synthèse.
Plan de la synthèse volet 1
Ci-dessous, un aperçu du plan d’ensemble de cette synthèse. J’ai choisi de regrouper les informations, longues et détaillées, concernant le contexte religieux du Coran, dans une longue première partie : les courants judéo-chrétiens, les chrétiens, le zoroastrisme perse et le judaïsme. Une deuxième partie est consacrée au contexte apocalyptique. Les textes apocalyptiques font partie des textes dits religieux, mais sont le plus souvent apocryphes chrétiens et/ou juifs, et se trouvent avoir influencé le texte coranique, notamment pour ce qui concerne l’eschatologie : la fin des temps, la vie après la mort, le jugement dernier etc. Pour finir, je présenterai le contexte juridique du Coran, qui n’est pas sans lien avec le contexte religieux présenté plus haut.
En souligné, tout au long de la synthèse, se trouvent les références explicites au Coran.
I. Le contexte religieux du Coran
Pour comprendre les enjeux du contexte dans lequel naquit la religion musulmane, il faut d’abord essayer d’en appréhender les grandes lignes.
Avant que les Arabes, animés par la nouvelle religion qu’est l’Islam, ne se lancent à la conquête du Moyen-Orient, puis de l’Occident, quels étaient les hommes qui habitaient ce territoire ?
Au VIIè, l’Empire chrétien, d’une part et d’autre de la Méditerranée, est divisé en deux. A l’ouest, c’est l’empire chrétien d’occident. A l’est, l’empire chrétien d’Orient, qui devient l’Empire Byzantin.
Le véritable et officiel schisme entre les églises d’Orient et d’Occident, de nature religieuse et se fondant sur des désaccords concernant le dogme chrétien, a lieu au IVè siècle.
Ce schisme n’apparaît pas du jour au lendemain. En effet, en même temps que naît christianisme, émergent de nombreuses interrogations quant à son dogme, en pleine formation. L’apparition de l’empire byzantin – ou Empire romain d’Orient – marque le début de la séparation. Constantin Ier, son initiateur, fonde la capitale Constantinople en 330 – c’est aujourd’hui Byzance ou Istanbul.
Petite anecdote amusante, Istanbul provient de la contraction du grec « eis tèn polèn », qui signifie « à la ville ». Ne riez pas : New York (« nouvelle ville ») porte le même nom de Naples (également « nouvelle ville »).
Pour la période pré-islamique qui nous intéresse, quelques siècles plus tard et jusqu’au VIIè siècle, retenons que s’installe au pouvoir une nouvelle dynastie, celle des Héraclides, qui règne de 610 à 711. Grâce à une rébellion d’Héraclius l’Ancien contre l’empereur Phocas, c’est son fils, Héraclius (Junior) qui devient empereur, en 610. Il engage alors une lutte à mort contre les Sassanides. Pour rappel, les Sassanides sont une dynastie perse qui règne sur le monde iranien du IIIè siècle jusqu’aux invasions musulmanes du VIIè.
Héraclius remporte la guerre contre les Sassanides ainsi que de nombreux territoires. Il conclut la paix avec les Perses. Néanmoins, cette guerre a affaibli la région et facilite l’invasion des Arabes, fraichement musulmans. Héraclius ler cède la Syrie, la Palestine et l’Égypte. L’empire d’Orient est ensuite attaqué par les Slaves, dans les Balkans.
Malgré cet ultime échec, Héraclius reste un modèle pour les futurs croisés. Même la tradition musulmane ne semble pas l’accabler bien qu’il fût un des premiers opposants notables à l’Islam.
Avec cette prépondérance de l’Empire Byzantin en Orient, on peut imaginer que se trouvaient de nombreux chrétiens au Moyen-Orient et jusque dans la péninsule arabique, voire en Égypte. A vrai dire, à cause des nombreuses guerres, c’est le cas, et c’est un peu le chaos.
« Dans cette ambiance de fin du monde, le fait qu’on pouvait s’attendre à tout, au moins pour un temps, a dû aussi faciliter paradoxalement la conquête arabe, et peut-être même des conversions à une nouvelle religion qui n’était pas toujours perçue comme fondamentalement différente, surtout dans les débuts. » (p. 356) En effet, les Sassanides avaient tout écrasé et conquis entre 611 et 619, de Constantinople à l’Egypte… et la contre-attaque de 626 menée par Héraclius entraîne la défaite perse en 628. « devant de tels coups de théâtre, les contemporains s’attendent à tout, en particulier à la fin du monde, et des scénarios apocalyptiques contradictoires circulent. » (p.350)
Ce qui semble distinguer un temps les groupes religieux, c’est apparemment leur position pour ou contre les Perses ou les Byzantins. « Il n’empêche que les Juifs sont pro-perses, et surtout réputés tels désormais par les chrétiens. » (p. 352). Les Juifs et les Chrétiens sont tour à tour persécutés, mais moins à cause de leur religion qu’en raison du soutien qu’ils apportent ou n’apportent pas aux empires dominants.
1. Les courants « judéo-chrétiens » et chrétiens orientaux de l’antiquité tardive.
Entrons dans le vif du sujet avec ceux qu’on appelle les Judéo-chrétiens, dont on dit parfois qu’ils auraient été les véritables et principaux ancêtres de l’Islam. Nous allons voir que ce n’est pas si simple.
[Comme c’est étonnant ! ^^]
En réalité, deux définitions du judéo-christianisme cohabitent : « Il y a le sens le plus commun, indiquant le patrimoine et les valeurs religieuses et culturelles provenant des deux traditions, juive et chrétienne, considérées dans leur ensemble. Mais il y a aussi un sens spécifique, ayant trait à la « doctrine professée, dans l’Église primitive, par les chrétiens d’origine juive, dont beaucoup jugeaient nécessaire de rester fidèles à la Loi moisaïque » (Larousse). » (p.429)
[loi mosaïque = loi de Moïse]
C’est dans ce dernier sens que nous allons parler de judéo-christianisme, en commençant par souligner le fait qu’il s’agit d’un concept des temps modernes qui recouvre en définitive de façon des réalités complexes et variées… grosso modo, il s’agit de juifs fraîchement convertis au christianisme et vivant en Orient.
D’où viennent-ils et qui sont-ils ?
Des chrétiens d’origine géographique galiléenne et judéenne, très tôt introduits dans un milieu hellénisé, se perdent dans l’histoire ; nous n’en avons plus aucune trace. Ont-ils été en contact avec Muhammad ? Nous ne le savons pas non plus.
On peut toutefois se représenter une église orientale bien différente de l’église occidentale.
« Les Égyptiens, mais aussi les Syriens, ont développé, avant toutes les autres églises, des formes parfois extrêmes d’ascèse et de monachisme, avec des anachorètes allant vivre dans le désert, voire dans des arbres (dendrites) ou sur le haut des colonnes (stylites). » (p.444)
C’est dans ce contexte, et suivant peut-être l’exemple de Paul de Tarse, que des croyants commencent à sanctifier les martyrs « se faire souffrir soi-même pour imiter le Christ, ce qui explique la frénésie dont certains ont fait preuve » (p.444)
Voici quelques exemples de mouvements dits judéo-chrétiens qui demeurent identifiables. Commençons par l’ébionisme et de l’alkasaïsme, « probablement des variantes d’un seul et même mouvement judéo-chrétien qui a fait son apparition vers la fin du IIè siècle dans un milieu de juifs convertis. » (p. 436), pour finir sur le mouvement plus extrême des encratites.
* Les ébionites
On les identifie aux chrétiens judaïsants. Le fondateur légendaire en serait Ebion. (p.433)
« Sur le plan doctrinal, les ébionites professaient le monothéisme absolu du Dieu d’Israël mais comme on le verra, ils n’étaient certainement pas les seuls à le faire. Le Christ occupe alors une place secondaire et subalterne : sans être Dieu lui-même, il aurait été à l’origine un simple être humain qui fut promu Messie au moment de son baptême. » (p. 434)
Leur évangile de référence est l’évangile apocryphe de saint Matthieu, sans doute remanié et interpolé par eux-mêmes. Le mouvement daterait de la fin du IIè mais « les ébionites ont dû se considérer comme les héritiers spirituels de la première communauté de Jérusalem, comme les vrais disciples de Jésus et de son frère Jacques : ils se sont créés une origine légendaire et antidatée en lien direct avec la Terre sainte, en faisant remonter leur communauté jusqu’à l’époque apostolique. » (p.437)
* Les elkasaïtes
Du nom du fondateur, Elkasai, personnage semi légendaire, qui « aurait reçu ses révélations pendant la troisième année du règne de Trajan (98-117) [ce qui] semble également un anachronisme car sa révélation ne fait son apparition à Rome qu’au début du IIIè siècle. […] Mouvement baptiste, les elkasaïtes observaient strictement la loi hébraïque ; ils dirigeaient leurs prières vers Jérusalem, comme le feront d’ailleurs les musulmans jusqu’à l’hégire.
Un des membres de la communauté a été Patteg, le père de Mani. » (p.435) – Mani étant le fondateur du Manichéisme, sur lequel nous reviendrons.
