Sorcières, la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet

A l’évidence, il ne s’agit pas là d’un travail d’historien, ni même d’un travail universitaire. Il est d’ailleurs curieux que ce livre ait tant été attaqué sur ce point. Voici deux critiques :

(rapide et expéditive) Lettres It Be : Sorcières de Mona Chollet : la pire escroquerie féministe du 2019 ?

(plus longue et argumentée), sur mediapart et avec l’historienne Catherine Kikouchi, cliquez ici.

Le livre de Mona Chollet est davantage un recueil de pensées personnelles, d’élucubrations parfois, de sur-interprétations sûrement, ce dans le but d’illustrer le thèse de Silvia Federici, Caliban et la sorcière, elle aussi largement critiquée, ici par exemple.

Le livre de Mona Chollet ressemble à un mille-feuilles argumentatif doublé d’un cherry picking assez fou-fou, allant même jusqu’à piocher dans les séries télévisées ou des livres pour enfants (Floppy, p. 9, dès le début), comme si ces illustrations d’idéologie certes en cours étaient représentatives du réel en passant par les souvenirs d’enfance de l’auteur ou certaines expériences de journaliste :

« Par bien des aspects, je suis stupide.

En toutes circonstances, et depuis toujours, s’il s’agit de poser une question idiote, ou de faire une réponse totalement à côté de la plaque à une question, ou de formuler un commentaire absurde, à tous les coups je suis la femme de la situation. Il m’arrive de surprendre un regard incrédule posé sur moi et de deviner ce que cette personne est en train de se dire : « pourtant il paraît qu’elle écrit des livres… » ou « la vache, ils engagent vraiment n’importe qui, au Monde diplomatique… ». J’en retire le même sentiment de honte que si j’avais trébuché et effectué un vol plané avant de m’écraser au sol sous les yeux d’une assemblée ébahie (chose que, par ailleurs, je suis parfaitement capable de faire aussi). » (p. 177)

Donc voilà, nous y sommes. Tout est dit. Inutile de s’acharner. 

Les pires passages concernent à mes yeux l’extrapolation des résultats de la physique quantique, largement inspirée voire directement reprise de Starhawk (et si répandue de nos jours, malheureusement). Par exemple :

« Quand un système d’appréhension du monde qui se présente comme suprêmement rationnel aboutit à détruire le milieu vital de l’humanité, on peut être amené à remettre en question ce qu’on avait pris l’habitude de ranger dans les catégories du rationnel et de l’irrationnel. De fait, la vision mécaniste du monde témoigne d’une conception de la science désormais caduque. Les découvertes les plus récentes, au lieu de les renvoyer dans le domaine du farfelu ou du charlatanisme, convergent avec les intuitions des sorcières. « La physique moderne, écrit Starhawk, ne parle plus des atomes séparés et isolés d’une matière morte, mais de vagues de flux d’énergies, de probabilités, de phénomènes qui changent quand on les observe ; elle reconnaît ce que les chamans et les sorcières ont toujours su : que l’énergie et la matière ne sont pas des forces séparées mais des formes différentes de la même chose. » (p. 30)

Alors moi je ne sais toujours pas comment on peut prétendre, d’une part, comprendre la physique quantique sans être physicien ; d’autre part, une fois qu’elle n’est donc pas vraiment comprise, établir des analogies entre cette chose mal comprise et d’autres qui demeurent aussi mystérieuses et plurielles que le sont les connaissances des chamans et sorcières.

Je n’adhère pas non plus à cette revendication qui se veut féministe et qui explique que « la » femme est du côté du sensible et l’homme du rationnel ; que la raison serait masculine et qu’en tant que telle, elle aurait étouffé ou attaqué les voix autres et proprement féminines (lesquelles ?) de la connaissance (pp. 180-185). Que la raison et les mathématiques soient typiquement l’apanage des hommes, c’est ce que certains d’entre eux aimeraient nous faire croire, empêtrés qu’ils sont dans leurs problèmes d’égo blessé.

Malgré tout, je vais vous faire part des petites « cerises » que j’ai trouvées par ci par là et qui m’ont fort interpellée.

