Ida, d’Hélène Bessette

Vous avez vu ce minois qui semble prêt à sourire et à sortir quelque chose de drôle ?

Hélène Bessette, pourtant, c’est plutôt très sérieux. Mais aussi drôle par les entournures.

Ida, le personnage principal, est une vielle femme, qu’on vient de retrouver morte, renversée par un conducteur peut-être inattentif. Domestique dévouée chez les Besson, des propriétaires un peu moins riches que les précédents, sa mort provoque les interrogations, les confidences, mais permet aussi l’expression du mépris de classe, l’étonnement, bref… les langues se délient et tentent de savoir, même, si Ida ne se serait pas suicidée !?

A travers l’addition des pensées pêle-mêle des personnages, c’est l’histoire que l’on découvre, celle d’Ida qui n’en a finalement pas et qui emporte avec elle les mystères de sa vie, dans les mots bien choisis d’Hélène Bessette.

Cet auteur a beaucoup souffert de n’être pas suffisamment reconnue. Elle était pourtant longtemps publiée chez Gallimard. Après avoir été institutrice, elle est entrée au service de bourgeois. Chez le Nouvel Attila, on trouve ses œuvres avec une couverture spéciale, montrant sa biographie sous la forme d’une frise.

Elle fait partie de celles qui me font supputer parfois que, si nous ne voyons pas davantage d’écrivains aux examens de nos chers têtes blondes, c’est que les femmes écrivains ont fait très fort… pas forcément plus fort que les hommes, mais jamais plus faibles. D’ailleurs, cela pourrait s’expliquer : Bah oui, les faibles [femmes] n’ont tout simplement pas été publiées (Ce n’est plus le cas depuis quelques dizaines d’années hein ! Les femmes ont maintenant le droit d’être aussi médiocres que les hommes, et certaines ne se gênent pas).

Bien sûr ! Il y a Céline, James Joyce ou d’autres très difficile à s’approprier dans leur style particulier… Je ne dis pas que les hommes écrivains sont tous faciles d’accès. Mais parmi les femmes écrivains, qui est simple ? Qui pourrait-on étudier au collège, à part notre nationale G. Sand ? Sarraute et ses dialogues internes ? Colette la licencieuse, jusqu’à la bien comprendre ? Violette Leduc ? Beauvoir ? Duras ? Ernaux ? Même la Princesse de Clèves est jugée comme trop hors du temps et difficile par certains incultes… pardon, hommes politiques. Et ne parlons pas de Christine de Pizan, Louise Labé ou Marguerite de Navarre… Sappho… ? A chaque fois, ce sont des monstres…

Mais voici plutôt quelques extraits de ce roman car personne ne parle mieux d’Hélène Bessette qu’elle-même sans doute :

[20]

Ida passe.
Elle passe sur trois cents pages.
Buée sur laquelle un enfant s'amuse à souffler.

Larme qu'on essuie.
Et de ce grand chagrin (en mouvement) il ne restera rien.
Ida quelconque morne déambulatoire. Timbre de voix uniforme.
Silhouette indéfinie. Tassée par l'âge peut-être.
Ce paquet de chiffons informes.

Pardon - c'était un très beau manteau.
Ne dites pas le contraire.
Le manteau était-il beau ?
Sur le cintre cela va sans dire.
Ce paquet de chiffons fuyant entre les autres. Avec cet automatisme que donnent les tapis roulants.
Cette Ida, eh bien ne cherchons pas.
Elle a la mort de toutes les Ida du monde.
[80]

Puis Madame Besson se tord la main avec dégoût pour jeter au loin une combinaison que par mégarde elle avait effleurée des doigts. Et cette combinaison était par erreur jointe à la lessive. Parce qu'on avait fait la lessive cette semaine-là. À cause de la lessive vous comprenez. Et, je ne sais pas pourquoi, dit-elle, la combinaison de Ida s'est trouvée mélangée aux miennes.
Elle le dit plusieurs fois avec un grand étonnement. Cette semaine-là, on a eu des perturbations dans la lessive. C'est dramatique. De son côté Henriette se tord la main de la même façon sur une serviette de toilette.
Une serviette à Ida.
Mettez-la dans le placard aux chiffons.
Il y a une pièce de la servante qui s'est trouvée mêlée aux pièces de Madame.
La combinaison, il faut le dire pour excuser la méprise, ressemble fort aux lingeries de Madame Besson.
[141]
Elle se moquait gentiment de moi et je ne me fâchais pas. Termine Madame Besson.
Il faut tout de suite prévenir qu'il serait dangereux de se moquer "non-gentiment" de l'employeur. 
Périlleux pour tout dire.
Elle ne répondait pas. je veux dire : elle ne répondait jamais mal.
Il faut tout de suite prévenir qu'une conversation d'égal à égal est à écarter d'une manière rigoureuse. Sans être grossière (le "répond mal" s'applique à toute réponse qui bien que polie exprime un désaccord), Ida (les Ida) ne peut se permettre de parler à Madame Besson avec la liberté de l'égalité.
Ida est inférieure une fois pour toutes.
Il est bon d'insister sur ce point.
La Bêtise (avec majuscule) de l'employeur n'est jamais à envisager (ou sa méchanceté ou son ignardise ou ses divers défauts) mais la bêtise de l'employé est toujours à envisager (cela va sans dire).
Ida le sait.

[141]
Ida, à part, silencieuse, supérieure peut-être
Dans la foule des filles
Des filles de cuisine
Celle qui a conscience de son état intolérable.
Le fou conscient.

Publié par

laetitia

Autrice ! de formation en Lettres Classiques, Docteur en linguistique, prof de Français Lettres Classiques, actuellement d'expression écrite et orale. Je souhaite mettre à disposition de tous des cours, des avis et Compte-rendus de lecture, des extraits de mes romans, des articles de linguistique, des recherches en mythologie et religion… et les liens vers la chaine "La Boule Athée" que je co-créai avec mon ex- compagnon et ami.

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