Dans le paysage de la communauté chrétienne syrienne, il semblerait que « les écrits pseudo-clémentins, ouvrage apocryphe attribué au troisième « pape » Clément de Rome » auraient influencé non seulement l’elkasaïsme mais également l’islam :
– la doctrine du Vrai Prophète, comme aboutissement de la révélation ;
– la doctrine de la falsification des écritures (qu’on retrouvera plus tard dans les griefs adressés aux juifs par les communautés chrétiennes et musulmanes)
– la description singulière de l’investiture du Prophète : Elkasai aurait reçu son livre d’un ange d’une taille gigantesque – comme le prophète Muhammad selon les biographies musulmanes comme celle d’Ibn Hisham. (p. 437)
* Le manichéisme
Qui était Mani ?
« Araméen de la Babylonie du Sud, alors province de l’Empire perse sassanide, Mani (216-274) appartenait par son milieu familial à une communauté judéo-chrétienne baptiste où circulaient toutes sortes de légendes orales et d’écrits profanes et religieux. » (p. 471)
Mani se serait installé quelques temps à Palmyre, auprès de la reine Zénobie à la fin du IIIè. La reine et le prophète semblent avoir partagé la même culture. Malheureusement, l’empereur Aurélien « inaugure son règne en mettant un terme à celui de Zénobie, et Bahram, fils de Shabuhr, quatrième souverain de la dynastie sassanide, illustre le sien en faisant exécuter Mani ». (p. 477)
Le manichéisme, fort décrié et caricaturé, notamment par les chrétiens – par propagande chrétienne, reste assez méconnu, par manque de sources. Néanmoins, nous pouvons souligner l’importance du livre, comme objet religieux sacré, et la compréhension élargie de la métaphore du sceau, deux aspects que l’on retrouve dans le Coran. (p.469)
La particularité du manichéisme– les livres ! Mani prétend avoir reçu deux fois la visite de l’ange, et écrit lui-même son corpus canonique. Le livre, comme objet, devient le véhicule de sa religion qu’il entend diffuser par écrit en s’adressant donc prioritairement aux élites et aux gens de pouvoir. Ces livres, copiés et recopiés, sont longtemps restés illustres pour leur beauté (enluminure, calligraphie, matériaux) inégalée. Mais aucune œuvre de Mani en araméen oriental n’a survécu (p.471). Nous avons le Kephalaia, en moyen-perse, appelé aussi Shabuhragan, du nom du souverain Shabuhr Ier auquel le livre était destiné – le père de Bahram, celui qui fit exécuter Mani.
Le sceau –Mani s’approprie la métaphore du sceau en expliquant que « le livre EST la marque de la parole vivante du fondateur » (p.484) « Bien après lui, elle réapparaît, comme on le sait, dans le Coran (33 :40) pour désigner Muhammad. […] « Muhammad n’est le père d’aucun homme parmi vous, mais il est l’envoyé de Dieu et le sceau des prophètes. » (p.489). Il n’est pas le père, sous-entendu, contrairement à Mani, à Jésus, mais il est le sceau.
[attention à l’orthographe de sceau !]
Généalogie et diffusion du Manichéisme
Mani veut se placer dans la continuité de prophètes eux-mêmes auteurs de leurs propres révélations : Adam, Seth, Enosh, Sem, Hénoch puis, en bout de chaîne, Paul de Tarse. « Mani a comme prédécesseur immédiat non plus Jésus mais Paul, autrement dit le premier écrivain chrétien. » (p.487)
Ce dernier joue un rôle prépondérant dans la pensée de Mani : « La culture de Mani est alors celle d’un apocalypticien moralisant. » (p.486), c’est-à-dire un homme qui a reçu des révélations divines, en l’occurrence à portée morale.
Entre le VIIé et VIIIè, les manichéens sont protégés chez les arabo-musulmans, tandis qu’ils ne l’étaient pas en Mésopotamie et en Iran. Néanmoins, à partir de la moitié du VIIIè, ils sont très peu nombreux, puis persécutés par le calife al-Mahdi en 782-785. « Sur le territoire du calife désormais, hérésiographes et encyclopédistes étiquettent les manichéens comme dualistes ou, ce qui revient au même, comme zendiqs, c’est-à-dire ratiocineurs zends, d’où le sens dérivé des négateur du Dieu unique, athées, libres penseurs, slogan passe-partout pour éliminer les opposants. » (p.481)
[ratiocineurs = personne qui se plait à ergoter disserter et raisonner sans fin et en vain]
Mais le manichéisme se diffuse au-delà du territoire de l’Islam, notamment un temps chez les Ouigours, au VIIIè et s’y maintient jusqu’au Xè dans la partie occidentale du territoire.
La légende veut que Mani, le seul et l’unique, (p.491) se soit rendu en de nombreux pays : « en Inde, Perside, Mésène, Babylonie, Médie et Parthie… » (p.491)
* Les montanistes
La tendance prophétique se développe bien au Proche-Orient, si bien qu’un prophète avéré pouvait occuper une place plus importante qu’un évêque ou un prêtre, comme ce fut le cas « dans la communauté de la Nouvelle prophétie, formée par l’hérésiarque Montan et ses prophétesses adjointes Priscille et Maximille. » (p.439)
Les prophètes se considèrent comme l’enveloppe humaine dans laquelle vient temporairement résider la divinité : « cette doctrine ressemble en maints détails à la prophétologie musulmane chiite de la wasiyya universelle ». (p. 439)
Cette façon d’envisager l’enveloppe humaine d’une part, et le vrai Christ de l’autre, se retrouve dans d’autres courants : « ce n’est que l’humanité du Christ qui est morte sur la croix, son enveloppe humaine, qui ne fut qu’une apparence, […] la vraie personne du Christ a été enlevée de lui bien avant la mort. C’est précisément cette doctrine docétiste qu’on peut lire dans le Coran (3 :55 ;4 :157). » (p.458)
[docétisme = serait une tendance qu’on retrouve dans les débuts du christianisme et qui consiste à penser que dieu ne s’est pas fait homme, mais simplement « chair » et que la crucifixion était une illusion, une apparence]
* Les encratites
Ils constituent un mouvement plus radical, et même sectaire (p.445), qui aurait influencé les ébionites dans leur eucharistie célébrée avec du pain et de l’eau. En effet, les encratites considéraient que la matière était par essence mauvaise ; ils interdisent donc le mariage et sa consommation, ainsi que la consommation d’aliments dits « forts », comme la viande ou le vin et prône l’abstinence absolue. (p.434). Pour les discréditer, certains auteurs ont décrit les ébionites comme des encratites purs et durs. Leur champion aurait été Tatien.
[Tatien, écrivain chrétien du IIè siècle ap JC, né en Assyrie]
Particularités des églises d’Orient que l’on retrouve en Islam
Quelques caractéristiques importantes nous permettent de distinguer les chrétiens d’Orient de ceux d’Occident.
La langue– la formation de base était en syriaque, une langue araméenne ; seuls les élèves les plus doués accédaient aux grandes écoles où on lisait le grec. (p.446) Mais le syriaque perdure : « à l’époque musulmane, quand […] l’arabe deviendra la langue officielle de l’empire, l’arabe supplantera le grec comme langue de culture et donc comme langue des études supérieures, de la science et de la philosophie, sans remplacer pour autant le syriaque. Pendant des siècles encore, la langue syriaque restera celle du peuple chrétien, de la littérature spirituelle, théologique et historique, de la liturgie chrétienne ainsi que de l’Eglise. » (p.447)
L’interprétation de la doctrine– l’exégèse juive est à son sommet avec Philon d’Alexandrie, au Ier siècle. Puis les gnostiques favorisent l’allégorie et l’interprétation mystique et métaphorique des textes. Par exemple, « La Croix devient ainsi le croisement de l’histoire, où toute l’histoire humaine se condense et vers lequel tous les événements se dirigent. Il en résulte une unité dans l’histoire, qui est parfois difficilement compréhensible pour nos esprits occidentaux, formés tels que nous sommes à la logique grecque, aristotélicienne. Il s’agit d’une théologie typologique où les types et symboles ont un caractère réel, substantiel, et non seulement au sens figuré et abstrait. » (p.449)
Voyons-en quelques exemples que l’on retrouve dans l’Islam :
– La transposition géographique– Dans cette vision du monde, les lieux revêtent une importance symbolique et réelle. La légende la « geste d’Ismaël » s’ancre près de la Ka’ba : « le sanctuaire des Arabes avait été bâti par Abraham lors de ses visites à son fils bien-aimé, Ismaël son premier-né. […] c’est bien près de la Ka’ba qu’ont été enterrés les ancêtres bibliques du peuple arabe : Ismaël et sa mère Agar.«
– Le sang et l’âme– Qu’en est-il de l’âme après la mort ? Est-ce que l’âme est dans le sang ? Ou bien le sang EST-il l’âme ?