Les tortures et les mises à mort :

D’abord, des choses horribles… connaissez-vous les piqueurs ?

« Après leur arrestation, les accusées étaient dénudées, rasées et livrées à un « piqueur » qui recherchait minutieusement la marque du Diable, à la surface comme à l’intérieur de leurs corps en y enfonçant des aiguilles. N’importe quelle tache, cicatrice ou irrégularité pouvait faire office de preuve et on comprend que les femmes âgées aient été confondues en masse. Cette marque était censée rester insensible à la douleur. » (p. 18)

Bon, sur la page wikipedia dédiée à l’inquisition, je n’en trouve pas de trace… 

Ni même à la page torture

Mais on en parle ici, sur Raconte-moi l’histoire !

En recherchant la fameuse Yolande dont il est question ci-dessus, et qui aurait été piquée, notamment parce que son crâne était dépigmenté, puis brûlée vive, je trouve dans la liste des victimes de chasses aux sorcières quelques faits affreux :

Même si le XVIIè chrétien semble être le plus meurtrier, et de loin, notons tout de même qu’en 2005, sœur Irina a été crucifiée, en Roumanie, soupçonnée qu’elle était d’être possédée par le diable ! En 2010, Fawza Falih, en Arabie saoudite, condamnée à être décapitée pour sorcellerie et cruauté sur les animaux, serait finalement décédée en prison d’un étouffement accidentel, selon les autorités saoudiennes. Amina bint Abdul Halim bin Salem Nasser, toujours en Arabie saoudite, a elle bel et bien été décapitée en 2011 pour sorcellerie.

Bref. Et je n’ai pas trouvé Yolande. ^^

Autre instrument traumatisant :

 (p. 156) « Au XVIè siècle, en Angleterre et en Écosse, l’insolence féminine était également punie au moyen de la « bride de mégère » ou « bride de sorcière » : un dispositif métallique qui enserrait la tête, muni de piques qui transperçaient la langue au moindre mouvement. »

Voilà de quoi bien vous donner envie de couper la parole tout le temps et en tout lieu aux hommes. Et ça, c’est fort documenté !

La lutte politique des femmes

Plus subtiles, dans le cadre des premières luttes politiques féministes aux États-unis, les différences entre les femmes noires et les femmes blanches.

« les femmes noires, descendantes d’esclaves, n’avaient jamais été soumises à l’idéal de domesticité dénoncé par Betty Friedan (auteur de la Mystique féminine 1963). Elles revendiquaient fièrement leur statut de travailleuse, comme l’avait théorisé dès 1930 l’avocate Sadie Alexander, première africaine-américaine à décrocher, en 1921, un doctorat en économie. L’impressionnante Annette Richter, par exemple, qui a le même âge que Gloria Steinem et qui, comme elle, a vécu essentiellement seule et est restée sans enfants, aurait sans doute mérité de devenir une figure aussi célèbre qu’elle. » (p. 45)

Oui, c’est vrai, en effet, Annette Richter semble bien difficile à retrouver sur le net… contrairement à Gloria Steinem.

Un combat intéressant qui nous agita nous aussi, en Europe, le combat pour la disparition du « Mademoiselle », chez nous, avait une allure bien plus pertinente outre-atlantique, à  mon avis. Là-bas, il s’est agi de se battre pour un MS qui ne correspond ni à Madame, ni à Mademoiselle. Pas mal non ? A quand notre Madamelle ?

(p. 48) « Choisissez MISS et vous voilà condamnée à une immaturité infantile. Choisissez MRS et vous voilà condamnée à être le bien meuble d’un type. Choisissez le MS et vous devenez une femme adulte pleinement responsable de sa vie. »

à propos des enfants !

A propos de notre injonction à être mère, si pénible et lourde pour beaucoup, le témoignage fort touchant de Simone de Beauvoir (p. 113) dans la Force de l’âge (1960) : « Mon bonheur était trop compact pour qu’aucune nouveauté pût m’allécher. […] Je ne rêvais pas du tout de me retrouver dans une chair issue de moi. […] Je n’ai pas eu l’impression de refuser la maternité ; elle n’était pas mon lot ; en demeurant sans enfant, j’accomplissais ma condition naturelle. »

Celui-ci suivi de témoignages de femmes qui ne voulaient pas d’enfants, qui m’ont particulièrement interpellée !