« L’idée selon laquelle l’âme serait le sang a des conséquences pour le dogme de l’immortalité de l’âme, car elle implique que l’âme ne peut se séparer immédiatement du corps à l’instant de la mort mais subsiste dans le sang qui est matériel et corporel et reste donc unie avec le corps du défunt. Enterrée avec ce corps, l’âme vit jusqu’à la fin des temps, dans le tombeau qui correspond à la doctrine musulmane fort répandue de la continuation de la vie (et de la punition) dans le tombeau. » (p.455)
– La nature divine– « Dans l’esprit des peuples sémitiques, la nature divine paraît plutôt être quelque chose d’indéfinissable, puisqu’elle nous échappe continuellement […] Dieu est celui que notre langage ne parvient pas à décrire ; tout ce que nous pensons de lui, il ne l’est pas. » (p.456)
– Le péché et le rôle d’Origène– « C’est Origène (185-254) qui a été le grand théoricien de la doctrine telle qu’on la retrouvera en Orient. Selon Origène, le Verbe a créé le monde spirituel : celui des âmes. Celles-ci se sont progressivement éloignées de la pureté originale en accumulant des péchés. Ce sont ces âmes déchues qui devront se libérer du mal en se purifiant, en s’appropriant la rédemption par l’exemple du Christ. » (p. 459) On voit ici qu’il ne s’agit pas d’un péché originel, comme on le conçoit en occident, mais plutôt d’un encrassement progressif de l’humanité : « la notion de péché originel est largement absente de la pensée et des écrits des chrétiens orientaux, tant nestoriens que miaphysites. De même on la chercherait en vain dans le Coran. Il s’ensuit également que la peccabilité, la contrition et la conscience du péché diffère totalement en islam de celles de la chrétienté occidentale. » (p.460)
[nestoriens et miaphysites sont deux courants chrétiens sur lesquels nous allons revenir incessamment sous peu]
L’Islam, au cœur de ce contexte culturel et religieux, pourrait avoir hérité « d’une conception du divin qui est typiquement orientale, faisant partie du fonds commun sémitique et donc arabe, se distinguant profondément de la théologie telle qu’elle a été conçue par les auteurs grecs, les Pères de l’Eglise grecque-orthodoxe, dont l’approche théologique était fondamentalement péripatéticienne. » (p.455)
[péripatéticienne, c’est-à-dire aristotélicienne]
2. Les chrétiens et le Coran
* Un christianisme divisé
Le christianisme, même s’il naît et part du Moyen-Orient (Nazareth), connaît un mouvement qui part l’Occident pour revenir ensuite au Moyen-Orient sous différentes formes et pour diverses raisons.
Prenons l’exemple des arianistes : L’arianisme est un courant des premiers temps chrétiens créé par Arius au IVè s et qui consiste à penser que Jésus n’est pas de nature divine, mais est un prophète comme un autre. Le royaume ostrogoth, actuelle Italie, était arien !
Pour cette croyance dissidente, les Ostrogoths, furent persécutés par l’empereur Justinien (Vè siècle ap JC), puis vaincus. Une partie d’entre eux furent envoyés comme militaires en Orient. (p. 337) Au VIè, il est possible que demeuraient encore des ariens, provenant notamment du royaume ostrogoth
Un autre groupe, les nestoriens, que l’on a déjà évoqué, mérite qu’on s’y intéresse pour les influences qu’il a exercées sur la pensée musulmane.
Les Nestoriens– ce nom vient du patriarche de Constantinople Nestorius, condamné en 431 au concile d’Éphèse pour être dyophysite, c’est-à-dire partisans des deux natures du Christ, l’une humaine et l’autre divine.
[DYO = deux / PHUSIS = nature ; en grec]
« Après la fermeture de leur école de théologie à Édesse en 489 par l’empereur Zénon (pro-miaphysite, c’est-à-dire « une seule nature »), ses membres ont fui l’Empire byzantin qui les persécutait, et transféré leur école à Nisibe, en territoire perse. » (p. 338)
Les Nestoriens passent donc d’Edesse (actuelle ville turque d’Ourfa) à Nisibe (actuelle ville turque de Nusaybin), et même si les villes ne sont pas très éloignées, elles n’appartiennent pas, à l’époque, au même empire.
Les Nestoriens s’opposaient au courant appelé miaphysique ou monophysique, qui considérait que le Christ était d’une seule et même nature. Cela est peut-être un détail pour vous, mais au VIè siècle, c’est beaucoup. C’est même LA question qui empoisonne littéralement de nombreux débats.
Ce formidable schéma résume les positions adoptées par les uns et les autres sur la question de la nature du Christ.
Attention cependant à l’écart gigantesque qui sépare les dogmes et théories des croyances diverses et bigarrées des personnes réelles.
« En réalité, l’opposition est moins tranchée qu’il n’y paraît et repose largement sur des questions de terminologie et de vocabulaire, puisqu’on a repéré depuis longtemps que les théologiens miaphysites entendent par « nature » (phusisen grec) un être vivant concret, dont le Christ comme union hypostatique de l’humanité et de la divinité, tandis que les chalcédoniens utilisent ce même terme pour désigner les caractéristiques divines ou humaines du Christ ; pour les miaphysites, une double nature du Christ créerait deux Christ distincts (un dyophysisme qu’ils reprochent justement aux nestoriens, auxquels ils assimilent les chalcédoniens), mais pour les chalcédoniens, une seule nature du Christ impliquerait la perte de l’humanité du Christ. » (p. 341)
Nous avons donc des miaphysites ou monophysites, qui s’opposent au dyophisites, représentés par les Nestoriens, mais également les chalcédoniens, sous un certain angle…
Conclusion et compromis…
La cohabitation de tous ces mouvements autour de ces questions semble avoir été relativement pacifique, beaucoup de croyants restant sceptiques et indécis. Néanmoins, l’opposition entre monophysites et dyophysites signe le début de la séparation des empires.
Une sorte de compromis est pourtant proposée, sous le nom de monothélisme. Il s’agit de considérer que Jésus est animé par une seule volonté et activité théandrique.
[Le Thélisme venant de Thelama la volonté, en grec]
[théandrique signifie à la fois homme et dieu]
Pour en savoir plus sur le monothélisme, cliquez ici.
A la fin du VIIè, c’est le troisième concile de Constantinople, appelé aussi Constantinople III, qui règlera le problème et les désaccords qui persistaient : il est alors acté que Jésus est doté de « deux volontés, non pas opposées l’une à l’autre, mais une volonté humaine subordonnée à la volonté divine. »
Pour une vue d’ensemble des divisions et subdivisions du christianisme jusqu’à nos jours :
* Les chrétiens en Iran Sassanide
Comme on vient de le voir, des chrétiens étaient exilés au Moyen-Orient, d’autres ne l’avaient jamais quitté.
Les Sassanides, rappelons-le, étaient la dynastie en place en Iran depuis le IIIè, et jusqu’aux invasions arabo-musulmanes. Ces Perses zoroastriens sont plutôt tolérants à l’égard des autres religions. Les chrétiens syriaques sont peu nombreux et déjà divisés en divers courants. Au VIIè demeurent encore des marcionites et des manichéens !
[les marcionites sont encore des dissidents du christianisme officiel, puisqu’ils rejettent l’ancien testament – la bible hébraïque – et ne reconnaissent que les évangiles]
Les premiers indices d’une présence chrétienne de tradition d’évangélisation montre que la foi chrétienne avait pu se diffuser dès les IIème et IIIème siècles ap JC. En fait, l’Église de Perse aurait réparti entre ses croyants missionnaires les territoires à évangéliser (p. 362)
Avant que l’empereur Zénon ne ferme l’école d’Édesse, celle-ci bénéficiait d’une certaine renommée :
« Le livre des lois des pays, un ouvrage daté de 196 attribué au philosophe édessien Bardesane, constitue le plus ancien indice historique d’une pénétration du christianisme dans l’empire et de son impact sur l’évolution des coutumes des populations païennes. » (p. 364). On peut parler d’un véritable rayonnement de cette cité, capitale du petit royaume d’Osrhoène en Mésopotamie du Nord. (p. 365)
Les Perses eux-mêmes participèrent à la diffusion du christianisme sur leur territoire par leur politique de déportation massive. Cette pratique remonte aux assyriens et achéménides : « La déportation sélective des élites et des artisans des villes conquises par les autorités sassanides lors des guerres romano-perses s’inscrit dans une longue tradition au Proche-Orient. » […] Les chrétiens « grecs », selon l’appellatif retenu par les sources syriaques ou arabes, désignent les déportés ou les descendants de ces déportés venus de l’Empire romain oriental. Le grec y était en effet la langue majoritaire des centres urbains (Syrie, Palestine), l’araméen étant plus largement répandu dans les campagnes et dans l’intérieur des terres. » (p. 366)
Au IIIème siècle ap JC siècle cependant, on note quelques persécutions des chrétiens en terre perse, mais ce furent en particulier les zoroastriens convertis au christianisme les principales cibles : abandonner la religion du roi était perçu comme une trahison politique. (p. 372)
L’empereur Justinien, au Vème siècle, continuant à mener la vie dure aux chrétiens non-chalcédoniens, ces derniers s’exilèrent en territoire iranien et diffusèrent à leur tour le miaphysisme.
Peu à peu, les chrétiens s’organisent, les Églises se forment. Les miaphysites s’organisent sous l’impulsion de Jacques Baradée au VIè. Ils sont appelés les « jacobites ». Les chalcédoniens, eux, plutôt dyophysites, dépendent toujours de l’Église de Constantinople. (p. 375)
[Chalcédoniens, du nom de Chalcédoine, en face de Constantinople, de l’autre côté de la mer]
« Au tout début du Vè siècle, l’Église syro-orientale engagea un processus d’autonomisation et de positionnement vis-à-vis des autres sièges patriarcaux de l’Orient, notamment ceux d’Antioche et de Constantinople. » (p. 376) Si l’arianisme a disparu ou semble anecdotique, la grande discussion perdure jusqu’au VIIè autour de la double nature du Christ, homme et Dieu. Certains chrétiens occupent des places importantes au sein du pouvoir (p. 382). Le monachisme et les écoles participent également à la diffusion du christianisme. (p.384-388)
Un personnage important, en partie légendaire, Abraham de Kashkar (fin du VIè) contribue largement au renouvellement des églises et monastères et permet le rayonnement de la christologie dyophisite sur tout le territoire perse. […] Au moment de la conquête arabe, une soixantaine de monastères avaient été fondés, réformés suivant les règles d’Abraham rapidement considéré comme « le Père et maître de tous les moines de la région de l’Orient ». (p. 386) « Notons que cette perception séparant nettement l’humanité de la divinité en Jésus explique en partie que les autorités musulmanes aient plus tard choisi la communauté syro-orientale pour interlocutrice privilégiée parmi les groupes chrétiens d’Iran. » (p. 377)
* Les chrétiens en Ethiopie
L’Éthiopie se situe au sud de l’Égype et du Soudan, en face de la péninsule arabique, de l’autre côté de la mer Rouge. Son activité et son rayonnement n’ont pas manqué de jouer un rôle dans la construction de l’islam.
Aujourd’hui– « Rassemblant aujourd’hui entre 40 et 50 millions de fidèles, l’Église éthiopienne est la plus grande Église orthodoxe orientale. […] le label « monophysite » est rejeté, à juste titre, par l’Église éthiopienne. Sa théologie préserve bien le point de vue d’Athanase (328) et de ses successeurs : il s’agit de monophysisme verbal, selon la terminologie moderne. » (p. 399)
L’Éthiopie existait-elle dans l’antiquité tardive et la période pré-islamique ?
Aksoum– A côté des superpuissances de l’Empire byzantin et l’Empire Sassanide, se trouve également le royaume aksoumite (Ier s ap JC > Xème ap JC), sorte d’ancêtre de l’Éthiopie. Ce sont les rois d’Aksoum qui ont appelé leur pays Aithiopia (p.400)
Le royaume atteint son apogée au IIIè et son roi, au IVè, Ezana, se convertit au christianisme monophysite.
Une conversion au christianisme aux aspects légendaires :
Une légende voudrait que l’apôtre Philippe ait converti un eunuque éthiopien haut fonctionnaire et administrateur de la reine d’Éthiopie, Candace [éthiopien qandaq= « reine-mère »]
Une seconde légende inscrit l’Éthiopie dans les fameuses généalogie de l’Ancien Testament : la reine de Saba aurait été identifiée à la reine éthiopienne Makeda. De ses amours avec Salomon seraient nés tous les dirigeants éthiopiens.
La légende de Frumence– « le fils d’un marchand syrien, fut capturé après un naufrage dans la mer Rouge et réduit en esclavage à Aksoum, où il parvint à prêcher l’Évangile. Il devint précepteur du prince héritier. Libéré, il partit à Alexandrie, où Athanase le fit évêque des Éthiopiens, et le renvoya à Aksoum. La tradition éthiopienne lui attribue ainsi la conversion du roi Ella Asbeha au VIè alors que les événements sont censés concerner Ezana, au IVès. ». (p.400)
« Quoi qu’il en soit, il reste vrai que des moines égyptiens sont constamment venus en Éthiopie. Par ailleurs, de nombreux moins éthiopiens effectuaient des pèlerinages en Égypte et à Jérusalem. Cela s’est traduit par un échange religieux et culturel continu. » (p. 401)
La langue de l’Ethiopie, le guèze– c’est une langue classique, attestée depuis le II-IIIè siècle, (p.402) chamito-sémitique de la famille des langues sémitiques, parlée jusqu’au IVè, mais devenue ensuite langue administrative et surtout religieuse (p.404).
Le corpus particulier du christianisme éthiopien– « Contrairement à ce qu’il se passera plus tard avec l’islam et le Coran, les missionnaires chrétiens de la fin de l’Antiquité ont rapidement cherché à traduire les textes sacrés (Bible, textes liturgiques, etc.) qui n’étaient pas considérés comme la parole directe de Dieu, mais seulement comme des textes d’inspiration divine. » (p. 403) [raison pour laquelle ils pouvaient et devaient traduire] « le canon de l’Église éthiopienne orthodoxe Tewahebo est le plus large de toutes les Églises chrétiennes, puisqu’il comporte 81 livres. Le Nouveau Testament contient 35 livres (et non 27) et l’Ancien Testament 46, incluant notamment le Livre d’Énoch, le Pasteur Hermas, le Livre des Jubilés, et l’Ascension d’Isaïe. L’Église éthiopienne a ainsi préservé des œuvres apocryphes absentes des autres traditions ecclésiales. » (p.406)
Le christianisme éthiopien a subi 3 influences : l’influence de la pensée de Cyrille d’Alexandrie, l’influence copte et l’influence du christianisme syriaque. (p.407-410)
Influences (lexicales) du christianisme éthiopien sur le Coran– Les études concernant l’influence du christianisme éthiopien sur le Coran sont peu approfondies et quasi uniquement philologiques (p. 413) – elles ne concernent que le lexique.
A partir de l’étude du guèze, ou éthiopien classique, de la famille chamito-sémitique, parlée en Éthiopie et dans la corne de l’Afrique jusqu’au IVè siècle, on a pu montrer cependant que l’éthiopien a souvent été un intermédiaire entre le grec et l’arabe.
Par exemple, pour Injil, « évangile », « l’étymon de Injil est très certainement le guèze wangel, qui transcrit le grec evangelion avec la chute du –ion final. Le mot a sans doute été réinterprété en arabe : le wa– initial a été vu comme la conjonction de coordination wa, « et » ; la forme –ngel devient alors naturellement Injil avec ajout d’une voyelle prosthétique à l’initiale. » (p.416) Idem pour shaytan, « Satan ».
« Cela prouve l’influence des chrétiens éthiopiens dans l’environnement des débuts de l’islam, et cela montre aussi que des codex de parchemin ont été créés peu de temps après l’introduction du christianisme en Ethiopie, ce qui est confirmé par la découverte de deux manuscrits de l’Évangile en éthiopien dans l’abbaye d’Abba Garima, Adua, dans le Tigré. » (p.419)
3. Le Judaïsme et le Coran :
* Le royaume juif d’Himyar
Il est largement possible que Muhammad ait connu des Juifs, surtout à Médine. C’est du moins l’enquête que nous poursuivons.
Dans le royaume d’Himyar, la diffusion du judaïsme s’accroit aux Vè et VIè siècle, jusqu’à la conversion des dirigeants, notamment Abikarib Asad en 380, ce qui met fin au polythéisme ancestral.
Le Himyar, comme on l’a vu, se situe en face du royaume d’Aksoum et au sud du Hijaz (ou Hedjaz) dont on a déjà parlé, où se trouvent la Mecque et Médine.
Grâce à cette vidéo, profitez d’une pause pour réviser l’histoire des juifs… vous n’y trouverez pas grand chose sur les juifs de la diaspora et la conversion des dirigeants d’Himyar, mais c’est ce qui justifie notre travail !
* Présence juive dans le Hijaz au début de la mission de Muhammad
Médine, « de loin la ville la plus importante de la région, se trouvait au nord-ouest d’une constellation d’implantations – villes et villages – entrecoupées de grands espaces ouverts, de plantations de dattiers, de champs et de marchés. » (p. 301)
D’après les sources musulmanes : « les Juifs étaient des hommes pacifiques, agriculteurs, artisans et commerçants habitant Médine et les localités avoisinantes au Nord, tout le long du Wadi al-Qura. Même si parmi eux se trouvaient des guerriers, la majorité de la population n’a jamais pris part aux guerres. » (p. 304)
* Quel judaïsme Muhammad et ses adeptes ont-ils connu au Hijaz ?
Ou plutôt quels judaïsmes au pluriel, quels courants du judaïsme ? Il semble impossible de le savoir.
Certains chercheurs pensent que le Coran aurait pu être influencé au contraire par l’embryon d’un mouvement anti-rabbinique, qui serait devenu plus tard celui des Karaïtes ; ces derniers, par exemple, considéraient les ajouts postbibliques comme des falsifications du texte original. (p. 324).
Une autre hypothèse soutient que le Coran serait le reflet de conceptions judéo-chrétiennes, notamment les ébionites et les elkasaïte (p. 325).
D’autres enfin doutent carrément de l’existence même de communautés juives en Arabie avant les débuts de l’islam. « Mais il reste alors difficile d’expliquer la présence massive de données juives dans le Coran. Il est en effet à noter que le premier écrit fiable sur l’existence d’une communauté juive dans le Hijaz attachée au Talmud date du Xè siècle […] ces sources ont été écrites plusieurs siècles après l’avènement de l’islam et ne nous apprennent rien sur les communautés juives de la région aux époques antérieures. » (p. 326)
* La représentation des Juifs et du judaïsme dans le Coran
Malheureusement, nous n’avons pas d’autres sources que les musulmanes et, comme nous venons de le préciser, elles ont été collectées longtemps après les événements qu’elles rapportent. Dans le Coran, les juifs reçoivent trois appellations :
1. Les « fils d’Israël », et c’est tantôt favorable, tantôt défavorable.
2. Les yahud ou « juifs », désignent plutôt les Juifs quasi contemporains de Muhammad et sont désignés comme ceux qui ont perverti le monothéisme et falsifié la Torah, à l’instar des chrétiens.
3. « le peuple du Livre », cette appellation englobant également les chrétiens.
Pourtant le Coran comporte une terminologie religieuse étrangère à la langue arabe, voire franchement d’origine biblique, postbiblique ou talmudique. (P. 307) On peut citer comme exemples shaytan pour Satan, salat (prière) pour l’araméen selotaet zakat (aumône) pour l’araméen zekhuta.