L’actrice Anémone témoigne : « je me suis fait un enfant dans le dos. » pour exprimer à quel point les contraintes n’avaient pas été envisagées : « Faut compter vingt ans, dit-elle. Après le bébé tout rond, il y a l’enfant qui devient osseux et qu’il faut inscrire et emmener à des petits cours de tout et n’importe quoi. C’est usant, la vie file et ce n’est plus la vôtre. » La journaliste Françoise Giroud, elle aussi, disait de son fils : « Du jour où il est né, j’ai marché avec une pierre autour du cou. » (pp. 122-123)

Elle évoque aussi les critiques qui ont fondu sur Virginia Woolf entre autres, ces femmes à qui on reproche de ne pas avoir enfanté ou que l’on soupçonne toujours d’avoir été frustrée de ne pas avoir enfanté. (pp. 115-120) : emmerde-t-on autant les hommes avec ces questions ?

Nicholas Nixon

Je ne connaissais pas Nicholas Nixon (p. 148) que je découvre grâce à ce livre. Incroyable ce travail minutieux, patient et cette persévérance dont si peu d’entre nous sont capables !

« Aux antipodes de cette logique, le photographe américain Nicholas Nixon réalise chaque année depuis 1975 un portrait de groupe en noir et blanc de son épouse, Bebe Brown, et de ses trois soeurs, Heather, Mimi et Laurie. Il documente ainsi sereinement leur vieillissement, le montrant comme un objet d’intérêt et d’émotion, laissant imaginer l’état intérieur de chacune, leurs relations les unes avec les autres, les événements qu’elles ont traversés. « Nous sommes chaque jour bombardés d’images de femmes, mais les représentations de femmes qui vieillissent de manière visible restent trop rares, observe la journaliste Isabel Flower. Plus étrange encore, des femmes dont nous savons bien qu’elles ont vieilli nous sont montrées suspendues dans une jeunesse chimérique, flirtant avec le bionique. Nicholas Nixon, lui, s’intéresse à ces femmes en tant que sujets, et pas seulement en tant qu’images. Ce qu’il veut, c’est montrer le passage du temps, et non le défier. Années après années, ses photographies des sœurs Brown en sont venues à rythmer l’avancée de nos propres vies. » (p. 148)

Puis je découvre un livre qui mériterait d’être étudié, celui de Matilda Joslyn Gage, Woman, Church and State , qui date du XIXème siècle ! 

« Ce furent les sorcières qui développèrent une compréhension approfondie des os et des muscles, des plantes et des médicaments, alors que les médecins tiraient encore leurs diagnostics de l’astrologie. » Autrement dit, l’audace, la clairvoyance, le refus de la résignation et l’arrachement aux vieilles superstitions n’étaient pas forcément du côté que l’on croit. « Nous avons des preuves abondantes du fait que les prétendues « sorcières » figuraient parmi les personnalités les plus profondément scientifiques de leurs temps », écrivait déjà Matilda Joslyn Gage en 1893. Les associer au Diable signifiait qu’elles avaient outrepassé le domaine auquel elles étaient censées se cantonner, et empiété sur les prérogatives masculines. « La mort par torture était la méthode de l’Église pour réprimer l’intellect des femmes, la connaissance étant considérée comme maléfique entre leus mains. » (p. 218)

Je reste perplexe en lisant « des preuves abondantes »… ^^

Et pour finir, j’aimerais beaucoup lire cette parodie dont il est plusieurs fois question dans le livre : La femme et le docteur Dreuf, de Mare Kandre.

Publié par

laetitia

Autrice ! de formation en Lettres Classiques, Docteur en linguistique, prof de Français Lettres Classiques, actuellement d'expression écrite et orale. Je souhaite mettre à disposition de tous des cours, des avis et Compte-rendus de lecture, des extraits de mes romans, des articles de linguistique, des recherches en mythologie et religion… et les liens vers la chaine "La Boule Athée" que je co-créai avec mon ex- compagnon et ami.

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