Pour Shaytan, quelques précisions [et révisions] en p.416 : « L’éthiopien apparaît parfois comme un probable intermédiaire entre d’un côté, l’hébreu, le grec ou l’araméen, et de l’autre, l’arabe. Ainsi pour le terme coranique shaytan(« Satan, diable, démon ») : il y a une racine arabe, sh-t-n, qui signifie « puiser de l’eau dans un puits au moyen d’un seau et d’une corde », et l’arabe shaytansignifie « corde » et métaphoriquement « serpent ». Ce shaytann’a étymologiquement rien à voir avec le shaytandu Coran, même si l’homonymie est un bon moyen d’assimiler Satan au serpent du jardin d’Éden. Le terme shaytanpour « diable » vient certainement du guèze saytan(« diable, démon, adversaire »,) lui-même un emprunt au grec satanasou à l’araméen satana(voir hébreu, satan« accusateur, adversaire »). Il s’agit d’un nom commun et non d’un nom propre comme l’est Iblis. » (p. 416)
Malgré l’absence ou la rareté des sources et traces, depuis le XIXè, les chercheurs s’intéressent à la question de savoir ce que le Coran doit au judaïsme. [1833, Geiger : Que doit Muhammad au judaïsme ?]
* Les récits bibliques et leurs prolongements postbibliques dans le Coran
A la lecture du Coran, ce qui frappe un lecteur de culture judéo-chrétienne [au sens large], c’est la fait que le livre reprenne autant des histoires de la bible hébraïque dans sa propre formulation, en particulier la Genèse, l’Exode et l’histoire des premiers rois – Saul, David, Salomon. On trouve également quelques emprunts aux Psaumes et aux Proverbes. En revanche, on ne trouve aucune allusion aux grands prophètes.
En y regardant de plus près, on s’aperçoit en réalité que le Coran « semble plus tributaire de la littérature juive postbiblique Talmud et Midrash » que de la Bible hébraïque elle-même. [Talmud et Midrash étant des commentaires de la bible hébraïque]. C’est donc l’exégèse rabbinique qui aurait servi de base (p. 309-311), à laquelle les rédacteurs du Coran aurait ajouté des éléments ou en auraient modifié d’autres. En effet, il fallait à la fois pouvoir s’appuyer sur ce texte sacré pour légitimer l’islam et lui conférer de la valeur ; mais il fallait également y lire l’annonce de l’arrivée du Messie véritable, à savoir Muhammad, ce qui impliquait une relecture sur-interprétative de la bible hébraïque.
L’islam accuse les rédacteurs juifs d’avoir gommé toute trace de l’arrivée de Muhammad et d’avoir falsifié le texte sacré ; les ajouts du Coran apparaissent donc tout à fait logiques et attendus, un peu comme des corrections a posteriori.
Il faut noter également que les rédacteurs du Coran avaient peut-être accès à des textes aujourd’hui jugés comme apocryphes, mais qui ne l’étaient pas encore, ou n’étaient qu’en passe de l’être.
* Les écrits apocryphes et le Coran
Qu’est-ce qu’un apocryphe ?
D’après saint Jérôme (347-420) « Tout ouvrage qui ne figure pas parmi les vingt-quatre livres de la Bible hébraïque doit être considéré comme apocryphe, c’est-à-dire non-canonique. » (p.505).
[C’est une définition ad hoc. Qui juge d’un écrit qu’il est apocryphe et par rapport à quelle doctrine choisie comme officielle pour quelle raison ? Apocryphe signifie « caché », en grec.] Malgré les interdictions [ou à cause d’elles], des livres apocryphes se sont diffusés et ont été traduits, en Europe comme en Asie.
A la lueur des recherches actuelles, que peut-on remarquer dans les textes apocryphes ?
« Depuis une trentaine d’années, les écrits apocryphes juifs se définissent par un objet commun : soit la référence à un ou plusieurs personnages de la Bible hébraïque, soit des événements concernant les origines ou le futur en général, soit les deux » (p. 510)
Pour l’objet que nous poursuivons, à savoir les influences de ces textes sur la construction de l’islam, notons que les écrits dits apocryphes n’ont pas été rédigés dans la Péninsule Arabique, mais plutôt en Palestine : y a-t-il eu contact ? (p.502) : oui, « une transmission d’idées et d’écrits juifs provenant de la Palestine aux élites juives de la péninsule Arabique est ainsi concevable. » (p.504)
Quel est le rôle des scribes : les scribes n’hésitaient pas à tronquer, ajouter (p. 507) et produire des pseudépigraphies, c’est-à-dire attribuer des textes à des patriarches antédiluviens, comme Hénoch (p.510). Ces textes sont mouvants, divers, déclinés sous de multiples versions, n’ont pas de forme fixe (p.512). Ils constituent une part importante des écrits dits apocryphes.
Attention aux anachronismes toutefois : D’une part, les concepts d’identité et de religion sont récents ; d’autre part, on s’accorde aujourd’hui à appeler apocryphes juifs des écrits qui pouvaient être perçus alors, par les musulmans entre autres, comme juifs, chrétiens, les deux ou aucun des deux (p.513). En effet, comme stipulé plus haut, entre notre effort de séparation a posteriori des écheveaux des différents courants et la réalité du terrain et des croyances d’alors, il y a un gouffre.
Ajoutons à cela une nuance : « l’explication courante était de voir les juifs et les chrétiens de la péninsule Arabique comme des hétérodoxes et des hérétiques, c’est-à-dire des juifs et des chrétiens en rupture avec le judaïsme et le christianisme de leur temps. […] Or, nous avons vu que la connaissance actuelle du contexte arabique préislamique ne permet plus de penser en termes d’hétérodoxie et d’hérésie par rapport au judaïsme et au christianisme pour expliquer la présence juive et chrétienne dans la péninsule Arabique. » (p. 514)
Les textes apocryphes dans le Coran : « on distingue d’ordinaire les « renvois explicites » et les reprises « in extenso ou partiellement, simplement évoquées de manière allusive ou encore présentées dans un contexte un peu différent ». (p.515) Or, il est notable que, « le Coran présente en nombre d’occasions un sous-texte qui est d’origine juive [… et que] nombre d’idées et de motifs relatifs à des personnages bibliques reconnaissables dans le Coran n’existent pas dans la Bible hébraïque. La comparaison de certains passages coraniques avec des écrits apocryphes juifs se justifie.» [donc] (p.533)
« Ainsi, le milieu coranique semble connaître des traditions que nous relions au judaïsme ou plus précisément aux écrits apocryphes juifs, mais la nature de la relation qu’entretiennent des versets du Coran avec ces traditions juives nous échappe. En conséquence, il nous semble que les écrits apocryphes juifs jouent un rôle marginal dans le sous-texte du Coran, mais que les traditions juives en général – reprises ou non dans les traditions chrétiennes – constituent une grande partie du sous-texte du Coran. » (p.535)
4. Les Perses et le Coran
Mais qui sont les Perses ? Des Iraniens ?
Quelques précisions préalables. A cette époque, on ne parle pas d’Iran, mais de Perse. Au VIIè siècle ap JC, avant d’être conquise par les arabo-musulmans, l’empire est dirigé par la dynastie des Sassanides.
La religion officielle est le zoroastrisme, du nom du prophète Zarathustra (ou Zoroastre), le prophète que l’on situe au IXè siècle av JC. Il réforme la religion mazdéenne alors en vigueur en Perse et dont la divinité principale était Ahura Mazda. Il préconise un monothéisme autour du seul dieu Ahura Mazda et une sorte de dualisme s’incarnant dans les deux forces opposées, du mal et du bien.
Dans le Coran, les Perses sont appelés les mages al-majus, terme qui reprend en fait le mot grec magos, « clergé perse » ou « magicien ». (p.170). Dans une liste coranique, on trouve « les croyants, les Juifs, les Sabéens, les chrétiens, les majuset les polythéistes ».
Que disent les perses des musulmans ?
Dans le Bundahishn, on trouve « des allusions à l’intrusion des Arabes dans l’Eranshar [=la Perse], parfois comme simple marqueur temporel, et éventuellement [des allusions] à ses conséquences « désastreuses » telles que la destruction de temple du feu, la mise en place de la traite négrière entraînant un mélange de population et l’affaiblissement de la bonne religion […] le renversement des coutumes ancestrales et l’instauration du « lavage et de la dissimilation des cadavres, et de la nécrophagie », références explicites aux rites funéraires musulmans (lavage mortuaire et inhumation) et à l’immolation des bêtes, pratiques radicalement inconciliables avec celles des zoroastriens. Dans leurs pratiques funéraires, ces derniers observent en effet l’isolation et le décharnement du corps sans contact immédiat avec la terre, et selon leur rite d’immolation des bêtes, ils les assomment avec l’égorgement et évitent de répandre leur sang. » (p. 172)
Les points communs et les influences entre Islam et Zoroastrisme
Les 5 prières, les anges… « Les deux religions ont également en commun certains interdits pratiques, tels que marcher avec une seule chaussure et uriner debout, et des tabous alimentaires comme le lièvre. On peut mentionner aussi le statut symbolique du coq (blanc), animal cosmique et guide céleste de Muhammad lors de son ascension selon les croyances islamiques et attribut du dieu Sroch, « Ecoute », et annonciateur de l’aube victorieuse sur les forces du mal. » (p. 177)
Mais les Perses, en revanche, continuèrent à ne pas saisir la possibilité d’un monothéisme, incluant de fait le mal comme une production de cet unique dieu. En effet, le zoroastrisme est un dualisme qui intègre le mal comme constituant du tout.
Par la suite, après l’invasion arabe, les perses conservent la nostalgie de la grande Perse unie et attendent des jours nouveaux où ils seront libérés du joug des Arabes.
Et pendant ce temps-là, à la campagne…
Sont à noter tout de même la persistance d’autres cultes en Iran au VIè et VIIè : nous les connaissons grâce aux rapports de mission des moines. (p. 387)
* des cultes dendrolâtres (mer Caspienne, Muqan, Daylam, Gilan, plateau du Khorassan)
* le culte de al-Uzza, divinité païenne pré-islmique d’Arabie centrale et de Basse-Mésopotamie,
* le culte de Tammuz, région de Kashkar et Mésopotamie du Nord.
II. Le contexte apocalyptique du Coran
1. Qu’est-ce qu’une apocalypse ?
C’est un genre littéraire que l’on peut définir ainsi :
« Un genre de littérature de révélation avec une structure narrative, dans laquelle une révélation est transmise par un être surnaturel à un être humain, révélant une réalité transcendante, à la fois temporelle, en ce qu’elle envisage un salut eschatologique, et spatiale, en ce qu’elle implique un autre monde, supranaturel. » (p.547)
L’eschatologie provient du grec ta eschata, « les fins dernières » et se trouve présente dans la plupart des apocalypses. « c’est la question fondamentale du salut après la mort qui était en jeu dans les querelles christologiques qui ont déchiré le monde chrétien tardo-antique ». (p.546)
A quels moments ont-elles rencontré du succès ? Bien souvent, les apocalypses et les discours apocalyptiques que l’on trouve dans la Bible hébraïque datent des temps de crise : destruction, exil, déportation, et en particulier durant la période hellénistique. « c’est le moment où les Égyptiens et Babyloniens perdirent leur royauté propre, après qu’il en eut été de même pour les Juifs, au moment de l’exil à Babylone. » (p.549)
Qui en sont les auteurs ? Bien souvent, les apocalypses sont pseudépigraphes : « elles ont été mises sous le nom de personnages de l’Ancien ou du Nouveau Testament, ou éventuellement d’un Père de l’Église, dont le nom fait autorité et qui est censé les avoir composées, ou qui est censé avoir reçu la révélation de leur contenu : Esdras, Baruch, Daniel, Paul, la Vierge Marie, Méthode, Éphrem, mais aussi Alexandre le Grand. » (p.551)
La plupart des apocalypses sont considérées comme apocryphes, mais nous allons en examiner les détails.
La plus connue est l’Apocalypse de Paul (CANT 325), datable de la seconde moitié du IVè siècle, et donc bien sûr apocryphe pour les chrétiens. D’après d’autres sources, il en existe une version éthiopienne, dans laquelle c’est la Vierge Marie qui tient la place de Paul de Tarse.
D’abord en grec, elle est traduite dans de nombreuses langues, et tardivement en syriaque puisqu’on n’en trouve pas de trace dans cette langue avant la période médiévale.
Cette apocalypse présente une eschatologie personnelle :
« Elle raconte comment le livre a été trouvé du temps de l’empereur Théodose, puis évoque la mort et le jugement pécheur, enfin la vision que Paul a du Paradis, sa visite des enfers et du troisième ciel. Paul suit le cheminement de l’âme, du dernier soupir à sa comparution devant le tribunal céleste et sa destinée finale. » (p. 552)
2. Les apocalypses syriaques
« La plupart des apocalypses syriaques appartiennent au genre des apocalypses historiques, c’est-à-dire représentant une revue de l’histoire du monde s’achevant dans un scénario eschatologique type : après des guerres et des catastrophes naturelles, vient l’Antéchrist, parfois aussi appelé le « Fils de Perdition ». » (p. 553)
[Nous ne rendons pas justice à la complexité du chapitre consacré aux apocalypses syriaques ; nous en avons choisi et extrait les passages qui nous ont paru les plus faciles d’accès et les plus marquants.]
* L’apocalypse de Baruch et l’apocalypse d’Esdras
L’apocalypse syriaque de Baruch (apocryphe) et l’apocalypse d’Esdras (qui correspond à l’un des 4 livres d’Esdras, le dernier, et qui est considéré comme apocryphe par les chrétiens et les juifs) sont deux apocalypses peut-être composées en grec au 1ersiècle ap JC et qui ont été traduites en latin, arménien, géorgien, copte, arabe et éthiopien, et syriaque : « Elles sont toutes les deux organisées autour de visions, séparées de périodes de jeûne : quatre visions dans l’Apocalypse de Baruch, sept dans celle d’Esdras. » (p. 555)
* Le livre de Daniel
La première moitié est écrite à la troisième personne et raconte les événements auxquels Daniel et ses compagnons se trouvent confrontés. Prisonniers à la cour de Babylone, ils deviennent les interprètes des songes du roi. Ils annoncent la fin de leur royaume et le succès des Mèdes, puis des Perses. Ils sont jetés au feu mais sortent indemnes, jetés au lion mais sortent intacts. Dans une deuxième partie, c’est un ange qui s’exprime et propose à Daniel des visions symboliques d’animaux : « Daniel voit ensuite un bélier à deux cornes se déchaînant contre toutes le bêtes de la terre et un bouc à une corne brisant ses deux cornes. A son tour, il voit plusieurs cornes remplacer la sienne. L’ange Gabriel lui explique qu’il s’agit des deux royaumes de Médie et de Perse et du royaume des Grecs. Les cornes du bouc représentent les rois. À la fin, un roi fort combattra les saints et sera défait, mais pas par une main humaine. » (p.558) Ces motifs, les animaux, les cornes, les vents violents que l’on trouve également, vont nourrir d’autres apocalypses syriaques jugées apocryphes et mettant Daniel au centre (p.559).
* Les apocalypses d’Alexandre le Grand au VIIè siècle
« La figure d’Alexandre le Grand occupe une place centrale dans les apocalypses syriaques du VIIè siècle, précisément au moment où, comme à l’époque de l’Alexandre historique, les frontières entre les empires perse et romain furent abolies, durant l’occupation des années 611-628 puis à partir de 640, suite aux victoires des Arabo-musulmans. » (p. 564)
Elles instaurent des éléments que l’on retrouve dans le corpus coranique, comme « celui des portes de ferqu’Alexandre aurait construites pour empêcher les tribus des régions du Nord de déferler sur la terre habitée, peuples identifiés avec Gog et Magog mentionnés dans le livre biblique d’Ézéchiel. […] Ces peuples du Nord ont en revanche une dimension eschatologique chez les Pères grecs et latins, dont saint Jérôme (420) qui avait dû fuir l’invasion des Huns en Palestine. En effet, les invasions des Huns menaçaient l’empire perse puis romain. […] Cet épisode trouve un écho dans le Coran, dans la sourate 18 (al-Kahf), versets 83-98. » (p.565)
Les cornes que l’on retrouve sur la tête d’Alexandre… dans ses rêves: « Dieu prévient Alexandre dans son sommeil que Tubarlaq (roi de Perse) marche contre lui et lui dit qu’il a fait pousser des cornes de fer sur sa tête pour encorner les nations. […] On a souvent interprété cela comme une référence au fait qu’Alexandre est représenté sur les monnaies hellénistiques avec les cornes du dieu Ammon dont il était considéré comme le fils. C’est sans doute plutôt une référence aux cornes du Livre de Daniel. La dernière corne mentionnée dans ce livre, qui triomphe à la fin, représente justement le royaume des Grecs. » (p.567, notes)
L’une des apocalypse met en scène un Alexandre en quête d’immortalité et qui s’enivre, tant il est déçu d’avoir échoué ; cela nous rappelle l’épopée de Gilgamesh. (p.571)
On retrouve quelques éléments de ces textes syriaques dans la sourate 18 du Coran, notamment lorsqu’est mis en scène un mystérieux personnage appelé Dhu-l-Qarnayn, qui peut être rapproché du personnage d’Alexandre le Grand. (p.571)
* L’apocalypse de Serge Bahira
« écrite en syriaque, puis traduite en arabe, raconte l’histoire d’un moine chrétien, qui prédit à Mahomet enfant ses conquêtes et son statut prophétique. Ce texte complexe, en deux parties, comprend une partie apocalyptique dans l’une et une prophétie dans l’autre qui situent les actions du moine et les conquêtes arabo-musulmanes dans un schéma divin où le christianisme sera finalement vainqueur. Contre-histoire chrétienne des débuts de l’islam, le texte présente l’islam comme étant dérivé d’une hérésie chrétienne. […] Avec une forte tonalité polémique, le texte développe l’idée que le Coran soutient des idées chrétiennes (et donc que les musulmans doivent bien traiter les chrétiens). Bahira a été présenté dans les sources byzantines et occidentales comme hérétique, pour sous-entendre que le Coran vient d’une source chrétienne mais déviante. » (p.577)
3. Les apocalypses iraniennes
La question qui tarabuste les chercheurs concernant les apocalypses iraniennes porte sur la sotériologie du judaïsme et du christianisme qu’elle pourrait lui devoir, et dans un second mouvement, sur ses influences sur le texte coranique.
Rappelons-le : l’Iran, c’est l’ancienne Perse ; la sotériologie, c’est l’étude des doctrines religieuses qui touchent le salut de l’âme. Comment être sauvé à l’issue de sa mort, des tourments de l’Enfer ?
Les sources –comme nous en avons désormais l’habitude, nous constatons qu’il y a peu de sources. « Si l’on esquisse une vue générale de la documentation, on a, à l’aval, un ensemble substantiel de traités et passages apocalyptiques dans les livres zoroastriens écrits en pehlevi qui nous sont parvenus et qui, tous, ont reçu leur forme actuelle aux IXè et Xè siècle : à l’amont, un traité en grec attesté à partir du milieu du IIè siècle de notre ère, les Oracles d’Hystaspe. » (p. 589) Notons tout de suite qu’Hystaspe est la transcription en grecque de Wishtasp, le protecteur de Zoroastre (p. 594)
[Le pehlevi est le système d’écriture utilisé dans l’empire sassanide pour les textes religieux et profanes.]
Ces oracles pourraient nous permettre de supposer que ce que l’on en retrouve dans les apocalypses des sassanides postérieures serait un noyau dur d’une apocalypse iranienne plus ancienne…
Lactance est l’auteur latin du IVè grâce aux citations et paraphrases duquel on connaît le contenu des Oracles, notamment dans son livre VII de ses Institutions chrétiennes. (p.594)
Des recherches infructueuses
Au début du XXè, le chercheur Cumont met en relation les Oracles d’Hystaspe avec la religion romaine de Mithra, à l’origine duquel il voit, à raison, un Mithra iranien. Cette vision cosmogonique reconstituée aurait, d’après lui, inspiré le Jugement dernier des chrétiens et proviendrait d’une hybridation entre le zoroastrisme connu dans l’Avesta et un fatalisme tout « sémitique ». (p. 594-595). Plus tard, à la relecture des grands textes de l’Avesta, « l’origine iranienne de certaines doctrines telles que l’ascension de l’âme dans les sphères célestes ou la combustion finale du monde » est réfutée. (p.595) Compte tenu des onze siècles de vide textuel qui séparent les Avesta des textes pehlevis, les chercheurs ont été découragés d’examiner « la contribution de la pensée iranienne à d’autres religions du Proche-Orient antique. » (p. 597)
Des conclusions à approfondir
Le noyau iranien des Oracles d’Hystaspe semble résister à toute tentative de déconstruction (p.605). Comment a-t-il été transmis aux auteurs pehlevis du XIè ? Intéressant : « Les Oracles ne peuvent s’expliquer que comme un acte délibéré de propagande romaine, produit d’un milieu juif ou judéo-chrétien bien informé des doctrines iraniennes et qui cherchait à montrer, sans trop de manipulations, que les futurs vainqueurs de l’empire nourrissait des doctrines confortant les attentes de ceux qu’il opprimait. » (p. 606), soit romains vs perses…
Quoi qu’il en soit, grâce aux Oracles d’Hystaspe, on peut faire remonter au plus récent les thèmes narratifs essentiels que l’on retrouve en pehlevi au début du premier millénaire. Mais ils sont peut-être encore plus anciens. Enfin, il est possible « que les premiers oracles iraniens à caractère apocalyptique aient été composés à l’époque séleucide (305-64), parallèlement au premier développement de l’apocalypse juive et avec, là aussi, des éléments hérités des prophéties babyloniennes. » (p. 606)
Et le Coran, dans tout ça ?
« Il est hautement improbable que les apocalypses iraniennes qui formaient l’une des branches de l’eschatologie zoroastriennes aient pénétré dans le texte coranique, dont l’apocalyptique est de filiation judéo-chrétienne. […] Ce sont néanmoins d’autres facettes de l’eschatologie iranienne qui ont laissé dans l’islam des traces bien reconnaissables : d’un côté les récits visionnaires sur l’au-delà, de l’autre la doctrine des Soshans qui a influencé le messianisme shi’ite. » (p. 611)
III. Le contexte juridique du Coran
1. Le Coran en question
« Bien qu’il ne soit pas, à proprement parler, un livre juridique, le Coran contient environ cinq cents versets qui traitent d’importants sujets légaux, moraux et éthiques. Parmi ceux-ci figurent la pratique rituelle – la prière, l’aumône, le jeûne et le pèlerinage ; le mariage, le divorce, l’héritage et l’adoption ; les échanges commerciaux ; la manière de s’habiller ; les règles alimentaires ; les relations sexuelles ; ainsi que le crime et le châtiment. » (p.617)
Qui parle à qui dans le Coran ?
Un « nous » divin à un « tu », destinataire mâle. Un « nous » qui répond à des questions que d’autres auraient posées à ce même « tu ». Parfois « Dieu » à la troisième personne. Le Coran est censé être la révélation, la transmission d’une divinité à un prophète. C’est de toute évidence un témoignage, mais de quoi ? Voici alors les questions que l’on peut se poser :
« Quels ont été le paysage et l’environnement légal dans lequel le Coran fut produit ? Quelle est la relation entre cet environnement légal et les lois et règles du Coran ? Quels textes ou documents, si tant est qu’il y en ait eu, auraient pu servir de sources aux règles et réglementations du Coran ? » (p.617)
Les fameux versets abrogés et abrogeants du Coran
La communauté musulmane a essayé de classer les sourates en ordre chronologique, et a créé ce qu’on appelle les versets abrogés et abrogeants : sur un même sujet, les versets premiers sont abrogés par les derniers. (p.618) Dieu fait descendre une révélation quand de nouveaux sujets apparaissent ou qu’il faut affiner des décisions juridiques, un peu comme par jurisprudence. Certains versets sont révélés au début de l’islam, d’autres à la fin. D’après les musulmans, « les révélations sont « descendues » ou « révélées » au prophète Muhammad sur une période de vingt-trois années, débutant à La Mecque (610-622) et se poursuivant à Yathrib/Médine (622-632). » (p. 619)
La contrée du Hijaz (ou Hedjaz)
« dans ce cas, la communauté musulmane a produit une quantité considérable d’informations concernant le droit coutumier de l’Arabie », et de cette partie en particulier, le Hijaz. En effet, puisque la tradition classe par ordre chronologique des révélations qui engendrent des versets abrogeants et provoquent l’abrogation de versets plus anciens, on peut supposer que ce mouvement est le reflet d’un certaine réalité historique que l’on peut alors inférer.
Exemple de l’héritage des femmes : il semblerait que le droit coutumier de l’Arabie exclût les femmes de l’héritage. C’est ce que l’on peut induire de la modification apportée par le Coran « en élevant le statut des femmes » (p.620). En ce sens, il a amélioré le sort que l’on réservait alors aux femmes.
Précautions méthodologiques et avertissements– « Ces informations sont-elles fiables ? Peut-être, mais nous devons toutefois garder à l’esprit que les sources dans lesquelles ces informations se trouvent sont des textes littéraires composés au moins deux siècles après les événements qu’elles prétendent décrire. En dehors de ces textes littéraires, nous n’avons que peu ou pas de preuves documentaires ou matérielles du droit coutumier arabe dans le Hijaz à la veille de l’émergence de l’islam. » (p. 620)
2. L’Arène de Montagnes : un creuset de « droits »
On peut alors élargir son horizon de recherches en regardant alentour ce qu’on appelle l’arène de montagnes. « L’Arabie fait partie intégrante de l’Arène de montagnes – à savoir la série de chaînes de montagnes Taurus, la chaîne pontique, les monts du Caucase, les monts Zagros, al-Jawl, les collines de la mer Rouge, le Sinaï, les montagnes des Alaouites et les monts Amanus – qui entoure l’Anatolie, la Mésopotamie et l’Arabie. L’arène créée par cet anneau de chaînes montagneuses inclut le Hijaz qui est stratégiquement situé, d’une part, sur l’axe Nord-Sud qui relie l’Arabie à la Mésopotamie et l’Iran ainsi qu’au Yemen et à l’Éthiopie et, d’autre part, sur l’axe Est-Ouest qui relie l’Egypte et le golfe Persique. Les marchands et les biens qu’ils transportaient ont fait des allers-retours entre ces régions depuis des millénaires, mettant les habitants de la Péninsule en contact avec ceux d’Égypte, du Croissant fertile, d’Arabie du Sud et d’Iran. […] Si l’on détourne notre attention du Hijaz pour nous focaliser sur l’Arène de montagnes, le champ d’étude pertinent pour l’environnement légal du Coran devient plus ample. Nous pouvons dès lors non plus seulement juxtaposer et comparer la loi coranique avec le droit coutumier de l’Arabie, mais aussi avec le droit byzantin, le droit sassanide, le droit provincial de l’Empire romain d’Orient, le droit juif et le droit chrétien – tout en sachant que cette liste n’est pas exhaustive. » (p.621)
– le droit byzantin
Il s’est basé sur le droit romain. Quatre textes ont été écrits par des empereurs comme Théodose (IVè) ou encore Justinien (VIè) et compilés dans le Corpus Iuris Civilis, appelé aussi CIC. Les juristes contributeurs enseignaient à l’école de droit de Beyrout, centre important entre le IIè et le VIè siècle. L’école fut détruite à la suite des catastrophes naturelles qui frappèrent Beyrout en 551, « soit à peu près vingt ans avant la date de naissance supposée de Muhammad. L’école ne rouvrit jamais ses portes ». (p. 622-623)
– le droit sassanide
Il est fondé sur le grand prêtre zoroastrien, ou juge suprême, doté d’autorité judiciaire par le Roi des rois au IIIè. Le grand prêtre dirige alors des savants-prêtres : « Ces savants produisirent un corpus de loi complexe fondé à la fois sur l’Avesta, sur une pensée cosmologique ainsi que sur d’autres aspects de la tradition zoroastrienne. » (p. 623)
– l’église syriaque orthodoxe
Des traités religieux sont devenus au IVè ce qu’on appelle la Didascalia, alors intégrée dans les Constitutions apostoliques grecques. « Bien que le témoignage manuscrit le plus ancien que nous ayons de la Didascalia syriaque ne date que de 683, il est probable que le texte circulait aux alentours de l’Arabie – si ce n’est en Arabie même – à la veille des débuts de l’islam et il constitue un « document de pertinence plausible pour l’auditoire originel du Coran. » (p.625)
– l’église d’Orient
Il s’agit là des communautés chrétiennes araméophones plutôt installées à travers l’Empire iranien. Elles produisirent également des canons et lois coutumières.
– le droit rabbinique
« La halakha désigne le corpus des textes législatifs rabbiniques et, par extension, tout le système juridique juif. La Mishna en est une première série de commentaires. La Gemara sont des analyses et commentaires de la Mishna. Ces deux textes forment le Talmud. « Il y avait deux centres majeurs d’érudition juive dans l’Arène des montages durant l’Antiquité tardive : l’un en Galilée et l’autre en Babylonie. Chacun des centres produisit son propre Talmud : le Talmud de Jérusalem qui fut compilé au IVè et le Talmud de Babylone qui fut compilé autour de 500, bien que le texte n’ait pas atteint sa forme finale avant 700 au plus tôt. » (p. 626)
Les autres communautés juives, vivant dans les empires chrétiens ou sassanides, se conformaient aux lois du pays, conformément au Talmud « La loi du pays est la loi ». (p. 627)
– le droit coutumier araméen
« les habitants d’Égypte, de Syrie, de Mésopotamie et d’Arabie partageaient un ensemble substantiel de pratiques et de formules légales. Cette tradition juridique partagée a été appelée droit coutumier araméen. » (p.627)
3. Quelques exemples parlants
Liens avec les textes bibliques et post-bibliques en général :
Il semblerait que la proximité des deux communautés ait favorisé l’influence de la religion juive sur la religion musulmane, mais souvent en réaction contre la première.
Le message de Muhammad, au départ plutôt eschatologique, se porte finalement, à Médine, sur les aspects légaux de la religion.
« Compte tenu de l’importance des aspects légaux, les chercheurs sont unanimes pour pointer du doigt l’influence prépondérante de la communauté juive à Médine et ses environs dans ce processus de codification. Pour un grand nombre de spécialistes, la similitude entre la jurisprudence musulmane et celle des Juifs est si troublante que de nombreuses lois du Coran ne peuvent avoir été formulées que dans une relation dialectique constante avec la loi juive. » (p. 314).
« Les commandements fondamentaux de l’Islam comme la prière et le jeûne, ressemblent dans leurs moindres détails aux injonctions analogues dans la religion juive. […] Les heures fixes de la prière, le rituel préalable de purification, l’orientation géographique constituent des principes liturgiques et normatifs fondamentaux communs aux deux religions. » (p. 315)
Cependant, les musulmans copient en opposition. Ils ne prient pas en direction de Jérusalem, mais en direction de la Mecque. Pour les mêmes raisons, le Coran interdit l’année embolismique « au nom du principe que le calendrier est fixé dès la création du monde. Nul homme n’y peut ajouter ou retrancher quoi que ce soit. » (p. 321)
Les thèmes plutôt juridiques et qui concernant le comportement des croyants, qu’on appelle les thèmes halakhiques (halakha signifie littéralement « la manière de marcher », p.626) « confirment bien que les relations entre le judaïsme et le message coranique étaient aussi étroites que complexes à l’époque dite médinoise. […] si les savants musulmans faisaient allusion à des textes bibliques et postbibliques et adoptaient des idées juives, ils s’efforçaient en même temps à se démarquer du judaïsme. » (p. 321)
La religion juive était considérée comme une religion fort contraignante à Médine ; le Coran explique ces contraintes – comme les interdits alimentaires – comme une punition divine à cause de leurs péchés… (p. 322)
Les dix commandements :
Ils sont énumérés deux fois dans la bible hébraïque, en Ex 20, 1-17 et Dt 5, 6)21.
« Le Coran présente une liste d’ordre moraux et éthiques similaire au Décalogue tout en s’en différenciant sur certains points. Cette liste se trouve en Q17 :22-39 et en Q6 :152-154. » (p.629) Bien sûr, on n’y trouve pas l’ordre de respecter le Sabbat… en revanche, le Coran innove en ajoutant « l’ordre de donner à son parent ce qui lui est dû ; de ne pas tuer ses enfants en raison de la pauvreté ; de pratiquer un commerce équitable ; et ne pas suivre autrui aveuglément. » (p.629)
Le meurtre :
Les Talmuds de Jérusalem et de Babylone disent : « Quiconque détruit une âme, c’est comme s’il avait détruit un monde entier. Et quiconque sauve une vie, c’est comme s’il avait sauvé un monde entier » (p.630). Le Coran reprend cela en Q5 :32 en ajoutant deux exceptions : « il est possible d’ôter la vie d’un meurtrier, en représailles ; et il est possible d’ôter la vie de quelqu’un qui sème la corruption sur terre. » (p.630)
Les pratiques relatives au voile :
Si la didascalie syriaque DA III, 26, 5-11 recommande aux femmes croyantes de se couvrir et de ne laisser apparaître leur beauté qu’aux yeux de leur mari, le Coran se montre plus large et plus égalitaire. D’une part, les femmes peuvent être découvertes en présence non seulement de leur mari, mais aussi des autres mâles de la famille, et d’autre part, les hommes sont également tenus d’être pudiques, de baisser le regard et de garder leurs parties intimes.
Les interdictions alimentaires :
Au Ier siècle, les premières communautés chrétiennes s’interrogèrent sur les interdits alimentaires à transmettre aux chrétiens d’origine païenne, qui contrairement aux convertis d’origine juive, n’en avaient pas. Deux camps s’opposèrent alors. Le décret des Apôtres d’Actes 15 est le résultat d’un compromis. Les croyants d’origine païenne doivent « se tenir à l’écart de la fornication […] de ce qui est étouffé et du sang, ainsi que de la nourriture issue de l’abattage païen, sans quoi ils s’associeraient aux démons et à leur table impropre. » On retrouve ces interdits en Q5 : 3-5.
L’héritage :
Le cas des veuves et des orphelins, de ce qu’ils peuvent hériter ou non des parents défunts est très complexe. Un petit point :
« En Babylonie, une épouse n’héritait pas, à moins que son mari ne l’ait expressément désignée comme héritière dans son testament. Dans la loi juive, un mari hérite de son épouse, mais l’épouse n’est pas l’héritière légale de son mari, bien qu’elle jouisse d’un certain nombre de droits […] En Égypte, époux et épouse héritaient de leurs familles respectives, mais pas l’un de l’autre. Il en allait de même dans le droit romain et certainement dans le droit provincial syrien. En comparaison, le traitement que le Coran (Q4) accorde aux épouses en tant qu’héritières est une anomalie. » (p.640) Il est possible qu’il soit néanmoins inspiré du fameux CIC.
Conclusion de ce premier volet…
Cette première synthèse ne rend pas justice à la complexité et au foisonnement des informations historiques, linguistiques et archéologiques que j’ai pu découvrir au cours de ces 500 premières pages de lecture. Mais j’espère qu’elle vous aura donné envie d’approfondir ces données, voire de lire le pavé originel.
Pour en rendre plus accessible la compréhension, j’ai largement modifié l’organisation en juxtaposition d’articles du Coran des historiens. Chacun d’entre eux, rédigé par un ou deux spécialistes, aborde le sujet par des détours originaux, liés à la spécialité du chercheur en question, mais qui en certains points constitue une redite ou un résumé d’un passage plus ou moins long d’un précédent article. Par exemple, dans le chapitre « Le Judaïsme et le Coran » (pp.293-330), se trouve une entrée concernant « les préceptes légaux du Coran » portant sur des éléments que l’on retrouve dans le chapitre « Le Coran et son environnement légal » (pp.615-652). « Les écrits apocryphes juifs et le Coran » (497-540) reprennent une petite partie de ce qu’on peut apprendre dans « Le Judaïsme et le Coran ». C’est pourquoi j’ai dû découper et reclasser les informations, en disloquant, forcément, l’unité de chaque article.
Malgré cette liberté, j’espère avoir respecté l’objectif principal du livre, formulé ainsi par les auteurs : « Nous pensons en effet qu’un des moyens les plus sûrs – mais aussi sans doute les plus lents, hélas – pour apaiser les esprits, faire tomber les tensions, neutraliser les fanatismes et les incompréhensions, est d’introduire l’histoire et la géographie – en un mot, l’approche scientifique, avec sa froideur et sa distance – dans l’examen des choses de la foi. C’est ainsi que deviennent possibles la contextualisation, la relativisation, la distanciation critique. » (p.30)
Dans la synthèse 2/2 de ce même premier tome, vous en saurez davantage sur Allah et ses amis, l’orthographe de son nom et son étymologie, mais également sur la constitution du corpus coranique lui-même…
Et si vous souhaitez en apprendre encore davantage ou réviser, écoutez la présentation des auteurs eux-mêmes :